Alors que la France accueille en décembre le Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert, Jean-Vincent Placé, secrétaire d’Etat chargé de la réforme de l’Etat et de la simplification, nous fait part de ses réflexions sur l’ouverture des données publiques.
Revue Politique et Parlementaire – La défiance des citoyens envers les institutions n’a jamais été aussi forte. Pensez-vous que l’ouverture des données publiques, qui permet une plus grande transparence de leur fonctionnement, rétablira la confiance ?
Jean-Vincent Placé – Depuis 2012, le Gouvernement s’est engagé dans une dynamique de réforme de l’État, de simplification et de transparence – une puissante transformation pour construire, ensemble, des politiques plus concertées, donc plus justes et efficaces. Cela participe à la réponse au sentiment de défiance que ressentent certains Français. Ce basculement est rendu possible grâce à la révolution numérique, qui constitue une occasion historique de « revivifier notre démocratie », selon les mots du président de la République, notamment en ouvrant les données publiques. Comme le souligne le Conseil d’État, elle « ouvre à tous citoyens un droit de regard sur les moyens et les résultats des politiques publiques, lui permettant de dénoncer les dysfonctionnements, voire de contribuer à leur résolution ».
Cette ouverture serait cependant inutile si les données libérées ne sont pas utilisées. Le portail data.gouv.fr, qui compte près de 20 000 jeux de données, valorise ceux qui créent des services sur la base des données des administrations. Parmi ces initiatives, nous pouvons citer Handistrict, qui permet aux personnes en situation de handicap de s’informer sur les lieux dans lesquels elles peuvent se rendre grâce aux cartes et informations publiques. Home’n’go est un service gratuit qui centralise les annonces immobilières des principaux sites du secteur et permet aux utilisateurs d’obtenir des informations détaillées et pertinentes concernant le cadre de vie autour du logement qui les intéresse, grâce aux données publiques.
En parallèle, les administrations généralisent la pratique de concours, que l’on appelle « hackathons », où les agents travaillent avec des porteurs de projets et des développeurs pour créer ensemble des services basés sur l’open data. En témoigne la #Datasession de la Cour des comptes, organisée en mai dernier. Grâce aux jeux de données rendus disponibles, une soixantaine de participants, parmi lesquels des data scientists, des designers et des juristes, ont notamment élaboré un outil de suivi de la santé financière des collectivités locales.
La Base d’Adresses Nationale collaborative est également un bel exemple de cette collaboration qui crée de la valeur économique et sociale. Cette base de données a pour but de référencer les coordonnées géographiques de l’intégralité des adresses du territoire français, mais de manière totalement anonyme. Constituée à partir des bases d’adresses de La Poste, de l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) et de la Direction générale des Finances publiques (DGFiP), elle est enrichie par les contributions citoyennes, via l’association OpenStreetMap France.
Vous voyez, nous donnons à chacun la possibilité de renforcer le service public ! C’est un changement culturel énorme et cela redonne confiance en l’action publique.
RPP – Comment encourager les citoyens à se saisir de l’open data à des fins démocratiques ?
Jean-Vincent Placé – La démarche open data promue par le gouvernement s’inspire profondément de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui proclamait le droit de tous les citoyens de concourir à l’élaboration de la loi et que tout agent public puisse rendre des comptes de son administration : le lien avec l’esprit de la démocratie est évident.
La politique d’ouverture et de partage des données publiques (« Open data ») est pilotée, sous l’autorité du Premier ministre, par la mission Etalab qui accompagne les administrations dans leur démarche open data, agit aussi pour que chaque citoyen puisse profiter, dans les meilleures conditions possibles, des informations produites par des administrations publiques. Etalab coordonne l’action des services de l’État et de ses établissements publics pour faciliter la réutilisation la plus large possible de leurs informations publiques et collabore avec des associations et des entreprises qui proposent des outils numériques améliorant l’engagement citoyen et libérant une intelligence collective. On les appelle parfois les « civic tech », car ces outils sont d’utilité civique, démocratique. Ils permettent au plus grand nombre de mieux connaître, comprendre et orienter la décision publique, comme le site lafabriquedelaloi.fr qui explore en profondeur près de trois cents projets de loi. Le gouvernement, mais aussi les assemblées, travaillent également à une ouverture et une participation des citoyens à l’élaboration de la loi.
En parallèle, la France prendra, à l’automne, la présidence du Partenariat pour un gouvernement ouvert, qui promeut ces initiatives dans soixante-dix pays. Le Sommet mondial de l’organisation, qui se déroulera à Paris, en décembre, sera un moment unique où la société civile mondiale viendra en France pour montrer les meilleures pratiques en la matière.
Et nous espérons, grâce au Sommet mondial, créer un catalogue des outils du gouvernement ouvert, dont des services basés sur l’open data.
