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dans N°1085-1086, Politique

La constance du pouvoir présidentiel de la Ve République

Jean-Philippe DerosierParJean-Philippe Derosier
28 juin 2018
Le pouvoir présidentiel de la Ve République

Le pouvoir présidentiel a été exercé avec la même constance tout au long de la Ve République. Ni le quinquennat ni Emmanuel Macron ne l’ont renforcé car, dès 1958, la Constitution avait pour vocation d’instituer un président de la République en mesure de diriger l’État, qui s’élève grâce à l’élection présidentielle, pour dominer les autres institutions qui le soutiennent, à travers les élections législatives.

Cette constance n’a toutefois pas été exempte d’évolutions, qui concernent davantage les styles présidentiels, propres à chaque titulaire de la fonction. Emmanuel Macron n’y déroge pas et, alors qu’il a accédé au pouvoir au terme d’une élection exceptionnelle, il a souhaité renouer avec un style ancien, mais modernisé, tout en étant incapable de s’y contenir pour finalement verser dans un style contemporain, mais risqué.

On le prédisait « arbitre », il se disait « en charge de l’essentiel ». On le découvrit capitaine, il prend en charge l’existentiel. Ce constat vis-à-vis du président de la Ve République mérite quelques rappels et un bref éclaircissement. L’ « arbitrage », moyen et non mission, est ce qui caractérise le président de la République dans l’exercice de son pouvoir, en vertu de l’article 5 de la Constitution. Neutre et atemporel, il aurait pu concerner tout président, en particulier ceux des IIIe et IVe Républiques1. Vague, il se prête à de nombreuses interprétations, des partisans d’un président en retrait, à l’instar des Républiques précédentes, à Michel Debré qui y voyait le fondement du pouvoir de solliciter un autre pouvoir, conformément à l’article 19 de la Constitution2. L’interprétation qui allait finalement prévaloir était naturellement celle des détenteurs de la fonction, à commencer par le premier d’entre eux : le général de gaulle. Il lui accola toutefois une signification non moins équivoque, considérant que le chef de l’État devait être « en charge de l’essentiel »3, ce qui signifiait, selon lui, que ce chef devait être placé « au-dessus des fluctuations »4 l’attribution de servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques ».] partisanes. Cela revêtait deux aspects : élévation et domination. Par l’élévation, associée à la neutralité inhérente à l’arbitrage, le président de la République supervise : il remplit les missions que lui attribue l’article 5 (garant de la Constitution, de la continuité de l’État, du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l’intégrité du territoire, du respect des traités) et constitue le recours en cas de crise. Mais cet article n’a jamais eu vocation à épuiser les missions du chef de l’État, ne serait-ce que parce que la Constitution lui en confère d’autres5. Par la domination, il est alors conduit à prendre des décisions qui s’imposeront à ceux qu’il est en mesure de dominer : plus qu’arbitre, il se fait capitaine.

Jamais il n’a été question que la Constitution de la Ve République assigne une mission différente au président. On le sait dès le discours de Bayeux, où le général de Gaulle souligne que le chef de l’État doit avoir « la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement » et d’user du « conseil » pour diriger le pays. On le retrouve lors de l’élaboration de la Constitution, lorsque ce même général se présente devant le Comité consultatif constitutionnel, pour répondre à ses questions et, surtout, défendre le rôle du président de la République6. On le voit lorsque lui-même, puis ses successeurs, exercent le pouvoir en s’appuyant sur « leur » Premier ministre et « leur » majorité, c’est-à-dire celui et celle dont ils ont eux-mêmes permis la nomination et l’élection, pour mener la politique pour laquelle ils ont été élus7 Il se trouve maintenant au palais Bourbon une majorité assez compacte, homogène et résolue pour appuyer constamment par sa confiance et rendre efficace par son œuvre législative une seule et même politique […] », Mémoires d’espoir. L’effort : 1962– (t. II), Plon, Paris, 1971.].

