Dans un entretien qu’il nous a accordé,Sébastien Chenu, Député RN du Nord, Vice-Président de l’Assemblée nationale, nous livre ses réflexions sur les six premiers mois de la XVIe législature.
Revue Politique et Parlementaire – Quels sont à vos yeux les éléments saillants de ce début de législature ?
Sébastien Chenu – Cette législature comporte de vraies originalités. Un Président réélu avec une majorité relative, inédit depuis 1988, un premier groupe d’opposition représenté par le RN, une première, une gauche divisée mais optiquement importante et dominée par LFI, des partis de gouvernement atones (LR et PS)… ce qui surprend surtout c’est que cette photographie politique correspond parfaitement aux nouveaux clivages : deux partis qui ne se situent pas sur l’axe droite-gauche (Renaissance et RN) et une gauche qui s’est radicalisée, rompant avec la social-démocratie. Cette photo est, en outre, réalisée « en live » c’est-à-dire sans la proportionnelle.
Le RN démontre ainsi sa capacité à gagner sans celle-ci, dans des face-à-face tant avec LR que LFI ou Renaissance, explosant tous les plafonds de verre et surtout toutes les prévisions. Un autre élément saillant est l’organisation de cette Assemblée, dominée par des femmes, souvent de qualité. Les principaux groupes sont présidés par des femmes (Le Pen, Bergé, Panot), l’Assemblée l’est aussi et ne comporte qu’un homme sur les six vice-présidents (votre serviteur !)…Là encore il s’agit d’un tournant notable, et réjouissant.
Enfin, parmi les faits saillants, j’en vois deux : le retour du politique, du débat politique et des enjeux des scrutins et l’incapacité pour la majorité à comprendre qu’elle est aujourd’hui dans une logique de majorité relative qui devrait l’obliger à changer de méthode…
RPP – De par son caractère éruptif, cette nouvelle Assemblée ne risque-t-elle pas de ressusciter le vieux fond d’antiparlementarisme dont la culture politique française est prodigue également ?
Sébastien Chenu – Cette Assemblée, correspondant davantage aux clivages et courants de la société française, devrait au contraire produire un travail plus qualitatif. Mais encore faudrait-il que la Majorité, devenue relative, l’acceptât. À utiliser le 49.3 à outrance, à chercher des arguties pour faire taire les oppositions (sanctions parfois tout aussi grotesques qu’excessives), à essayer de jouer l’obstruction (cf. l’attitude du gouvernement lors de la Niche LFI), la majorité n’a pas changé de culture, se comporte comme si elle pouvait imposer ses vues à tous, et finit elle-même par agacer ses propres troupes (MoDem et Horizons). Ses changements de pieds, son manque de rigueur et de lisibilité (cf. elle co-préside par exemple des groupes d’études avec des députés LFI mais refuse de le faire avec des députés RN alors que le MoDem et Horizons le font !), son incapacité à retenir des amendements venant des deux plus gros groupes d’opposition finissent par créer une ambiance anxiogène alimentée par la conflictualité revendiquée par LFI sur tous les sujets. Et donc une image parfois détestable de ce qui se passe alors même que cette situation restaure, de fait, la primauté du débat politique.
RPP – Pour le RN, 1er groupe parlementaire, d’opposition sur un plan arithmétique, quel bilan tirer de ces premiers mois ?
Sébastien Chenu – Le RN est désormais vu pour ce qu’il est : « Ils croyaient voir arriver l’extrême droite, ils découvrent des patriotes authentiques, sincères, pragmatiques, travailleurs et respectueux ! » Les députés RN s’investissent sur tous les sujets et démontrent ainsi leur capacité à s’exprimer et réfléchir sur tous les sujets et non plus seulement sur les piliers de leur engagement (Europe, sécurité, immigration…).
Par ailleurs les députés RN mettent en lumière leurs capacités à assumer des responsabilités (présidences de groupes d’études, d’amitié, vice-présidences de l’assemblée…) et à travailler avec d’autres.
Ainsi ils co-Présideront avec des députés d’autres bords ces mêmes groupes d’études ou seront corapporteurs de propositions de loi (cf. la proposition de loi sur les violences faites aux femmes dont le corapporteur sera Emmanuel Taché de la Pagerie en binôme avec la députée UDI Beatrice Descamps). D’autre part le groupe RN a réussi à faire émerger des nouveaux visages, répondant ainsi à la question « avec qui gouvernerait demain Marine le Pen ? ». On a ainsi découvert Laure Lavalette, Pierre Meurin, Alexandre Loubet ou Jean Philippe Tanguy notamment qui démontrent leurs compétences et leurs sujets de prédilection. Là encore en jouant la carte des institutions tout en refusant celle du système (contrairement à Renaissance, LR, PS qui sont « institutions et système »), le RN surprend et rassure, alors que LFI déçoit et inquiète.
RPP – Cette législature au regard de sa majorité très relative vous parait-elle viable sur la durée ?
Sébastien Chenu – Qu’on le veuille ou non la machine fonctionne. Malgré les 49.3, malgré les dix groupes différents, l’institution s’adapte à la nouvelle donne politique. Certes c’est plus compliqué pour la majorité, certes celle-ci ne joue pas le jeu mais l’Assemblée travaille, légifère, débat. Il y aurait beaucoup à dire sur les rythmes, l’organisation, mais il est incontestable que la solidité des institutions la met à l’abri des coups de boutoirs de l’extrême gauche tout en permettant au pays de ne pas être figé. La situation n’en demeure pas moins insatisfaisante, et des clarifications viendront, j’en suis persuadé, nous éclairer et permettre aux Français, à terme, de se doter d’une Majorité reposant sur le Rassemblement National, c’est exactement mon souhait.
Sébastien Chenu
Député du Nord
Vice-Président de l’Assemblée nationale
Conseiller régional des Hauts-de-France
Propos recueillis par Arnaud Benedetti