Le Président de la République vient de livrer un curieux exercice traditionnel des vœux. L’homme moderne a-t-il agrandi le « en même temps » au-delà de l’exercice technique et de cadrage de l’écran.
Citoyen à l’écoute, dans cette période troublée, la forme l’emporta sur un catalogue assez indigeste et criblé d’affirmations péremptoires qui avait du mal à fixer l’attention. C’est, dès lors, une autre impression qui s’imposa. Pourquoi ces changements de plan et de décor ? Pourquoi ce drapeau européen qui subitement disparaît ? Pourquoi le drapeau français lui-même en vint à s’effacer avant la concentration de fin sur le Président lui-même ? Mieux encore, pourquoi cette sorte de neutralisation de l’environnement apparaissant comme désinhibé des contraintes traditionnelles de ces rendez-vous ?
On me rétorquera que ce ne sont que frivolités de détails, un décor. Mais « changer de vie, changer de corps tout est affaire de décor ».
On le sait le sujet est sérieux – des drapeaux. Et la période récente a montré, sans détours, les épidermes qui grattent à l’instant quand ça flotte, sans connaître au gré de quel vent. De l’art et de Christo à un drapeau européen sous l’Arc de Triomphe et à l’envi dans une campagne présidentielle aux accents ambigus d’une assimilation douteuse entre effets normaux de difficultés d’individuation dans une société fragile et, souvent, en déshérence face à un sentiment de déclassement et une question vraie de l’identité, ce qui flotte ne fait pas drapeau !
Mais restons sur l’exercice. Être Président a ses contraintes pas forcément partagées voire partageables. On le découvre, souvent, en l’exerçant, justement. Il faut donner des gages à l’Europe, aux milieux financiers, prouver sa détermination et sa capacité à exiger de son peuple des sacrifices quand le « quoi qu’il en coûte » et le déroulé des mesures « air bag » promises par le gouvernement nécessitent d’emprunter à des taux qui ne deviennent pas socialement usuraires. Pour autant ces cadrages télévisuels proposant un récit image qui incorporent un instant le drapeau européen pour très vite l’effacer au seul profit du drapeau tricolore ne peuvent manquer de s’interroger. Car il s’agit bien d’un acte volontaire de subvertissement d’une règle installée qui, sous l’égide de Jacques Pilhan, avait amené Jacques Chirac à donner une place attitrée au drapeau étoilée dans les interventions présidentielles.
Pilhan entendait nettoyer l’image car celle-ci doit parler, exprimer directement et symboliquement.
Actons les contraintes de la dette, y fallait-il tant de symbolique ?
S’agirait-il de messages plus politiciens et factuels ? Y fallait-il alors sacrifier autant de symbolique ?
Le cadrage de l’emballage final aura été disproportionné vu ce qui précède mais plus conforme à ce que l’on connaît de la vision très personnalisée du pouvoir du Président Macron. L’image était effectivement nettoyée, un homme et le destin d’un pays devant un décor déréférencé de la transmission au profit d’une composition livresque proche du « naturalisme social » de ce qui signerait la proximité et la simplicité comme si l’acteur en tenait lieu et place.
Les citoyens auront été invités au travail et à l’injonction de l’unité mais se sont-ils sentis aimés ? N’est-ce pas la condition d’un dévouement compris et partagé ?
À cette absence d’affect, à titre personnel, j’ai souffert de l’absence de signe pour ces Iraniennes et ces Iraniens, expression des plus fortes de nos valeurs, à l’instar de la grande manifestation post attentats du Bataclan qui font se lever les énergies dont le Président crie à juste titre le besoin, le projet collectif !
Pierre Larrouy
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