Il faut ainsi couper court à une idée reçue : on soutient fréquemment que le quinquennat et la synchronisation des élections présidentielle et législatives auraient renforcé la présidentialisation du régime. Il n’en est rien car la place et le rôle du président de la République demeurent inchangés depuis 1958. Seulement, jusqu’en 2000 et le septennat couplé au quinquennat, la vie et l’action politiques étaient confrontées à une arythmie, le président ne disposant jamais de sept ans pour mener ses réformes, mais devant composer avec des élections législatives intermédiaires, qui ne lui garantissaient pas une majorité pérenne8.

Ce n’est donc pas le quinquennat qui a présidentialisé le régime, mais la présidentialisation du régime qui a rendu nécessaire le quinquennat9.

Ce qui a changé, en revanche, c’est le mode de communication du Président, principalement sous l’impulsion des technologies modernes, des réseaux sociaux et des chaînes d’information continue, qui conduisent à préférer la réaction souvent inexpliquée à l’explication sereine de l’action, la parole spontanée au discours maturé, la réponse immédiatement éclatante à la solution mûrement réfléchie. C’est ainsi que le président de la République se retrouve en charge de l’existentiel, chargé de tous les maux de l’existence, que les citoyens lui imputent, qu’ils l’aient élu ou combattu. Il se voit alors contraint de répondre à leurs préoccupations et, là où autrefois il privilégiait un savoir-faire discret, laissant son Premier ministre « durer et endurer » selon les mots du général de Gaulle, il verse aujourd’hui dans le faire savoir apparent, montrant que s’il peut endurer, c’est rarement dans la durée.

Souhaitant rompre avec « l’ancien monde », l’actuel président de la République a-t-il transformé cette façon d’exercer le pouvoir ? Nullement. Et soutenir l’inverse serait faire preuve d’une certaine naïveté, alimentée par des médias ou des courants politiques à la mémoire courte. Au contraire, bien qu’attribué à l’issue d’une élection exceptionnelle, le pouvoir présidentiel persévère dans son être, identique à ce qu’il est depuis le début de la Ve République.

Exception de l’élection

Le 7 mai 2017, avec 66,10 % des suffrages exprimés, Emmanuel Macron devient le huitième président de la Ve République, le plus jeune de l’histoire, remportant l’élection la plus exceptionnelle. Le résultat fut sans appel, meilleur que la plupart des pronostics, mais moins bon que ce que les défenseurs de la République auraient aimé voir. C’est le deuxième meilleur score depuis 1965, après celui de Jacques Chirac, élu en 2002 avec 82,21 % des voix. À chaque fois, c’était face au Front national. Il n’y a pas de quoi s’en réjouir. L’abstention atteint 25,44 %. Là aussi, c’est le deuxième « meilleur » score, après celui de 1969, où elle avait atteint 31,15 % au second tour. Il n’y a toujours pas de quoi s’en réjouir.

Président par accident

Pour autant, Emmanuel Macron devient président de la République par accident. Il ne s’agit nullement de lui contester sa légitimité, qui, bien que certaine, est déjà écorchée par l’abstention et les circonstances du second tour. C’est un simple constat : si l’on retire un seul des deux faits cumulés, survenus respectivement le 1er décembre 2016 et le 25 janvier 2017, il ne serait pas président.

Au soir du 23 avril 2017, premier tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a réussi le pari le plus osé de la Ve République. En à peine trois ans, depuis qu’il était devenu ministre de l’Économie en août 2014, sans avoir occupé aucune autre fonction gouvernementale ou élective auparavant, il est parvenu à se créer une légitimité et une crédibilité politiques, à se faire un nom, à prouver ses compétences. En à peine un an, il a d’abord réussi à fonder un mouvement, devenu véritable parti politique, ensuite à se créer un statut de présidentiable, puis à tisser un maillage territorial et à lever des fonds suffisants pour mener une campagne présidentielle, enfin à engranger des soutiens de droite et de gauche, renforçant sa crédibilité.

Le 23 avril, il a réussi à occuper l’espace politique qui donne systématiquement la victoire à l’élection présidentielle mais qui, paradoxalement, n’avait jamais lui-même remporté cette élection : le centre.

