Dans une interview privée, le chef de la diplomatie iranienne Javad Zarif s’en est pris à Qassem Soleimani, icône de l’influence régionale iranienne, éliminé par l’administration Trump pour son terrorisme. L’interview révèle très clairement que le ministère iranien des Affaires étrangères est un instrument du terrorisme et de la belligérance de Téhéran. Selon les responsables du ministère, ce fichier audio était censé être destiné uniquement aux archives, et nul ne sait encore par qui et comment il a fuité sur Internet.
La parution du fichier audio de Zarif la semaine passée, moins de deux mois avant les élections présidentielles iraniennes, fut le sujet de spéculations en tout genre lors de la réunion de Vienne de cette semaine. Voici une analyse des conséquences de la publication de cet audio dans le climat actuel du régime iranien.
Le paysage politique iranien, y compris la récente réunion de Vienne, est fortement affecté par les élections présidentielles à venir en Iran. Cette élection est critique pour le régime, et pourrait influencer son futur plus que toute autre élection des 40 dernières années. Un journal gouvernemental proche de Khamenei reporte que la parution de l’audio de Zarif est du même niveau que celle de l’Ayatollah Montazeri sur le massacre de prisonniers politiques en 1988, parue à peu près un an avant l’élection de 2016. Dans cet audio, l’Ayatollah Montazeri s’adressait à plusieurs membres d’un escadron de la mort, dont le candidat présidentiel opposé à Rouhani, en leur reprochant d’avoir commis des crimes atroces sans précédent dans l’histoire de la république islamique, citant notamment l’exécution sommaire d’une femme enceinte. Le journal soutient que Rouhani réussit à dépasser son rival, Raisi ,actuel chef du pouvoir judiciaire, grâce à ce fichier audio. De la même manière avec son enregistrement, Zarif aurait apparemment l’intention de discréditer le chef de la magistrature actuel, Ibrahim Ra’isi, vraisemblablement le seul candidat présidentiel de Khamenei.
Une semaine avant la parution de l’enregistrement de Zarif, plus de 220 membres de l’assemblée consultative islamique écrivirent à Ibrahim Ra’isi, demandant sa candidature dans les prochaines élections présidentielles.
Aux élections de Mars 2012, le conseil des gardiens de la constitution disqualifiait tous les candidats des autres factions, même ceux avec plusieurs mandats au parlement à leur nom, afin d’assurer une loyauté complète du parlement à Khamenei. Avant cette lettre de 200 membres du parlement, Khamenei refusa la candidature de Hassan Khomeini, petit-fils du fondateur de la république islamique, appartenant à la faction dite réformiste.
Lors du premier jour du calendrier iranien, Nowruz, le 21 Mars 2021, Khamenei déclara : « La dernière chose concernant les élections est que notre chère nation doit faire des élections un symbole d’unité nationale. Ne pensez pas du symbole de la dualité comme d’un symbole de division. Ne pratiquez pas et n’idéalisez pas la bipolarité. Mettez de côté ces fausses divisions de gauche et de droite et autres. » (Khamenei – 1er avril 1400). En termes francs, comme tout dictateur qui se croit en danger, il veut s’entourer de sujets loyaux dans l’espoir de prolonger son règne.
Les révoltes générales de 2017 et 2019 sont des développements clés pour comprendre la stratégie du guide suprême d’Iran et les élections présidentielles proches. Ces deux révoltes, qui surprirent le régime iranien, furent suscitées par un mélange de pauvreté inégalée, de prix élevés, et d’inflation. Khamenei survécut à la révolte de 2019 uniquement en ordonnant à ses gardes de tirer directement sur les manifestants, résultant en la mort d’au moins 1500 jeunes insurgés.
Dans l’un de ses discours, Rouhani déclara qu’après la révolte de 2017, l’ancien président américain Trump osa quitter l’accord nucléaire de 2015 (JCoPA). Selon certaines informations obtenues par les milieux du renseignement iranien, Trump a osé tuer Soleimani après le soulèvement de 2019, la deuxième personne en charge du régime iranien. L’armée populaire des affamés, sans emploi et autres, est en marche et menace Khamenei.
