Lors d’une table ronde récente avec des jeunes, j’ai été surprise que certains disent publiquement qu’ils voteront Zemmour, tout en affirmant n’avoir aucun problème avec l’immigration. Intriguée et inquiète par cette double assertion, il s’agissait de me renseigner sur le vote des jeunes pour infirmer ou confirmer une impression peu réjouissante : les jeunes s’abstiennent ou sont à la droite de la droite.
Abstention et centrisme
À la suite de l’abstention massive des jeunes aux élections régionales (87%), sondages et enquêtes se centrent sur ce fait, avec un lieu commun souvent partagé : les jeunes boudent les urnes.
Dans ce contexte morose, la lecture de l’enquête Ipsos pour la FAGE selon laquelle 8 jeunes sur 10 envisagent de voter aux élections présidentielles redonne espoir1. Mais ce dernier est rapidement balayé par l’enquête électorale 2022 menée par l’Ipsos, le CEVIPOF, Le Monde et la Fondation Jean Jaurès dont la méthodologie et le panel sont plus solides : un jeune sur deux est certain d’aller voter le 10 avril2. C’est de loin la catégorie la plus incertaine quant à l’acte même du vote, ce qui s’explique notamment par un sentiment de non-représentation et de non-écoute des 18-24 ans. Si de nombreux articles vont dans ce sens, peu mettent en avant des chiffres qui apparaissent pourtant dans tous les sondages récents : les « jeunes » dans leur acceptation la plus large plébiscitent Macron et se reconnaissent majoritairement au centre. On est bien loin d’une jeunesse qui s’extrémise, avec le taux le plus faible d’intention de vote pour Zemmour ! Pour autant, après le président actuel les préférences des votants âgés de 18 à 34 ans vont à Jean Luc Mélenchon et Marine le Pen, pour respectivement 38% et 30% des intentions : nous voici à présent loin du centre…
Les jeunesses de tous les paradoxes ?
A la lecture des différents sondages et de l’enquête « Une jeunesse plurielle » de l’Institut Montaigne, le paradoxe semble le propre de la jeunesse. Dans cette enquête, l’écart entre les causes qui sont chères aux 18-24 ans et leur traduction partisane s’incarne dans un exemple emblématique : alors que l’environnement et l’écologie apparaissent comme une préoccupation majeure de cette génération, à peine 11% des interrogés se sentent proche d’EELV3. Ce phénomène paraît irriguer le comportement politique des jeunes avec 43% d’entre eux qui ne s’identifient ni à gauche, ni à droite, marquant clairement une désaffection pour la démocratie des partis, si ce n’est pour le gouvernement représentatif.
Cette difficulté à se positionner sur l’échiquier politique et à se projeter dans le système électoral, n’implique pas une absence d’engagement politique de la jeunesse.
Celui-ci se fait à des échelles plus locales et pour des causes perçues comme essentielles : solidarité, immigration, climat… Dès lors il faut que l’offre politique réponde aux enjeux qui semblent réservés aux associations alors qu’ils concernent les nouvelles générations : aide pour les jeunes aussi bien en termes de pouvoir d’achat que d’insertion, prise en compte d’une nécessaire solidarité intergénérationnelle, attention portée à l’environnement local, mais aussi des politiques publiques plus concrètes concernant par exemple la mobilité et l’accès à la formation en milieu rural. Ce faisant, il serait possible de répondre à l’attrait du Rassemblement National chez les jeunes plus vulnérables des territoires les moins dotés4, en s’inspirant de certains combats portés par divers courants et les associations de jeunesse.
Redonner foi dans la démocratie : un impératif d’écoute et de confiance
Si certains comportements politiques sont caractéristiques de cette jeunesse plurielle5, d’autres sont clairement en phase avec l’ensemble de la société française.
En premier lieu, la désaffiliation pour la démocratie représentative et « ses élites » est une tendance de fond accentuée par le mouvement des gilets jaunes6, même si elle s’exprime plus distinctement chez les jeunes : seul un sur deux d’entre eux se dit « fortement attaché à la démocratie », contre 75% des baby-boomers. En second lieu, une droitisation de la France qui est une évidence au regard des intentions cumulées pour les candidats se réclamant de la droite (environ 45%) et de la brutalisation du discours dont certains d’entre eux font preuve.
Pour redonner foi dans la démocratie aux jeunes et aux moins jeunes, il est essentiel de recréer des conditions de confiance et d’écoute. En ce qui concerne nos plus jeunes électeurs, inclure leurs préoccupations principales dans le débat pourrait être un point de départ, mais également leur donner plus de représentativité en politique et pourquoi pas accentuer les dispositifs de démocratie délibérative et de proximité. De nombreux jeunes s’engagent : sachons comment les accueillir dans les instances représentatives, dans le débat public, bref les entendre !
Rosie Bordet
Cheffe d’entreprise
Elue dans l’Ille-et-Vilaine
- https://www.fage.org/election-presidentielle/enquete-presidentielle.htm. ↩
- https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Rapport%20Ipsos_CEVIPOF%20LEMONDE%20FJJ%20_Enque%cc%82te%20e%cc%81lectorale%202022%20vague%206%20-%202-3%20mars%202022.pdf. ↩
- https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/une-jeunesse-plurielle-enquete-aupres-des-18-24-ans-rapport.pdf. ↩
- Marine Le Pen arrive soit deuxième, soit troisième dans les intentions de vote des 18 – 30 ans : https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/01/118812-Rapport-V2.pdf. ↩
- https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-une-enquete-revele-le-desinteret-des-jeunes-francais-pour-la-politique-20220203. ↩
- https://www.ipsos.com/fr-fr/une-crise-de-la-representation-politique-plus-forte-que-jamais. ↩