L’élection présidentielle, en France, se gagne au centre, mais toujours à partir de l’un des deux pôles qui parvient à le capter. Cette fois-ci, elle s’est encore gagnée au centre, mais par le centre lui-même. Car, ce soir-là, l’issue du scrutin du 7 mai ne faisait guère de doute : Emmanuel Macron sera président de la République. Ce n’était pas faire preuve d’une assurance déplacée, mais simplement de lucidité. Ses propres voix, ajoutées à celles qui refusaient que Marine Le Pen soit élue, de Jean-Luc Mélenchon à François Fillon, auraient toujours été plus nombreuses que celles qui auraient soutenu le Front national. L’inconnue résidait dans l’ampleur de la victoire. On savait déjà qu’il ne l’emporterait pas avec autant d’avance que Jacques Chirac en 2002 (plus de 82 % des voix), on se demandait s’il parviendrait à dépasser la barre des 60 % et à détenir ainsi le deuxième meilleur score depuis 1965.

On pouvait également relever que la surprise de son pari gagnant n’avait d’égale que celle de l’absence des deux partis de gouvernement, au second tour. Le score d’Emmanuel Macron était aussi historiquement élevé que celui de Benoît Hamon était historiquement faible (seul Gaston Defferre avait fait pire, en 1965, avec 5,01 %). La qualification d’Emmanuel Macron était aussi étonnante que l’élimination de François Fillon était stupéfiante. Or tout cela n’était dû qu’au renoncement de François Hollande à être candidat, le 1er décembre 2016 et à « l’affaire Fillon », déchaînée par Le Canard enchaîné, le 25 janvier 2017. Le premier avait ouvert un espace politique, que Benoît Hamon n’est pas parvenu à occuper, sans doute parce qu’il ne le souhaitait pas, conduisant à ce que les électeurs d’Emmanuel Macron soient principalement ceux de François Hollande, en 2012. La seconde a fait perdre le candidat que tous, ou presque, considéraient comme le prochain président de la République, dès le 29 novembre 2016, soir du second tour de « la primaire de la droite et du centre ».

Législatives sans dérive

Passée cette élection exceptionnelle, la Ve République a retrouvé son extraordinaire régularité, dès les élections législatives. Jusqu’à présent, tout président élu et confronté, dans la foulée, à des élections législatives, a obtenu une majorité pour gouverner et appliquer son programme. De 1981 à 2012, en passant par 1988, 2002 et 2007, aucune exception. L’élection présidentielle a un effet d’entraînement et un effet structurant. D’entraînement, car le président a été élu pour accomplir un programme politique et les électeurs lui donnent ensuite la majorité dont il a besoin pour le mettre en œuvre : faire le contraire serait se dédire. Structurant, car il n’y a, au second tour de la présidentielle, que deux candidats, donc deux camps et un seul l’emporte10. Le mode de scrutin des législatives, proche du scrutin de la présidentielle, a tendance à reproduire le même schéma, avec le même résultat.

Mais contrairement aux cas antérieurs, Emmanuel Macron partait avec un double handicap : un électorat hétérogène, un mouvement hétéroclite. À la différence des autres majorités présidentielles qui se sont exprimées lors d’un second tour, celle dont disposait le nouveau président manifeste un rassemblement pour la République, contre ses ennemis. C’est beaucoup plus fédérateur, d’où son score, mais cela ne permet pas de dissiper toutes les dissensions. On l’a vu avec les positions manifestées par Benoît Hamon et François Baroin, qui avaient tous deux appelé à voter pour le président élu, mais qui entendaient tous deux s’opposer à lui. De même, le parti du président élu était un mouvement récent, composé de profils diversifiés. Si Emmanuel Macron, son projet et sa personnalité avaient su convaincre, même dès le premier tour, il n’était pas encore acquis que les candidats investis localement bénéficiassent de la même force de conviction.

