La crise sanitaire planétaire que nous connaissons aujourd’hui montre à quel point nous ne pouvons dépendre des autres continents pour se protéger, se soigner, se nourrir. Pour la Revue Politique et Parlementaire Cathy Bijou a rencontré le député Olivier Dassault auteur d’une proposition de loi portant l’ambition pour le retour d’une grande Nation économique.
Revue Politique et Parlementaire – Le système hospitalier a-t-il a été sacrifié par les différentes politiques publiques de santé ?
Olivier Dassault – Le budget de la santé représente 270 milliards par an, c’est énorme. Nous avons longtemps vécu sur l’idée que la France fournissait les meilleurs soins en matière de santé et que nous avions le meilleur système au monde.
Si on se compare à notre voisin européen, il est incontestable que l’Allemagne s’en est mieux sortie que nous dans cette pandémie, avec une dépense de 13 % de son PIB en moins.
La santé est bien trop centralisée et croule sous les strates administratives.
Il y a trop d’intervenants qui ne prennent pas suffisamment en compte la réalité des territoires, en se basant sur des chiffres pour arriver à un objectif obsédant de fermetures de lits. L’organisation verticale de l’Etat fait régulièrement bondir les élus locaux et les professionnels de santé qui ne sont pas suffisamment écoutés.
Aujourd’hui, notre système de santé public tient dans cette crise épouvantable uniquement grâce au courage de nos soignants. Quand l’urgence sera passée, il faudra revoir nos fondamentaux, pas forcément en dépensant plus mais certainement en dépensant mieux et surtout en déplaçant les moyens vers les acteurs en première ligne.
RPP – Le court-termisme comptable a-t-il permis le siphonnage direct des ressources de l’hôpital ?
Olivier Dassault – 69 000 lits ont été supprimés en quinze ans. Certes, les interventions sont de moins en moins invasives et la chirurgie ambulatoire, de mieux en mieux adaptée aux pathologies, mais 69 000 lits, c’est beaucoup trop. L’humain doit rester au cœur des enjeux hospitaliers. Je préfère qu’on ferme des comités Théodule, qu’on abandonne les charges administratives imposées à nos soignants qui ont fait des études de médecine pour soigner les malades pas pour remplir des monticules de documents. Chaque expérience a ses conséquences. Ce virus aura au moins permis de mettre un coup de scalpel sur une politique dogmatique où le besoin de transparence absolue, obsessionnelle pour certains, n’est pas compatible avec la réalité du quotidien et les objectifs à atteindre : sauver des vies.
RPP – L’absence de masques pour les personnels de santé et les malades, le nombre insuffisant de lits, de respirateurs dans les établissements et de personnel de santé est dû à l’austérité imposée à la dépense publique. Une situation dénoncée depuis de nombreuses années ?
La part du financement des hôpitaux dans les dépenses de la branche maladie de la sécurité sociale est passée de 75 % il y a 30 ans à 45 % aujourd’hui. Pourquoi ?
En 2009, Roselyne Bachelot, l’ancienne ministre de la Santé avait été clouée au pilori pour avoir acheté trop de masques et de vaccins pour faire face à l’épidémie de H1N1. Aujourd’hui l’Etat a mis en place un pont aérien avec la Chine pour équiper les hôpitaux français de masques. Est-ce l’échec des politiques néolibérales ?
Olivier Dassault – L’Histoire a donné raison à Roselyne Bachelot ! Le monde a été frôlé ces dernières décennies par des menaces cataclysmiques. Aujourd’hui, c’est une réalité et nous devons nous préparer aux crises à venir. Nous ne pouvons vivre sur l’espoir que la prochaine fois, on passera encore à côté.
Le Gouvernement actuel a hérité d’une situation. Les niveaux de responsabilités seront, j’en suis sûr, démontrés grâce aux commissions d’enquêtes parlementaires.
Laisser fondre les réserves sur la seule justification qu’en cas de besoin la Chine, l’usine du monde, nous fournirait ce dont nous aurions besoin est une faute.
Le premier rôle de l’Etat est de garantir la sécurité de ses concitoyens, y compris sanitaire. C’est du domaine régalien. La France est devenue un colosse aux pieds d’argile. La dépendance vitale vis-à-vis d’un autre pays, a fortiori celui où sont nées toutes les pandémies depuis 70 ans, est une aberration que vous soyez libéral, socialiste, communiste ou souverainiste !
La santé est un sujet stratégique au même titre que la défense, l’alimentation ou les réseaux de communication.
Sans la santé, l’économie ne peut pas fonctionner.
Avant, nous vivions en théorie. Le Covid-19 a secoué nos certitudes. Il a été l’outil qui nous a fait réaliser l’indispensable.
RPP – Vous avez interpellé le ministre de la Santé sur la nécessité que chaque Français puisse se fournir un masque et subir un test COVID-19 . Comprenez-vous que les pharmaciens soient écartés ? Que la 5ème puissance mondiale ne fasse pas mieux que certains pays comme l’Autriche ou le Maroc ?
Olivier Dassault – Certaines décisions me surprennent. Dire aux Français de rester chez eux et en même temps leur demander de reprendre le travail, annoncer l’ouverture des écoles puis déclarer que ce sera basé sur le volontariat, claironner que les masques ne servent à rien et puis les rendre bientôt indispensables notamment dans les transports… ils sont perdus et ne croient plus en la parole de l’Etat, déjà fragilisée.
