A l’occasion de sa venue à Paris, Hamada Madi, Ministre, conseiller diplomatique du président de l’Union des Comores, a accepté de répondre aux questions de la Revue Politique et Parlementaire sur la crise sociale à Mayotte, la situation du monde arabe, la guerre en Ukraine, la COP 27 ou encore les ressources en hydrocarbures comoriennes.
Revue Politique et Parlementaire – Vous êtes en France au moment où son département ultramarin de Mayotte a été secoué par une terrible crise sociale et de maintien de l’ordre. La déstabilisation de Mayotte sert-elle les intérêts comoriens ?
Hamada Madi – Absolument pas. En revanche, l’annexion de Mayotte par la France déstabilise les Comores depuis fort longtemps. Sur la crise mahoraise, laissez-moi vous dire que l’instauration du « visa Balladur » pour les ressortissants comoriens souhaitant se rendre à Mayotte, un visa d’ailleurs quasiment impossible à obtenir, a favorisé paradoxalement ce mouvement d’installation à Mayotte des Comoriens des autres îles. Par le passé, lorsque la circulation des personnes était libre, personne ne songeait à s’installer dans une autre île que celle où il avait ses intérêts familiaux et patrimoniaux. Il s’en est suivi les innombrables morts en mer. Des drames indescriptibles qui ont endeuillé et endeuillent encore toutes les familles comoriennes des deux côtés de cette frontière artificielle injustifiée. Sans parler des enfants coupés de leurs parents…
De ce bouillon de culture est née la violence à Mayotte.
Je le dis très sincèrement, une crise de cette ampleur ne peut constituer en aucun cas une raison de se réjouir. Au contraire, nous la déplorons et nous sommes solidaires des victimes et de leurs familles.
RPP – Donc, si l’Union des Comores n’a rien à gagner à l’installation du désordre à Mayotte, votre pays peut-il être une clé pour ouvrir la voie à l’apaisement ?
Hamada Madi – Comme vous le savez bien, nous n’avons pas de prise directe sur ce qui se passe à Mayotte qui est, dans l’ordre juridique français, considéré comme un département. Cependant, je ne viens pas à Paris pour dire aux autorités françaises « et maintenant débrouillez-vous ». Ce serait insultant et pas à la hauteur du problème, mais en même temps force est de reconnaître que le gouvernement comorien ne peut pas intervenir dans cette île où il n’exerce pas de facto sa souveraineté.
RPP – Vous en parlerez néanmoins avec les autorités françaises ?
Hamada Madi – Bien sûr. Je redirai à mes interlocuteurs français, dont je mesure le désarroi croissant, que le visa Balladur n’est pas un élément de solution, mais au contraire une cause majeure du phénomène migratoire et qu’ils devraient donc réfléchir rapidement à sa suppression. Ensuite, que la formation de ces centaines de jeunes abandonnés dans la nature, pourrait peut-être constituer un vecteur de resocialisation utile au processus de stabilisation de l’île.
Nous avons d’ailleurs signé plusieurs accords avec la France. Les Comores se sont engagées à stopper ces déplacements incontrôlés de populations à bord de bateaux totalement inadaptés au transport de passagers. Avec des moyens très limités et un immense espace maritime à surveiller, nos garde-côtes font un travail formidable et dangereux.
Néanmoins, je le redis sans me lasser, la libre circulation des personnes et des biens entre les quatre îles de l’archipel constituerait un levier permettant à toutes les parties de mieux prendre en compte et de mieux réguler les aspects humains du problème.
RPP – Vous avez été début novembre à Alger au sommet de la Ligue arabe, dont les Comores sont membres. Comment voyez-vous aujourd’hui l’état du monde arabe ? La crise entre l’Arabie saoudite et le Qatar, dans laquelle votre pays a pris position sans ambiguïté en faveur de Riyad, est-elle véritablement close ?
Hamada Madi – La crise est close et nous nous en réjouissons. En tant que pays membre de la Ligue arabe, nous nous inscrivons dans le processus d’apaisement et de rétablissement des relations entre ces deux pays. Nous y travaillons à notre mesure et le Président Azali y tient et y veille personnellement.