Cependant, le rassemblement a créé une dynamique, avec un objectif clairement assumé et tout aussi clairement exposé : le président élu entend accomplir la mission que les Français lui ont confiée, sur la base de ses engagements. Pour cela, il ne tient qu’à eux de confirmer leur choix en lui accordant la majorité dont il a besoin. C’est ce qu’ont fait les Français, en montrant, surtout, qu’ils n’aimaient décidément pas la cohabitation11. En donnant massivement leur voix à l’étiquette de La République en marche, votant parfois pour des candidats qu’ils ne connaissaient nullement au détriment de ceux dont ils pouvaient être proches, les électeurs ont dit « Non à la cohabitation ». Ils s’y seraient peut-être résignés, s’ils n’avaient pas eu le choix, mais ils l’ont eu.

Ils l’avaient déjà fait en 2002, lorsqu’une majorité nette fut accordée au parti créé par Jacques Chirac, au lendemain d’une présidentielle à la victoire assurée mais néanmoins mesurée. À la veille du premier tour de cette présidentielle, les sondages prédisaient un duel entre Jacques Chirac et Lionel Jospin et, dans cette hypothèse, une victoire de ce dernier. Au soir du premier tour, la gauche, quoique défaite, était majoritaire. Ses électeurs, contraints et forcés de voter à droite au second tour pour faire barrage au Front national, auraient pu être avides de revanche lors des législatives. Rien n’y a fait : fidèles à eux-mêmes et en toute cohérence, ils refusèrent la cohabitation et donnèrent une majorité au président élu.

Le scénario s’est reproduit en 2017. Cette élection présidentielle était soi-disant imperdable pour la droite. Mais elle l’a perdue. Qu’à cela ne tienne, ses responsables escomptaient l’emporter lors des législatives, en obtenant à l’Assemblée le pouvoir qu’ils n’avaient pas pu conquérir à l’Élysée. C’était sans compter, une nouvelle fois, sur la cohérence des électeurs : si l’on donne le pouvoir à quelqu’un, c’est pour qu’il puisse l’exercer. Telle est, à la fois, la logique humaine et celle de la Ve République, où le président n’est pas seulement élu pour être le représentant de l’État, mais aussi et même d’abord pour mener une mission politique. C’est le sens de son élection, c’est le sens que lui donnent les électeurs et c’est ce qu’ils confirment lors des élections législatives.

Et à ceux qui soutiennent que la cause en est un dysfonctionnement du régime de la Ve République ou « l’inversion » du calendrier électoral, il faut répondre que les électeurs, eux, soutiennent exactement l’inverse.

D’abord, ils ont porté au pouvoir un président qui entendait ouvertement préserver le régime. Ensuite, alors qu’à peine élu à la présidentielle, ils pouvaient en faire un président battu aux législatives, ils ont confirmé son pouvoir. Enfin, on ne cessera de rappeler qu’il ne s’agit pas « d’inversion » mais bien de « rétablissement » du calendrier et ces élections le prouvent une nouvelle fois : on choisit un chef, porteur d’un projet, puis on lui donne les moyens de gouverner12. La légitimation opère en deux temps : le premier enclenche le second, le dernier venant attester que le résultat initial est accepté et ne résulte pas d’un accident électoral.

Les institutions ont cette logique, les électeurs ont cette cohérence. On peut contester les premières, mais tant que les seconds ne s’y rallient pas, rien n’y fera : la Ve République restera telle qu’elle est. Et y changer quelque chose, par un recours à la proportionnelle, ne serait ni la renforcer ni la moderniser, mais seulement l’affaiblir.

Constance du pouvoir

Emmanuel Macron a tout à la fois renoué avec un savoir-faire ancien, en usant de mécanismes nouveaux, et poursuivi une omniprésence ostentatoire.