Plusieurs officiels du régime s’attendaient à la révolte suivante en été 2020. Une telle révolte aurait potentiellement pu renverser le gouvernement, mais la pandémie de Covid arriva, redirigeant l’attention nationale loin des actions du régime. Khamenei vit cette pandémie comme une bénédiction et une opportunité. Profitant du coronavirus et du massacre qui s’ensuivit, Khamenei voulut éviter une autre révolte par des jeunes insurgés en créant du désespoir et de l’impuissance sociale. C’est dans ce but qu’il émit une fatwa interdisant l’import de vaccins fiables provenant de France, de Grande-Bretagne, ou des Etats-Unis. Disons simplement que la révolte des Baloutches en mars 2020 prouve l’échec de cette stratégie de Khamenei.
Tout simplement, Khamenei aimerait limiter les candidatures présidentielles à son cercle restreint de loyalistes. Le conseil des gardiens de la constitution disqualifiera donc toute autre candidature. Zarif aurait probablement été l’un de ces candidats, mais après la lettre des 220 membres de l’assemblée consultative, cette option sembla bien futile. C’est après cela que la fuite de l’enregistrement s’ensuivit.
Deux petits mois avant les élections présidentielles, et lors de la conférence de Vienne avec l’Iran, Khamenei joua avec les soi-disant modérés Rouhani et Zarif pour influencer les négociations à Vienne en la faveur iranienne. Il est maintenant plus facile de comprendre pourquoi Zarif fuita son enregistrement durant ces négociations.
Compte tenu de la situation volatile en Iran, Khamenei évite fortement d’être bipolaire, de confronter deux factions à la fois au sein de son régime, ayant eu l’expérience de la révolte de 2019. Toute étincelle provenant des confrontations entre ces deux factions pourrait déclencher des manifestations et des protestations généralisées.
Dans son enregistrement, Zarif tente de se distancer de dossiers internationaux sensibles, tel le crash d’un avion ukrainien ou le massacre des Syriens par la force Al-Qods, afin de jouer les innocents. L’enregistrement lui permet de présenter des mains propres face aux mains ensanglantées de Qassem Soleimani (qui le traite d’unité de combat et est, en fait, une icône de l’assassinat, du meurtre et de la politique interventionniste du Guide suprême).
Ces dernières années, Zarif apporta son soutien aux politiques iraniennes au travers de conversations, tweets, négociations, et voyages officiels. Cette participation active ne montre-t-elle pas une complicité dans les crimes de la république islamique ? Zarif déclare dans son enregistrement que « la plupart des ambassadeurs du ministère des affaires étrangères ont une structure de sécurité. Notre ministère des affaires étrangères est confronté à des problèmes de sécurité depuis le début de son activité. L’agenda du ministère des affaires étrangères est un agenda politique et sécuritaire depuis le début de la révolution. »
Le 4 février 2021, un tribunal à Antwerp, en Belgique, rendit son verdict dans l’affaire d’Assadollah Assadi, un diplomate iranien impliqué dans la planification d’une attaque terroriste contre un rassemblement important de membres de l’opposition iranienne en France, en 2018. L’attaque fut arrêtée grâce à une collaboration entre les autorités de plusieurs pays, entraînant l’état d’arrestation d’Assadi. Le tribunal l’a condamné à 20 ans de prison pour des charges de terrorisme. Ce verdict est le premier à condamner un diplomate actif avec une telle sentence.
Le 5 Mai 2021, les avocats d’Assadi refusèrent l’opportunité de faire appel, ce qui veut dire que le verdict tiendra ferme et la sentence sera appliquée. Selon des documents obtenus par la police allemande, Assadi voyagea des centaines de fois dans 11 pays européens, et possédait des documents prouvant des paiements émis en liquide à des douzaines d’opérateurs iraniens. « Le procès d’Assadollah Assadi représente la pointe d’un iceberg terroriste énorme », dit Struvan Stevenson, ancien membre du parlement européen, « un diplomate ne peut pas faire des centaines de voyages dans plusieurs pays sans autorisation de son ambassadeur. L’ambassadeur tiend son autorité de Tehran. Il n’y a donc aucun doute que ce complot implique Khamenei, Rouhani, Zarif, et le ministre de l’intelligence Mahmoud Alavi. »
Zarif était sans doute au courant de toutes ces activités et a essayé d’utiliser la diplomatie au service des politiques belliqueuses et interventionnistes du régime. Rouhani et ses querelles avec le guide suprême n’ont rien à voir avec le réformisme, tel l’arrêt des exécutions et des horribles violations des droits de l’homme et la vie pacifique avec les autres pays, mais sont simplement liées à l’obtention d’une parcelle de pouvoir et rien d’autre.
Hamid Enayat
Ecrivain et expert de l’Iran