RPP – La France a perdu sept places dans l’Open data Index 2015, passant de la 3e à la 10e position. Comment expliquez-vous cela ?
Jean-Vincent Placé – On pourrait croire, avec ce seul classement, que la dynamique open data s’est arrêtée brutalement en 2014. C’est tout le contraire ! La différence s’explique notamment par un changement de méthodologie du classement qui modifie les rangs entre les pays les plus avancés, dont la France. Les progrès sont en fait continus et la France est d’ailleurs deuxième de l’Open Data Barometer, publié en avril 2016.
Première avancée majeure, la « loi gratuité », votée en décembre 2015, consolide, simplifie et modernise le cadre législatif de l’ouverture des données publiques et pose le principe de leur gratuité par défaut. Désormais, payer pour réutiliser une donnée publique est l’exception. Deuxième étape législative, la loi pour une République numérique, portée par Axelle Lemaire, publiée dans quelques semaines, qui élargit encore le champ des données mises à disposition, « dans un standard ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé », selon les termes techniques. Avec l’ouverture des données de transport, l’accès renforcé aux données de santé, la loi NOTRe qui renforce l’open data des collectivités territoriales, la production législative sur le sujet n’est donc pas mince.
Mais, l’open data, ce n’est pas que la loi. En janvier 2016, le gouvernement a acté la libération de la base SIRENE, le registre qui compile les données de base de près de dix millions d’entreprises ; elle sera effective en janvier 2017. Les bénéfices potentiels de cette base de données pour l’économie et la société sont considérables : de nouveaux services de recherche d’emploi, le développement commercial des entreprises ou encore l’accès simplifié aux marchés publics…
Et quand je vois que la Direction générale des Finances publiques a ouvert à tous le code source de son calculateur de l’impôt sur le revenu, une démarche de transparence inédite, je me dis que la France mérite d’être dans le peloton de tête de l’ouverture des données au plan mondial !
RPP – La France a rejoint, en avril 2014, le Partenariat pour un gouvernement ouvert (PGO). De quoi s’agit-il ?
Jean-Vincent Placé – Créé en 2011 par huit pays, ce Partenariat est une initiative multilatérale qui compte aujourd’hui soixante-dix membres et rassemble, dans une gouvernance collégiale, des représentants des États et des gouvernements, ainsi que des ONG et des membres de la société civile.
S’appuyant sur les principes énoncés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, cette plateforme internationale d’un nouveau genre s’attache à lutter contre la corruption, à promouvoir la transparence de l’action publique et son ouverture à de nouvelles formes de concertation, de participation et de collaboration avec la société civile.
Au niveau national, ce Partenariat contribue, dans chaque pays membre, à nourrir le dialogue entre l’État et la société civile, grâce à l’élaboration de « Plans d’action nationaux » qui visent à améliorer l’action publique en accompagnant sa modernisation.
C’est aussi cela, répondre à la défiance.
Reconnue au plan international pour ses initiatives en la matière, la France assumera la présidence de l’organisation pour un an, conjointement avec l’ONG World Ressources Institute, à partir de septembre, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, à New York, en présence du président de la République.
RPP – Dans le cadre de ce partenariat, la France a élaboré un plan d’action national pour 2015-2017 intitulé « Pour une action publique transparente et collaborative ». Quels en sont les grands axes ?
Jean-Vincent Placé – Avec le projet de loi Transparence, les déclarations d’intérêt et de patrimoine de 10 000 décideurs publics, les consultations sur des textes législatifs ou les progrès de l’ouverture des données publiques, nous redynamisons la démocratie à l’ère du numérique. Notre pays, historiquement pionnier sur ces sujets, peut aller encore plus loin. Le « Plan national pour une action publique transparente et collaborative » est une étape importante pour y parvenir.
Publié en juillet 2015, ce plan, signé par le président de la République, rassemble vingt-six engagements ministériels d’une portée de deux ans (juillet 2015-juillet 2017). Il est le fruit d’une longue concertation avec la société civile, au sein de l’administration, ainsi qu’avec les autorités indépendantes. Ce plan appuie la volonté de l’exécutif de progresser vers un gouvernement plus ouvert à la contribution des citoyens, dans une démarche d’efficacité collective. Pour cela, il insiste sur la nécessité que la puissance publique puisse rendre des comptes, consulter, concerter et coproduire son action, partager les ressources numériques utiles à l’innovation économique et sociale et poursuivre l’ouverture de son administration. Ces thématiques structurantes sont complétées par des engagements spécifiques relatifs au climat et au développement durable, enjeux de long terme qui appellent l’implication de tous. Aujourd’hui, ils inspirent profondément la méthode de dialogue avec la société civile planétaire (plus de 10 000 personnes rassemblées à Paris en juin dernier) dans le suivi des engagements de l’accord de la COP21, obtenu en décembre dernier.