Savoir-faire renouvelé

Il a d’abord décidé de faire une déclaration devant le Congrès réuni à Versailles, le lundi 3 juillet 2017. Il s’agit certes de la troisième du genre depuis que l’article 18 de la Constitution a été révisé en 200813, mais la première d’une nouvelle série. Avant lui, Nicolas Sarkozy et François Hollande l’avaient précédé. Ce fut le 22 juin 2009 pour le premier, dont le discours sur les orientations économiques n’est passé à la postérité que parce qu’il fut tenu par l’artisan de ce nouveau mécanisme. Puis ce fut le 16 novembre 2015 pour le second, qui a prononcé un discours d’union nationale, après les attentats de Paris, marqué par une représentation nationale entonnant à l’unisson La Marseillaise, mais aussi par la déplorable annonce de la réforme sur la déchéance de nationalité.

Emmanuel Macron a réitéré l’exercice, mais, cette fois, en début de quinquennat, afin de présenter sa vision du mandat que lui ont confié les Français et de fixer les grandes orientations de la politique nationale. Il confirme qu’il est effectivement le capitaine qui fixe le cap et, s’il innove dans la technique utilisée, il se conforme à une pratique ancrée, inhérente à l’architecture institutionnelle de la Ve République. Le Premier ministre, qui a tenu, le lendemain, le traditionnel discours de politique générale, sollicitant la confiance des députés, ne fut ni rabaissé ni rangé au rang de collaborateur. Au contraire, il fut valorisé.

En effet, c’est Emmanuel Macron que les Français ont élu pour mener la politique qu’ils ont également choisie, sur la base de son programme électoral. Ils ont ensuite confirmé leur choix en lui confiant une majorité à l’Assemblée nationale, pour mener son action. Fort de la confiance que les électeurs lui ont témoignée à deux reprises, le chef de l’État a nommé et confirmé un Premier ministre, chargé de conduire cette politique. Ce dernier est désormais dépositaire, à la tête du gouvernement, des engagements pris pendant la campagne et il est chargé de les mettre en œuvre. Il y a ainsi une logique institutionnelle propre à la Ve République, à laquelle se conforment président et Premier ministre : le premier définit la politique nationale, comme l’ont souhaité les électeurs, le second la conduit et l’applique, avec l’appui de la majorité. Cela confirme toute la confiance que le premier nourrit à l’égard du second. Cela valorise ainsi ce dernier qui, quoique non directement élu, est désormais porteur du projet présidentiel.

Cela présidentialise-t-il le régime ? Pas davantage qu’il ne l’est déjà. Est-il déjà, alors, un régime présidentiel ? Non, il ne l’est pas, ne l’a jamais été et ne le sera jamais, tant que le pouvoir provient des élections législatives.

Or c’est bien de là qu’il provient car, si le président de la République ne les avait pas remportées, il n’aurait pas été en mesure de charger le Premier ministre de conduire sa politique. La seule élection présidentielle élève son vainqueur, mais c’est par une victoire aux élections législatives qu’il domine14. La victoire du président entraîne celle de la majorité législative, celle-ci lui étant alors redevable et le soutenant, à juste proportion de celle-là.

Par conséquent, cette déclaration devant le Congrès n’est point révolutionnaire : nouvelle dans la forme, elle ne chamboule pas les institutions. D’ailleurs, il n’y a rien qui n’ait été annoncé dont on n’avait pas connaissance auparavant. Mais le style change : par sa présence devant les députés et sénateurs, le président de la République leur indique solennellement, directement et expressément ce qu’il attend d’eux. Il s’est même engagé à le faire tous les ans, comme il l’avait annoncé, en revenant devant eux pour rendre compte mais aussi, cela va sans dire, pour diriger.

Faudrait-il alors modifier la Constitution ? Oui, sans doute. Mais non pour remettre en cause ce fonctionnement des institutions car les Français ne le souhaitent pas. Ils ont toujours voulu élire un véritable chef, jamais quelqu’un qui entendait revenir sur cette pratique. Les élections de 2017 l’ont montré, une nouvelle fois.

Au contraire, il faudrait aller jusqu’au bout de l’esprit entamé en 2008.

La Constitution devrait ainsi préciser que c’est bien le président de la République qui définit la politique nationale, le gouvernement et le Premier ministre étant alors chargés de la conduire et la mettre en œuvre.

