Indignation, inquiétude et incompréhension.
Comment réagir autrement face à l’annonce brutale et non concertée d’interdire l’installation de nouvelles chaudières gaz ? La mesure portée par la Première Ministre Elisabeth Borne devant le Conseil National de la Transition Ecologique est incompréhensible. Elle intervient alors même que le Ministre du Logement et plusieurs Ministres avaient clairement indiqué, en réponses orales et écrites à de nombreux parlementaires, qu’aucune décision d’interdiction des chaudières au gaz ne pourrait être prise sans une phase intense de concertation préalable.
Pour l’association Coénove, qui réunit les acteurs majeurs de l’efficacité énergétique dans le bâtiment, la décarbonation du secteur est un chantier prioritaire qui nécessite l’association et l’adhésion de l’ensemble des professionnels de la filière.
Les décisions prises en la matière ont un impact majeur pour la vie économique et l’avenir du pays.
Ce sont des choix politiques qui relèvent du Parlement et qui devraient impérativement être éclairés par un vrai débat public, ouvert au plus grand nombre.
Quelle est donc la cohérence d’une décision prise et imposée sans concertation et sans mesure d’impact ?
En l’état, il est légitime de s’inquiéter des conséquences délétères qu’aurait l’interdiction des chaudières gaz, une posture qui n’est ni tenable au plan économique et social, ni soutenable pour l’équilibre de notre système énergétique et ni même souhaitable d’un point de vue environnemental, tant ses effets contre-productifs sont nombreux.
Un logement sur 2 est équipé d’une chaudière gaz.
L’exclusion des chaudières au gaz aurait un impact majeur sur le pouvoir d’achat des 12 millions de foyers concernés.
Même fortement subventionnée, une migration forcée vers le tout électrique obligerait une partie des ménages, et surtout les plus modestes, à faire des choix budgétaires allant à l’encontre de solutions performantes.
Plus coûteux à l’achat et à l’entretien, les systèmes électriques comme les pompes à chaleur nécessiteront par ailleurs un accompagnement massif qui semble incompatible avec la fin du « quoi qu’il en coûte ».
Imposer une solution électrique en lieu et place d’une chaudière à très haute performance énergétique, c’est induire mécaniquement une augmentation de la facture pour l’Etat et pour les contribuables.
Les ménages aux revenus modestes, qui sont souvent ceux occupant les logements les moins bien isolés, risquent de se trouver face à des impasses technique ou économiques et pourraient être incités à prolonger au maximum la durée de vie de leur chaudière, voire à basculer sur du chauffage à effet Joule, peu performant, contribuant à les précariser davantage.
Pourquoi risquer de raviver la colère des Français en accentuant les inégalités et en menaçant notre souveraineté industrielle ?
Alors que les chaudières sont majoritairement produites en France et en Europe, une grande majorité des composants des pompes à chaleur électriques provient d’Asie.
Des sites industriels français sont donc voués à disparaître, entraînant une perte de compétences, d’expertises et de savoir-faire uniques.
Le système énergétique repose sur la complémentarité des énergies
Le remplacement du chauffage au gaz par des solutions électriques alternatives aura pour effet immédiat de créer de nouvelles tensions sur notre système énergétique et sur notre capacité à faire face aux appels de puissance en période hivernale.
Alors que le gaz se verdit progressivement, il serait aberrant de vouloir se passer d’une énergie stockable et produite localement. Soyons vigilants à ne pas mettre en risque notre indépendance énergétique et la sécurité d’approvisionnement du pays.
RTE, en charge de l’équilibre du réseau électrique, prépare une étude détaillée sur l’impact d’une électrification massive des usages pour septembre prochain. Pourquoi anticiper des annonces avant même de connaître les conclusions de ce rapport d’expertise ?
La décarbonation du bâtiment ne peut se faire sans les gaz verts
Pour réussir la décarbonation du secteur du bâtiment, la France dispose de plusieurs leviers complémentaires : sobriété, rénovation, dispositifs d’efficacité énergétique et recours accru aux énergies renouvelables.
Le développement des gaz verts, renouvelables, et leur consommation locale constituent une voie de décarbonation plus sûre, plus juste et moins coûteuse qu’une électrification massive des usages du gaz, en particulier pour la production de chaleur dans les bâtiments.
La France dispose d’un potentiel mobilisable de production de gaz verts conséquent et reconnu, suffisant pour couvrir 100 % des besoins projetés en 2050.
Une autre stratégie est possible et les professionnels du secteur du bâtiment ont des propositions alternatives à faire pour atteindre les objectifs de décarbonation sans passer par des interdictions abruptes et contre-productives.
Ne nous trompons pas de combat : ce n’est pas l’appareil qu’il faut bannir mais le gaz qu’il faut verdir ! Interdire l’installation des équipements gaz – tous compatibles avec les gaz verts – est une option qui n’est ni souhaitable, ni tenable, ni soutenable.
Jean-Charles Colas-Roy
Ancien parlementaire