Pour Michel Fize, la crise sanitaire, par son ampleur, sa complexité, offre, paradoxalement, une chance inespérée de changer la gouvernance politique, qui se révèle aujourd’hui inadaptée, incohérente.
Est-il encore pensable qu’un seul homme, fut -il investi par le suffrage universel, puisse décider pour tous ? N’y a-t-il pas aujourd’hui des sujets sociaux d’intérêt national qui relèvent, ou devraient relever, d’une responsabilité politique partagée, collective donc ? Autrement dit, n’est-il pas temps, et c’est une première orientation majeure, d’ouvrir la voie à un nouvel Acte de décentralisation, après les lois de 1982, 1983 et 2003 ? N’est-il pas temps d’approfondir cette décentralisation politique consacrée par l’article 1er de la Constitution après la révision du texte fondamental en 2003 ? Une révision importante, dont il faut rappeler ici les trois grands principes novateurs : l’extension des procédures de démocratie directe locale (droit de pétition, référendums locaux), le transfert, à titre expérimental, de nouvelles compétences aux régions, l’autonomie financière des collectivités territoriales.
La crise sanitaire en cours révèle une quasi-absence de dialogue avec les partenaires sociaux.
La question du retour, le 11 mai, de conditions plus normales de transport ferroviaire de voyageurs n’a, par exemple, fait l’objet d’aucune concertation avec les organisations syndicales de cheminots. Quant au dialogue politique, il se résume jusqu’à présent à quelques visioconférences solennelles avec les « chefs de partis ». Le gouvernement discute, fait sur la situation sanitaire de longs exposés pédagogiques, écoute les recommandations médicales et scientifiques [un peu moins aujourd’hui qu’au début de la crise]. Pour le reste, il est clair que l’Exécutif continue de décider seul, et sur des bases de plus en plus incertaines. Nous avons, à cet égard, actuellement, une situation inédite, celle d’un pouvoir se déterminant au vu de connaissances médicales imparfaites, incomplètes, incohérentes, contradictoires même. Les choix politiques se font, chaque jour, en s’appuyant sur un savoir en construction permanente, un savoir qui, donc, tâtonne, qui conduit des recherches à la hâte, sans toujours respecter les protocoles et méthodes scientifiques d’usage.
Le gouvernement écoute, disais-je, mais n’en fait qu’à sa tête. Alors, il décide mal, trop tôt, ou trop tard, n’étant jamais dans le bon tempo. D’où des choix immédiatement contestés car souvent contestables. Prenons quelques exemples.
Exemple numéro un : le déconfinement du 11 mai. Il est pour le président de la République un engagement, pour son ministre de l’Intérieur un « objectif ». Et voilà que le directeur général de la Santé déclare, devant une commission parlementaire, que le déconfinement n’aura lieu que si le confinement est réussi. Curieux : M. Salomon, qui est un haut-fonctionnaire, agit-il avec l’aval du Président qu’il contredit tout de même radicalement par ses propos ?
Exemple numéro deux : le port des masques. « Non nécessaire » pour tous les Français, affirmait il y a peu la porte-parole du gouvernement. Obligatoire demain (le 11 mai), au moins dans les transports en commun, et peut-être partout dans l’espace public si l’on suit la dernière recommandation du Conseil scientifique, qui, soit dit en passant, n’est pas à une volte-face près, lui qui défendait naguère la thèse d’un masque pour le seul personnel soignant.
Exemple numéro trois : la réouverture prochaine des écoles. Imaginée, dans un premier temps, comme une décision plutôt obligatoire, mais selon des modalités spéciales : enseignement par petits groupes, peut-être un jour sur deux, et qui est présentée maintenant comme facultative, pour les seules familles volontaires. Aux parents donc de décider !
Exemple numéro quatre : les conditions du déconfinement. Elles ont aussi évolué avec le temps. L’on est ainsi passé d’un projet de déconfinement par classe d’âges (les personnes âgées restant dans ce schéma confinées) à celui d’un déconfinement par régions. Et puis le Président a tranché : ce sera un déconfinement national, sans considérations d’âge, pour de nombreux commerces (à préciser – mais sauf la restauration et l’hôtellerie).
Reprenons à cet instant les choses par le début. La question sanitaire est une question complexe, de surcroît obéissant au principe d’urgence. La décision politique est délicate.
Question : les réponses publiques ne relèvent-elles pas désormais d’un accord entre l’Etat et les collectivités locales, et, allant au-delà, d’une association entre toutes les parties prenantes à la gestion de la crise ?
Un seul, le président de la République en l’espèce, est-il en effet encore légitimé à décider au nom de tous, seul dans son coin ?
Emmanuel Macron paraît comprendre les enjeux politiques à venir. Ne se comporte-t-il pas de plus en plus comme un « jacondin » pour reprendre l’expression d’Olivier Duhamel, c’est-à-dire en même temps comme un jacobin soucieux de la prédominance de l’action de l’Etat, et comme un girondin désireux d’affermir le rôle des collectivités territoriales ? Ainsi, le plan de déconfinement, préparé par Jean Castex, qui aurait probablement été encore, il y a peu, un plan directif s’imposant à tous sans discernement des spécificités territoriales ou professionnelles, sera-t-il un cadre général d’action (comme il y a des lois-cadres), laissant à chaque acteur du déconfinement le soin de l’adapter aux particularités et besoins de son territoire. C’est là une petite révolution des comportements politiques.
La chose est donc sûre, la crise sanitaire confirme – s’il en était besoin – que les institutions officielles de la Vème Républiques sont obsolètes car totalement inadaptées à répondre aux questions de notre temps.
Une refonte paraît s’imposer, qui pourrait débuter par un Acte IV de la décentralisation, passant par l’affirmation du principe de l’autonomie politique des collectivités régionales et départementales et la reconnaissance de leur compétence sur des questions d’intérêt national, comme l’éducation ou la santé – à l’image de ce qui se pratique dans les Landers allemands. Sur la question scolaire, par exemple, cette autonomie permettrait d’imaginer notamment des scénariis de reprise des cours différents selon les collectivités. A chaque collectivité (incluant ici l’échelon communal) de déterminer librement ses choix de reprise ou pas, des modalités de reprise.
Pour l’heure, et préludant peut-être la formation, après la crise, d’un gouvernement d’union nationale, pourquoi ne pas imaginer la création d’un Conseil national réunissant, outre certains membres de l’actuel Conseil scientifique, les représentants des formations politiques, des organisations syndicales, du milieu associatif, etc, qui, à la majorité des deux tiers de ses membres déciderait de la marche politique à suivre.
Préfiguration encore d’une nouvelle gouvernance politique, pourquoi ne pas imaginer de supprimer l’une des deux têtes de l’Exécutif (l’on voit avec le coronavirus les divergences d’appréciation parfois entre le Président et son Premier ministre) ? Un seul exemple. Rappelons-nous le 1er tour des élections municipales. M. Macron était plutôt hostile à leur tenue, M. Philippe favorable. Celui-ci a gagné : crime de lèse-majesté présidentielle sous la Vème République, M. Macron s’en souviendra probablement le moment venu. Non, le quinquennat ne saurait tolérer deux têtes, il faudra bien en couper une, le moment venu aussi
Michel Fize, sociologue, diplômé de Sciences politiques
Ancien conseiller régional d’Ile-de-France