C’était déjà un projet, en 2008, malencontreusement abandonné15. Il faudrait le raviver. Et si l’on devait craindre que cela ne renforce trop l’ascendance du chef de l’État ou qu’une cohabitation ne conduise au blocage, il suffirait d’ajouter que cette définition de la politique nationale se fait « en collaboration avec le Premier ministre ». Le texte de la Constitution ne serait alors qu’aligné sur une pratique instaurée et désirée depuis l’origine de cette Constitution.

Faire-savoir recouvré

Par conséquent, si Emmanuel Macron a introduit une rupture, ce n’est certainement pas avec l’exercice du pouvoir présidentiel sous la Ve République mais, au mieux, avec les deux derniers quinquennats. Du moins l’a-t-il tentée, sans y parvenir tout à fait. Nicolas Sarkozy, d’abord, a transformé la pratique du pouvoir présidentiel, en l’exerçant de façon ostensible et versant dans le faire savoir médiatique permanent. Les médias se laissaient séduire et le suivaient partout, heureux d’avoir un nouveau « marronnier » unique en son genre : chaque jour, on pouvait parler de Nicolas Sarkozy, sans crainte de lasser l’auditeur ou le lecteur, tant ses frasques étaient quotidiennes, innovantes et diversifiées. Si l’on compare cela à ses prédécesseurs, on constate que là se situe la véritable rupture dans la pratique du pouvoir.

François Hollande, ensuite, soucieux d’être un « président normal », a voulu se placer en retrait. Trop ou pas assez, en réalité. Trop car il a donné l’impression qu’il ne contrôlait plus rien, à peine son Premier ministre, peu son gouvernement, pas sa majorité, indisciplinée alors qu’elle devait le soutenir – plus même sa compagne, qui a dit tout haut sur Twitter ce qu’elle aurait dû se contenter de dire tout bas sur l’oreiller. Pas assez, car il s’est néanmoins mêlé de nombreuses affaires, en s’engageant stupidement sur le chômage, qui refuse de baisser, en inscrivant maladroitement la « taxe 75 % » sur les hauts revenus, d’abord retoquée par le Conseil constitutionnel16, puis validée mais rapidement supprimée, en proposant benoîtement une « boîte à outils » et un « choc de simplification » pour sortir de la crise. Et, puisqu’il a eu le sentiment que les Français lui reprochaient son inaction, il s’est lui aussi fait prendre au piège du faire savoir médiatique : cette fois, ce ne sont pas les médias qui le suivent, mais lui qui suit les médias, en se déplaçant sur les plateaux télévisés, que ce soit au journal de 20 h (TF1, le 9 septembre 2012, France 2, le 28 mars 2013) ou dans des émissions « grand public » (émission Capital, sur M6, le 16 juin 2013, avec Jean-Jacques Bourdin, sur RMC et BFM TV, le 6 mai 2014). Confondant normalité et simplicité (« j’ai voulu imprimer une exemplarité. Pas simplement une simplicité. J’essaie d’être le plus proche possible des Français »17, Dieudonne (Oise), 7 juin 2012), il oublie qu’une fonction exceptionnelle ne peut être exercée que par un homme extraordinaire (au sens strict du terme : qui sort de l’ordinaire), n’empêchant pas de l’exercer avec dignité. Cette « normalité » dénote en réalité un manque d’expérience de l’État et de ce qu’impose la Ve République : un président qui sait être capitaine mais qui ne le fait savoir qu’à ceux qu’il dirige.

Dans un premier temps, pourtant défenseur du « nouveau monde », Emmanuel Macron renoue avec les temps anciens : une parole rare, des médias tenus à distance, parfois malmenés, pendant que Premier ministre et membres du gouvernement vont au front. Ce sera le cas pour les deux premiers chantiers législatifs du quinquennat, annoncés lors de la campagne électorale : les réformes (et moralisation) de la vie publique et du droit du travail (par ordonnance). La première fut annoncée par François Bayrou, puis menée par Nicole Belloubet, qui le remplaça à la Chancellerie, après les révélations sur des suspicions d’emplois fictifs au MoDem. La seconde sera conduite par Édouard Philippe et Muriel Pénicaud et si Emmanuel Macron a largement participé aux négociations et à l’élaboration des ordonnances, il n’en a jamais parlé : c’est le savoir-faire18 sans le faire savoir. La même logique avait présidé à ce qu’il renonce à la traditionnelle interview du 14 juillet 2017, lui préférant un discours bref et solennel.