RPP – En tant qu’allié du Maroc, quel regard portez-vous sur l’effort de réarmement algérien ?
Hamada Madi – D’abord, conformément au principe fondateur du droit international auquel les Comores souscrivent et selon lequel un Etat souverain ne s’immisce pas dans les affaires internes d’un autre Etat souverain, nous avons un grand respect pour les décisions d’un pays frère comme l’Algérie. Ensuite, le Maroc et l’Algérie sont deux pays qui entretiennent d’excellentes relations avec l’Union des Comores et ce depuis très longtemps. Les premiers administrateurs comoriens après l’indépendance ont été formés en Algérie, ce qui constituait un signe d’amitié et de confiance entre nos deux pays. Aujourd’hui, le Maroc est la principale destination de nos étudiants de tous les cycles et de toutes les spécialités. Entre ces deux pays auxquels nous lie une affection sincère, nous n’avons pas à choisir.
Mais en tant qu’Etat souverain et sur certaines questions de géopolitique, il nous arrive d’avoir des approches différentes avec un de nos partenaires, ou au contraire des positions très proches avec un autre et cela nous l’avons toujours assumé.
Mais n’est-ce pas le propre de tous les Etats du monde ? C’est d’ailleurs pourquoi, lors du sommet d’Alger de la Ligue arabe, le Président Azali a plaidé sans ambiguïté pour le dialogue et la compréhension mutuelle.
RPP – Vous avez participé avec le Président Azali à la COP 27 en Egypte. Comme beaucoup de commentateurs vous la considérez aussi comme un échec ?
Hamada Madi – Non, pas du tout, ça n’est pas un échec. C’est une étape et c’est seulement une étape, même si, pour nous, Petits Etats insulaires en développement et principales victimes de la montée du niveau des mers, l’inquiétude grandit. Nous savons bien que toutes les COPs ne se ressemblent pas et qu’à mesure que nous avançons vers 2050, la pression pour l’adoption des mesures concrètes pour le climat augmente. Certes, nous regrettons que la COP 27 n’ait pas permis d’obtenir l’engagement des principaux émetteurs mondiaux de réduire progressivement les combustibles fossiles, ni de nouveaux engagements en matière d’atténuation du changement climatique. Néanmoins, cette COP 27 a été marquée par l’adoption d’une résolution emblématique sur la compensation des dégâts causés par le changement climatique déjà subis par les pays les plus pauvres. Ce dossier, dit des « pertes et dommages » dans le jargon de la diplomatie climatique, laisse encore de nombreuses questions en suspens qu’il faudra bien préciser dans les prochains mois, mais le principe de la création d’un fonds financier spécifique est en soi une avancée importante pour nos pays.
RPP – Existe-t-il une diplomatie des Etats insulaires et notamment des Petits Etats insulaires en développement menacés par la montée des eaux ou est-ce un fantasme ?
Hamada Madi – Le danger de la montée des eaux est très réel et nous commençons d’ailleurs, en particulier dans le Pacifique, à voir se généraliser les migrations en raison de l’impossibilité à vivre sur des îles envahies par les eaux. Oui, il existe bel et bien une diplomatie des Petits Etats insulaires en développement menacés par cette montée des eaux, même si cette voix ne se fait pas encore assez entendre à mon sens. La montée des eaux, largement due à l’évolution climatique, n’a pas pitié de nous ni de nos vulnérabilités.
Par conséquent, nous devons encore mieux nous organiser ensemble, notamment au sein d’AOSIS1, pour créer les conditions concrètes d’une résilience solidaire.
Je profite d’ailleurs de cette opportunité pour lancer une fois encore un appel pressant aux dirigeants des PEID afin de mieux nous structurer en « Etats-Avocats », et plaider de façon toujours plus solidaire notre propre cause qui est unique dans le monde.
RPP – Comment expliquez-vous la réticence africaine à condamner l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la détérioration de l’image de la France sur le continent ?