Pour prendre des exemples concrets, la publication des bénéficiaires effectifs des trusts, annoncée par Michel Sapin au sommet anti-corruption de Londres, en mai dernier, correspond à un engagement du plan. L’ouverture des modèles de climat de Météo France en amont de la COP21, pour partager le plus largement possible les solutions contre le réchauffement climatique, était, elle aussi, dans notre plan d’action.
La mise en œuvre de ces engagements sera évaluée en juillet 2017 par un comité d’experts indépendant – « Independent Reporting Mechanism ». J’ai également souhaité qu’un format inédit d’évènement collaboratif ait lieu dans mon ministère pour accélérer le dialogue avec les acteurs les plus impliqués sur ces questions. Cet évènement « Ministère Ouvert », qui a eu lieu le 21 juin dernier, a vocation à se décliner dans d’autres ministères pour systématiser le dialogue entre agents et citoyens dans tous les domaines. L’enjeu est de créer des boucles d’amélioration continue des politiques publiques, grâce à ces échanges.
RPP – La France prendra la présidence du PGO en septembre. À ce titre elle accueillera en décembre 2016 le Sommet mondial du PGO à Paris. Quels sont les enjeux de ce sommet ?
Jean-Vincent Placé – La France, en tant que présidente, organise le Sommet mondial du Partenariat pour un gouvernement ouvert. Lors de ses vœux au corps diplomatique de janvier 2016, le président de la République a annoncé ce sommet pour les 7, 8 et 9 décembre 2016 ; un an après la COP21, ce sera la « COP21 de la démocratie » !
Le Sommet mondial sera le reflet de l’agenda de la France dans le PGO et combinera un rassemblement de chefs d’État et de gouvernements, la participation de délégations officielles des soixante-dix pays membres ou de pays intéressés à le devenir, ainsi que plusieurs événements organisés avec la société civile – notamment des conférences, des ateliers participatifs et un hackathon international.
Le programme de ce sommet reprendra les grandes thématiques de l’agenda français. La lutte contre le dérèglement climatique, la transparence de la vie publique et économique, la lutte contre la corruption et le rôle des États comme pourvoyeurs de services publics à l’ère numérique en seront les éléments structurants. De plus, cet évènement est conçu avec les collectivités locales, les associations, les chercheurs, avec les citoyens eux-mêmes… c’est une démarche inédite !
Un atelier de préparation, là encore dans mon ministère, a lancé la démarche le 20 avril dernier. Cinq autres membres du Gouvernement étaient à mes côtés pour témoigner de l’engagement de leurs administrations dans ce mouvement qui place la France à l’avant-garde de la réforme de l’État. Une plateforme a été mise en ligne (https://fr.ogpsummit.org) pour permettre à toutes et tous de contribuer à l’élaboration du programme du Sommet mondial. En faisant ce choix de la co-construction, le Gouvernement entend confirmer, par l’exemple, que l’on peut renouveler le service public et moderniser la démocratie, ensemble.
RPP – La réforme de l’État va t-elle passer par la dématérialisation des documents électoraux lors de l’élection présidentielle de 2017, comme certains parlementaires le proposent ?
Jean-Vincent Placé – La révolution numérique est une formidable opportunité pour l’État de se transformer en profondeur. Elle permet d’accélérer la réforme de l’État, facteur de renouveau démocratique. Dans cette logique, la propagande électorale sera dématérialisée dès les échéances électorales de 2017. Elle sera mise en ligne en répondant aux impératifs d’accessibilité sur le site Internet de la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), hébergé par le Conseil d’État. Il n’y a plus qu’à attendre que la propagande soit rédigée pour que le changement soit effectif, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, bien entendu !
Si certains se sont opposés à cette dématérialisation que prône le maintien d’une « dimension humaine » dans la relation entre usagers et services publics, j’estime que le débat est mal posé. Le numérique ne s’oppose pas à l’humain !
Le numérique, c’est justement une relation avec l’administration plus rapide et plus simple, mais cela ne doit pas se faire au détriment de publics éloignés, fragiles et peu familiarisés avec les outils informatiques.
Aussi, toutes les dispositions ont été prises par le ministère de l’Intérieur pour que la transition se fasse dans les meilleures conditions, via une plateforme facile d’accès, y compris pour les personnes en situation de handicap, aux besoins desquels les sites publics doivent répondre.
De plus, 10 000 Espaces Publics Numériques (EPN) de proximité, portés par des collectivités territoriales sous convention avec différents services publics nationaux, sont en train d’être déployés. Ce dispositif promeut le « numérique pour tous » et doit rassembler tous les espaces publics numériques de proximité tels que les médiathèques. Il regroupera ainsi l’ensemble des acteurs qui mènent un travail d’information autour du numérique au plus près des citoyens pour les accompagner au quotidien
Jean-Vincent Placé
Secrétaire d’Etat
Propos recueillis par Florence Delivertoux
Photo : Wikipédia