Tout cela restera d’assez courte durée. Ce n’est pas tant sa première interview télévisée, le 15 octobre 2017, sur TF1 et LCI qui mettra un terme à cette logique : après presque six mois de fonction exercée et de parole raréfiée, son intervention était attendue. C’est davantage l’enchaînement et l’accélération qu’elle a engendrée. Trois jours après, le 18 octobre, il s’adresse aux forces de police et de gendarmerie pour défendre la loi sur la sécurité intérieure, qui entre en vigueur deux semaines plus tard. À peine deux mois plus tard, il renoue avec une interview, cette fois diffusée sur France 2, le 17 décembre 2017. Dix jours après, en vacances au ski, il répond à des journalistes et intervient dans la polémique naissante sur le contrôle des chômeurs. En février 2018, au salon de l’agriculture, il s’efforcera d’être le président qui y sera resté le plus longtemps. Le 10 avril 2018, sans doute pour allumer un contrefeu en pleins conflits sociaux, il provoque la laïcité dans un discours devant la Conférence des évêques de France. En avril toujours, ce n’est pas une mais deux interviews télévisées qu’il donnera, d’abord lors du journal de 13 heures de Jean-Pierre Pernault (TF1, le 12 avril) puis lors d’une émission spéciale, répondant à Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plénel (BFM TV et Médiapart, le 15 avril). En avril encore, lors d’un voyage officiel aux États-Unis, il défend la réforme de la SNCF, parlant d’un sujet national alors qu’il est à l’étranger, ce qu’il est généralement recommandé d’éviter.

Ainsi, après avoir tenté la réserve discrète, il verse à nouveau dans le faire savoir ostensible, ce dont les médias, naturellement, se réjouissent. Qu’une accélération intervienne au moment où sa cote de popularité chutait dangereusement n’est sans doute pas sans lien de cause à effet. Cela suffira-t-il, toutefois, à inverser la tendance ? Rien n’est moins sûr et c’est sans doute un paradoxe français : les électeurs désignent un chef pour conduire une mission politique et lui en veulent s’il ne montre pas qu’il la conduit effectivement, tout en le sanctionnant lorsqu’il le fait excessivement.

En réalité, ce qu’il faut retenir de l’histoire constitutionnelle de la Ve République c’est qu’aucun président de la République n’est parvenu à convaincre ses électeurs au point qu’ils lui octroient durablement leur confiance, en le renouvelant dans ses fonctions.

Le général de Gaulle fut réélu en 1965, mais ce fut alors la première élection au suffrage universel direct. En 1981, Valéry Giscard d’Estaing est battu, tout comme l’est Nicolas Sarkozy, en 2012. En 1988 et en 2002, François Mitterrand et Jacques Chirac sont respectivement réélus, mais tout deux après une cohabitation. Si Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy l’ont emporté, en 1995 et en 2007, alors qu’ils étaient issus de la majorité déjà au pouvoir, c’était toujours en rupture vis-à-vis de celle-ci. Il y a donc, ici encore, une constance de l’exercice du pouvoir présidentiel. Seul l’avenir dira ce qu’il en est de l’actuel président de la République.

