Revue Politique et Parlementaire – Comment analyser le succès sur le fil de Lula ? Et la résistance de Bolosonaro ?
Eduardo Rihan-Cypel – Les Brésiliens ont décidé, de justesse, de mettre un terme à l’expérience Bolsonaro. Ce succès sur le fil s’explique par la profonde division et l’extrême tension du pays mais la figure charismatique et populaire de Lula a réussi à entraîner avec lui une courte majorité pour battre le camp bolsonariste.
Les moins de 1% qui séparent les deux candidats montrent l’ampleur de la fracture qui divise le pays.
La géographie sociale du vote est globalement la même qui structure depuis de décennies le Brésil entre droite et gauche, avec un nord (en gros au-dessus de Rio de Janeiro) qui a voté Lula et un sud qui a voté Bolsonaro. Ce dernier a réussi à résister grâce à une stratégie populiste à multiples facettes qui a, à la fois, capté le vote des anti-gauche, des anti-PT, d’une élite brésilienne et des catégories supérieures de la population qui ont du mal à accepter la montée d’une classe moyenne qui leur donne le sentiment d’un déclassement social insupportable, mais aussi d’une partie importante des catégories moyennes et populaires de la population qui en ont assez de la violence et de l’insécurité, et qui sont séduites par le discours autoritaire (et réactionnaire) de ce « Trump des Tropiques ».
RPP – C’en est-il fini du bolsnorasime ? Et comment interpréter son silence ?
Eduardo Rihan-Cypel – Bolsonaro est battu mais le bolsonarisme est vivant. Il reste puissant et ancré politiquement. Le parti de Bolsonaro et ses alliés disposent d’une centaine de sièges de députés au Congrès brésilien et ont remporté la moitié des Gouverneurs des 27 États qui composent le Brésil. Autant dire que la résistance de Bolsonaro et de ses alliés sera forte et ancrée.
Le bolsonarisme n’est pas fini, il est là et peut compter sur des positions et des structures politiques fortes à même non seulement de résister face au nouveau pouvoir mais aussi de se régénérer.
Dans ce contexte, le talent de négociation de Lula, sa capacité de construction de compromis politiques larges, seront décisifs pour la réussite de son mandat, et donc pour réduire l’influence du bolsonarisme. Depuis sa défaite, et jusqu’à cette heure, Bolsonaro est resté silencieux.
J’interprète ce silence comme une façon de maintenir une tension maximale afin d’essayer de répandre l’idée que les résultats de l’élection pourraient être entachés d’irrégularités, voire de triche.
Bolsonaro cherchera par tous les moyens de construire un scénario à la Trump. Son silence sur les résultats — autrement dit : la non-reconnaissance officielle de sa défaite — est le premier pas d’une possible tentative de contestation de l’élection. Nous verrons bien ce que dira Bolsonaro, il devra bien parler tôt ou tard, mais, quelles que soient ses tentatives de déstabilisation, je fais le pari que les institutions démocratiques et l’État de droit brésiliens seront plus forts, le Tribunal supérieur électoral (TSE) a d’ailleurs confirmé le résultat des élections et la victoire de Lula.
RPP – Quels sont les grands défis du nouveau président ?
Eduardo Rihan-Cypel – Les défis du nouveau mandat de Lula sont nombreux et gigantesques, à la mesure de la démesure du Brésil. Le premier défi est de pacifier le pays, de baisser la tension politique et d’engager le Brésil vers la voie d’une réconciliation démocratique. Ce sera très difficile en raison du climat de violence surpolarisé qui s’est diffusé depuis plus de quatre ans et qui a installé une division, une fracture, sans précédent dans l’histoire brésilienne depuis le retour de la démocratie en 1985. Si on veut prendre une image je dirais que la situation brésilienne divise les familles brésiliennes comme l’affaire Dreyfus avait divisé les familles françaises : au plus profond d’elles-mêmes et de manière inattendue. La réconciliation nationale, si elle est possible, sera longue et douloureuse. Le deuxième défi est de répondre à la situation sociale et économique en améliorant le pouvoir d’achat et l’emploi, notamment des catégories modestes et moyennes de la population.
Le président Lula devra engager une politique de lutte contre les inégalités et de croissance économique dans un contexte difficile, après la pandémie et avec les conséquences de la guerre de la Russie contre l’Ukraine qui affecteront les marges de manœuvres du nouveau pouvoir.
La difficulté pour Lula est que le Brésil est plus affaibli aujourd’hui qu’il ne l’était lorsqu’il a exercé ses deux premiers mandats entre 2002 et 2010. Le défi est énorme, seule une personnalité du calibre de Lula était en mesure de le relever, tout autre candidat aurait, me semble-t-il, perdu face à Bolsonaro. Le troisième défi est de retrouver une place digne et forte pour le Brésil sur la scène internationale. Lula en a la volonté et le caractère. La voix du Brésil sera sans aucun doute de retour à l’international, Lula cherchera, comme il l’a toujours fait, à défendre une vision multilatérale des relations internationales. Il donnera une voix brésilienne nouvelle à la lutte pour le climat et la protection de l’environnement dont l’Amazonie sera le grand symbole. Lula l’a dit et redit : avec lui, le Brésil sera de retour sur la scène internationale, alors que Bolsonaro a plongé le pays dans un isolement sans précédent. Je crois que cela est d’ailleurs une opportunité pour la France. Je crois à un axe France-Brésil. C’est l’occasion pour notre pays de relancer et de développer de nouvelles opportunités avec le géant latino-américain, y compris stratégiques, entre nos deux nations qui ont une si longue amitié et histoire communes.
Eduardo Rihan-Cypel
Ancien député de 2012 à 2017
Porte parole de “Territoires de progrès”
Membre du conseil éditorial de la Revue Politique et Parlementaire
Propos recueillis par Arnaud Benedetti