Depuis maintenant de nombreuses semaines, nous sommes suspendus à la décision d’un individu. Vladimir Poutine va-t-il faire envahir l’Ukraine par son armée afin de réannexer ce pays à son empire ? Va-t-il abattre le gouvernement démocratiquement désigné à Kiev pour le remplacer par un dictateur vassal à ses ordres ? Pouvons-nous accepter cette menace brute fondée sur la seule force militaire ?
Aucun pays européen n’a envie d’attaquer la Russie. Et Monsieur Poutine le sait parfaitement. Aucun pays européen n’a envie de faire la guerre. Et Monsieur Poutine le sait bien. Il n’existe aucune menace d’agression contre la Russie contrairement à ce que le dictateur russe prétend. Il n’existe que des pays indépendants d’Europe orientale qui ont déjà vécu pendant des décennies sous la férule soviétique et dont les peuples ne veulent à aucun prix recommencer l’expérience d’une nouvelle dictature.
Ce dont Monsieur Poutine a peur, c’est de la liberté et de la démocratie. Il veut les tenir le plus possible à distance. Ce dont il ne veut à aucun prix, ce sont des pays régis par le système de démocratie libérale à ses portes. Il veut, tout autour de la Russie, des pays dirigés par des autocrates dont il est le suzerain indiscuté, de manière à empêcher toute influence des valeurs libérales en Russie. Son objectif est d’avoir un empire le plus vaste possible, entouré et prolongé par un glacis d’états vassaux à ses frontières. La Biélorussie entre évidemment dans ce schéma, en ayant écrasé le mouvement démocratique après des élections une nouvelle fois truquées. Il en est de même pour les pays d’Asie centrale, comme vient de le montrer l’exemple du Kazakhstan. Le Caucase et l’Ukraine sont les autres territoires directement visés avant que la pression ne s’étende sur l’Europe de l’Est à partir, notamment, de la Moldavie et de l’enclave de Kaliningrad.
Vladimir Poutine se moque bien du respect du droit des peuples exprimé démocratiquement. C’est même justement cela qu’il veut à tout prix détruire.
Et c’est la raison fondamentale pour laquelle il accepte une alliance de plus en plus étroite avec la dictature chinoise. En dépit d’intérêts concurrents dans un certain nombre de domaines et de zones géographiques (Asie centrale, monde arabo-islamique, Afrique…), il renforce constamment son alliance avec le régime chinois. La récente déclaration commune (4 février 2022), à l’occasion de son déplacement pour les jeux olympiques d’hiver à Pékin, l’affiche clairement. L’alliance est globale, scientifique, technologique, spatiale, économique, diplomatique, politique et idéologique. Elle a pour objectif de combattre le modèle occidental partout et dans tous les domaines.
Ce qui est en jeu, c’est la domination du monde en 2049. Le parti communiste chinois a proclamé de longue date qu’il voulait que la Chine soit la puissance mondiale dominante et que le système dictatorial qu’il a établi s’impose partout à cette date symbolique du centenaire de sa prise du pouvoir à Pékin. 2049 c’est dans 27 ans, c’est-à-dire demain. Le bloc sino-russe et ses vassaux s’organisent à vive allure et progressent par tous les moyens, sur tous les continents et dans l’espace. Cet ensemble est adossé à un immense territoire continental et à une énorme population. Il dispose d’un arsenal militaire conventionnel et nucléaire gigantesque et constamment amélioré. Il n’a aucune hésitation ni aucun scrupule ni sur ses objectifs ni sur la diversité des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Il s’agit de vaincre les pays occidentaux et de faire disparaître le système de démocratie libérale. Tous les moyens sont bons pour y parvenir et ils sont déjà utilisés. La pression sur le front ukrainien n’en est qu’un petit échantillon.
Bien entendu, l’avenir n’est jamais écrit. Bien entendu, ce bloc totalitaire peut avoir de multiples faiblesses, entre ses membres et à l’intérieur de chacun d’eux. Bien entendu, les populations soumises à cet asservissement peuvent se révolter contre les despotismes et les discours nationalistes qui les enveloppent. Mais, pour l’instant, le rouleau compresseur est en marche et il place les démocraties occidentales face à ses écrasements successifs. Elles n’ont rien fait pour la Géorgie, elles n’ont rien fait pour Hong-Kong, en dépit du viol flagrant de traités internationaux, elles n’ont rien fait pour le Kazakhstan, elles ne font rien pour la Birmanie qui devient chaque jour un peu plus un vassal de la Chine… Elles sont prises de court par la pression russe qui veut récupérer sa mainmise sur l’Europe orientale et s’implanter partout à travers le monde, en conjonction avec la puissance économique chinoise et en profitant de tous les conflits et de toutes les faiblesses occidentales.
On le sait bien, les démocraties libérales ne sont jamais prêtes à faire la guerre. La guerre est contraire à leurs valeurs fondamentales, pacifiques, ouvertes, universalistes. Elles sont par ailleurs parcourues de tensions internes multiples, de contestations et de remises en cause comme on peut le mesurer aujourd’hui tant en Amérique du Nord qu’en Europe.
Dans ce contexte, il est donc indispensable de rappeler à tout instant ce que doivent être les priorités : affirmation inébranlable des valeurs du système de démocratie libérale et de leur caractère universel, mise en oeuvre de tous les moyens de défense contre toutes les formes d’attaque utilisées (lutte contre l’espionnage scientifique, technologique et économique, lutte contre les cyber-attaques, développement d’armes adaptées…), renforcement de l’union politique, diplomatique et militaire de l’Europe, renforcement de l’alliance de l’Europe avec l’ensemble des démocraties libérales présentes à travers le monde, notamment dans le cadre de l’OTAN.
Ce sont ces sujets et ces propositions qui devraient être au cœur de toute réflexion et de tout projet politique aujourd’hui.
Jean-François Cervel