La gestion des masques a manqué de pragmatisme. Pourquoi autoriser les buralistes à en vendre au public et pas les pharmaciens ? Heureusement que l’exécutif a revu sa copie. J’avais d’ailleurs alerté avec vigueur le Gouvernement sur tous ces sujets.
Encore une fois, ce sont des questions de bon sens, de logique qu’on n’apprend pas forcément à l’Ena.
Quant à notre retard, par rapport à l’Autriche ou au Maroc, il ne faut pas avoir honte de reconnaître ses erreurs. Comparer les bonnes pratiques et s’en inspirer est toujours bénéfique. Cela permet d’avancer et d’être meilleur.
RPP – La solidarité entre pays européens comme le lancement d’une réserve stratégique en matériels médicaux et bientôt en vaccins devient-t-il nécessaire ?
Olivier Dassault – Effectivement, cette crise est aussi une épreuve pour l’Europe. La solidarité sanitaire a été quasiment absente. Voyons si la reconstruction économique sera au rendez-vous. Faisons que le malheur, le drame humain, que nous traversons donne naissance à des transformations salutaires. La production des besoins stratégique de la France doit dépendre des capacités de notre pays à fabriquer l’indispensable. Cette crise remet en cause toutes les certitudes, détruit des pans entiers de dogmes. C’est le moment historique de mettre fin à des millefeuilles paperassiers et de rationaliser la réglementation. On peut faire mieux avec moins de blocages et surtout en n’ayant plus peur de prendre une décision.
L’Administration a atrophié la prise de risque.
Or, pour être performant, il faut oser et accepter de se tromper. Churchill avait une excellente formule : « mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne par la gorge ».
RPP – Le Président de la République promet des moyens supplémentaires, une revalorisation des métiers. Comment remettre sur pied l’hôpital ? Que pensez-vous de La dernière loi de financement de la sécurité sociale (LFSS 2020)
Olivier Dassault – Le Président de la République a annoncé un plan massif pour l’hôpital lorsque le plus gros de la crise sera passé, dont acte. Je souhaite que les dépenses de santé soient davantage dirigées vers l’opérationnel. C’est à ce niveau d’expérience qu’on peut améliorer aussi la qualité des soins des patients, la recherche. Demain, les attentes de 4 heures aux urgences ne seront plus tolérées. Il y a aussi la « médecine de village » sur laquelle il faudra absolument mettre l’accent. Notre ruralité est confrontée à des déserts médicaux insupportables. Des cantons entiers n’ont pas de médecin généraliste. Cette pandémie n’aura pas mis l’accent sur cette situation et pourtant elle existe. C’est le symbole même de l’inégalité de traitement entre la ville et la campagne. Une agonie silencieuse qui n’a que trop duré.
RPP – Ces nouvelles pandémies nous obligent à faire face à l’imprévisible. Quel remède pour que notre système de santé ne vacille plus ? Devons-nous imaginer de nouvelles sources de financement pour nos politiques publiques de santé ?
Olivier Dassault – Gouverner, n’est-il pas de prévoir, y compris l’imprévisible pour reprendre les propos d’Emile Girardin ? Les dépenses de santé sont importantes. Il faut mieux les organiser. Je pense qu’il est davantage souhaitable de compter sur une industrie complémentaire qui répondra aux besoins immédiats. Rapatrier un pan entier de notre industrie de première nécessité est primordial, que ce soit les médicaments, les moyens de protection (masques, gel hydro alcoolique…). Nous n’avons pas souffert d’insuffisances alimentaires car la politique agricole de la France existe. Elle fait partie de notre patrimoine. Il reste encore des réformes à mener pour que nos exploitants puissent vivre dignement de leur travail. La France fait partie des pays d’excellence en matière de recherche, y compris médicale, car il existe des mesures incitatives dans le domaine, le crédit d’impôt recherche notamment. Il faudra l’amplifier.
RPP – Vous avez fait une proposition de loi sur l’engagement des entreprises au service de la Cité. Pouvez-vous nous en expliquer les grandes lignes.
Olivier Dassault – Cette difficile expérience doit aussi nous servir à poser des bases solides et retrouver le « bon sens paysan » que nous n’aurions jamais dû perdre. Ca avait fait sourire Manuel Valls, alors Premier ministre, lorsque je l’avais évoqué lors d’une question au Gouvernement. Cela est hélas, encore plus vrai aujourd’hui. La production des besoins stratégiques de la France doit dépendre des capacités de notre pays à fabriquer l’indispensable. Il existe de nombreux talents en France mais nous avons perdu la main. Tout un pan de l’industrie électronique, par exemple, est partie en Asie alors qu’au début des années 2000, nous étions une référence mondiale dans ce domaine. Pourquoi ? Pour une différence de quelques euros dans la fabrication et puis des strates de normes qui terrorisent. Quant aux masques, c’est la même chose. Nous dépendons d’une production que nous ne maîtrisons pas.
Parmi les mesures que je propose, j’invite le Gouvernement à créer un nouveau pôle de compétitivité d’entreprises, d’établissements d’enseignement supérieur et d’organismes de recherche publics ou privés.
Ce pôle regroupera les compétences sur un même territoire qui auront vocation à travailler en synergie pour mettre en œuvre des projets de développement économique innovant indispensable pour l’autonomie de la France en matière de besoins de premières nécessités.
Olivier Dassault
Député de l’Oise
Propos recueillis par Cathy Bijou