Hamada Madi – Il ne serait pas correct de notre part de prétendre parler au nom des autres États, fussent-ils africains, en matière de diplomatie et de géopolitique. Chacun est souverain. D’ailleurs, même les pays de l’Union européenne qui tentent de parler d’une seule voix, n’y parviennent pas nécessairement. Je ne peux donc évoquer ici que les choix de mon pays.
Sans équivoque, nous condamnons l’agression russe de l’Ukraine pour une raison simple et évidente liée aux intérêts de notre pays et du respect de la cohérence de nos engagements internationaux.
Nous condamnons sans réserve l’occupation par Israël des territoires palestiniens, comme nous condamnons l’occupation d’une partie de notre territoire, l’île de Mayotte, par l’ancienne puissance coloniale. Il paraît donc évident que nous ne pouvons pas rester indifférents à la situation de l’Ukraine. J’imagine que c’est ainsi que les États agissent tous pour leurs intérêts.
RPP – Vous connaissez bien les Russes et les Ukrainiens, du fait de vos études à Kiev et vous parlez couramment le russe. Pensez-vous que cet enchaînement tragique aurait pu être évité ? Voyez-vous surtout un espace pour les négociations aujourd’hui et l’Afrique peut-elle y jouer un rôle ?
Hamada Madi – J’ai été, en effet, étudiant plusieurs années à l’Université d’État de Kiev, devenue ensuite l’Institut Ukrainien des Relations internationales, et j’ai toujours une pensée pour Kiev, cette ville qui m’a vu naître pour la deuxième fois puisque c’est là que j’ai passé mes années de jeunesse. Ce qui se passe au Donbass me rend aussi très malheureux. Bien sûr, la guerre devrait toujours être évitée et le monde devrait privilégier le dialogue et la diplomatie partout et à tout moment. De fait, cette tragédie aurait pu et aurait dû être évitée en privilégiant la négociation, comme celle qui avait abouti en son temps à Minsk 1 et Minsk 2. Quant à l’Afrique, elle peut, je crois, apporter sa pierre à l’édifice de la construction de la paix, car beaucoup de ses dirigeants et de ses diplomates actuels ont été formés, comme moi, en URSS et nous connaissons bien ces pays et leurs cultures. Nous y avons vécu, étudié et appris une langue qui est aussi l’expression d’une vision du monde. Cela nous qualifie peut-être plus que d’autres. Je rajoute aussi que l’Afrique souffre très fortement des conséquences économiques de cette guerre et qu’elle a un intérêt tout particulier à la voir s’arrêter le plus vite possible.
RPP – L’Europe a soif de gaz et de pétrole. Il semblerait que les Comores en recèlent en des quantités substantielles. Est-ce un sujet dont vous allez parler aussi avec le gouvernement français et des opérateurs pétroliers ou gaziers lors de votre visite à Paris ?
Hamada Madi – J’en parlerai si les autorités françaises souhaitent aborder cette question car il ne peut y avoir de sujet tabou entre les Comores et ses principaux partenaires. Concrètement, les données sismiques démontrent que les Comores regorgent d’hydrocarbures, gaz et pétrole. Des contrats ont été signés et d’autres le seront à l’avenir.
Nous avons besoin d’un cadre stabilisé et performant pour permettre à notre pays de bénéficier pleinement de l’exploitation de ses ressources géologiques et pour contribuer, à sa mesure, aux besoins en énergie de l’humanité.
Il est évident que nous n’y arriverons pas tout seuls.
RPP – Le président Azali sera-t-il candidat à sa succession en 2024 ?
Hamada Madi – Il est trop tôt pour le savoir. La Constitution l’autorise. C’est à lui qu’il reviendra, le moment venu, de prendre sa décision en conscience.
M. Hamada MADI
Ministre, conseiller diplomatique du président de l’Union des Comores
Ancien président de la transition et ancien Premier ministre des Comores
Ancien Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien (COI)
- L’Alliance of Small Island States, ou AOSIS, est une organisation intergouvernementale de pays États côtiers ou insulaires. Fondée en 1990, cette alliance a pour but de mieux faire entendre la voix des petits États insulaires en développement face aux changements climatiques. ↩