Jean-Philippe DEROSIER
Professeur agrégé des facultés de droit à l’Université de Lille 

Membre du Centre de recherche Droits et perspectives du droit
Directeur scientifique du ForInCIP et de la revue Jurisdoctoria
Auteur du blog La Constitution décodée

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  1.  Jean-Jacques Chevallier et al., Histoire de la Ve République. 1958-2015, Dalloz, Paris, 16e édition, 2017, p. 17. ↩
  2.  Discours de Michel Debré, prononcé devant le Conseil d’État, le 27 août 1958, Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, La Documentation française, Paris, vol. III, pp. 264 et 265. ↩
  3. Charles de Gaulle, Mémoire de Guerre. Le Salut : 1944-1946 (tome III), Plan, Paris, 1959, p. 287. ↩
  4.  Ibidem. On retrouve la même idée clairement exprimée dans le discours de Bayeux, du 16 juin 1946 : « Au chef de l’État [… ↩
  5. Il préside le Conseil des ministres (arti­cle 9), signe les ordonnances et les décrets qui doivent y être adoptées (article 13), il a le droit de faire grâce (article 17), il ouvre et clôt les sessions extraordinaires, ce qui signifie qu’il en valide l’ordre du jour (article 30), il est le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire
    (article 64). ↩
  6. Comité consultatif constitutionnel, séance du 8 août 1958 (après-midi), Documents pour servir, op. cit., vol. II, pp. 299 et s. ↩
  7.  On renvoie au récit du général de Gaulle, décrivant « la tempête de 1962 » : « La tempête politique que les partis ont déchaînée en vain pour empêcher que ne se consolide l’édifice de nos institutions et du même coup, m’arracher le pouvoir n’a pas eu de conséquence pour ce qui est du gouvernement. Comme devant, le chef de l’État a désigné les hommes qui le composent pour accomplir la tâche que lui-même a tracée. Il a choisi le Premier d’entre eux de manière qu’il soit son second. [… ↩
  8.  Olivier Duhamel, Le quinquennat, Presses de Sciences Po, Paris, coll. La bibliothèque du citoyen, 2000, pp. 27 à 35 ; Guy Carcassonne, « Immuable Ve République », in Pouvoirs 126 (2008), p. 30 ; Guy Carcassonne, La Constitution, introduite et commentée, Points Seuil, Paris, 11e édition, 2013, p. 60. ↩
  9.  On renvoie à un article où l’on a dressé une analyse des trois premiers quinquennats : « Le Président de la République sous le régime du quinquennat. Une fonction présidentielle stabilisée », in JCP-A 2017, 2109. ↩
  10.  Cf. Guy Carcassonne, qui dit de l’élection présidentielle qu’elle « est à la fois prédominante et structurante », La Constitution, op. cit., p. 58. ↩
  11.  Jean-Jacques Chevallier et al., Histoire de la Ve République, op. cit., p. 483-484. ↩
  12. Guy Carcassonne, « Immuable Ve République », préc., pp. 27 à 35. ↩
  13. Loi constitutionnelle 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, JORF du 24 juillet 2008, p. 11890. ↩
  14. On emprunte cette formule à Guy Carcassonne qui souligne que « si une victoire à l’élection présidentielle donne des possibilités, seules les élections législatives attribuent réellement le pouvoir », La Constitution, op. cit., p. 59. ↩
  15.  Nicolas Sarkozy, en confiant à Édouard Balladur le soin de réfléchir à l’avenir de la Ve République, lui avait expressément demandé « d’examiner dans quelle mesure les articles de la Constitution qui précisent l’articulation des pouvoirs du président de la République et du Premier ministre devraient être clarifiés pour prendre acte de l’évolution qui a fait du président de la République le chef de l’exécutif » (lettre du 18 juillet 2007). Dans son rapport remis au président de la République, le Comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République proposait ainsi de modifier les articles 5 et 20 de la Constitution (propositions 1 et 2, pp. 28 à 35 du rapport), en attribuant, d’une part, au président le rôle de définir « la politique de la nation » et, d’autre part, en réservant au gouvernement sa seule conduite (et non sa détermination). Mais lors du dépôt du projet de loi constitutionnelle, cette réforme est oubliée. ↩
  16. Décision du Conseil constitutionnel n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, Rec. p. 724. ↩
  17.  Pierre Avril et Jean Gicquel, « Chronique constitutionnelle française », Pouvoirs n° 143, p. 195. ↩
  18.  Jean-Jacques Chevallier et al., Histoire de la Ve République, op. cit., p. 657. ↩

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