Le 20 juin 2018 s’est tenu à la Fondation Res Publica, un colloque intitulé : « Les fake news, la fabrique de l’opinion ».
Avec les interventions de :
- Natacha Polony, journaliste, essayiste, co-fondatrice de Polony TV, auteur notamment de Le pire est de plus en plus sûr : Enquête sur l’école de demain (2011, Mille et une nuits) ;
- Naïma Moutchou, députée LREM du Val d’Oise, rapporteure de la loi visant à lutter contre la diffusion de fausses informations ;
- François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS, responsable de l’Observatoire Géostratégique de l’Information ;
- Alexandre Alaphilippe, co-fondateur et directeur de l’ONG EU DisinfoLab ;
- Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica ;
- Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica
Jean-Michel Quatrepoint a mis d’entrée de jeu l’accent sur le risque des traductions approximatives : en américain, fake veut dire « bidon » et non pas faux ce qui n’est pas tout à fait équivalent. En revanche, fausses informations et désinformation ont de tout temps existé ; la vie politique accroît la diffusion des « on dit » mais il en va de même en entreprise. L’une des dernières en date de ces grandes rumeurs fut celle dite d’Orléans de 1969 dont les plus anciens se souviennent. Il est clair que jusqu’à Gutenberg les dégâts étaient limités mais ensuite les libelles contre Mazarin ont alimenté la Fronde, le Chancelier Bismark a su confectionner la dépêche d’Ems avec les conséquences que l’on sait, le journal Le Temps fut souvent présenté comme financé par certains intérêts et quelques journaux d’entre-deux guerres s’étaient faits une réputation de spécialisation dans les informations approximatives ou totalement fausses (arrivée aux Etats-Unis de Nungesser et Coli). Plus près de nous, rappelons un prix Pulitzer décerné à un journaliste auteur d’un faux reportage sur un drogué, ou la manipulation concernant les charniers de Timisoara lors de la chute de Ceausescu. Mais des informations dérangeantes, discréditées par ceux qu’elles gênent, tel le financement durant la guerre froide de Force ouvrière par la CIA, se sont révélées exactes et la vérité sur l’assassinat de Kennedy est sans doute plus proche d’une hypothèse reliant mafia, CIA et certains milieux texans que de l’acte isolé d’un déséquilibré.
Avec Internet, la rumeur, la fausse nouvelle, se déplacent aujourd’hui à la vitesse de l’électron ; c’est le « café du commerce » planétaire et instantané.
Le Brexit et l’élection de Trump, avec la mise en avant du rôle supposé des « méchants Russes » en sont de parfaits exemples. Nous Français avons abandonné depuis longtemps la désinformation comme moyen d’action politique. Pourtant beaucoup de sujets mériteraient approfondissement tels que, par exemple, le rôle de Soros dans ce qui s’est passé à Maïdan. Contrairement à certaines assertions, Trump a été élu parce qu’Hilary Clinton était une mauvaise candidate, mal aimée de surcroît. Il a gagné parce qu’il a su bien jouer avec les « swinging states » et la classe moyenne blanche qui se sent méprisée et déclassée. Il est vrai qu’il s’est appuyé sur les services de la société « Palantir Technologie ».
Il n’en demeure pas moins vrai que l’étalement des vies privées et leur utilisation dans le combat politique n’est pas un progrès de la démocratie. La manipulation de 2003 sur les armes chimiques irakiennes montre ce que peut être une fabrique de l’opinion.
Il y a toujours eu une doxa à laquelle les journalistes sont plus ou moins tenus d’adhérer s’ils ne veulent pas être marginalisés.
En 2005, une enquête menée par des journalistes du Monde sur les « nonistes » a été interdite de publication : les nonistes ne pouvaient pas, ne devaient pas gagner et on ne devait pas en parler. 2005 marque la fin de la confiance.
Il faut être contre cette proposition de loi qui ne sert à rien ; on ne peut accepter une information officielle et contrôlée. Les réseaux sociaux ne véhiculent pas que des fausses nouvelles ; ils ont permis de se rendre compte de ce qui s’était passé lors de la nuit de la Saint Sylvestre 2015 à Cologne et ont révélé l’affaire, tue par les médias officiels, des réseaux d’origine pakistanaise ayant prostitué des dizaines de jeunes filles anglaises. A l’opposé, ce qui a été officiellement dit sur la vente de la branche énergie d’Alstom à General Electric est une « fake news » ; il n’y a pas eu de mariage entre égaux mais une absorption d’Alstom. Le risque est que la profession de journaliste ne soit décrédibilisée. L’attente est celle d’une information équilibrée faisant abstraction des émotions et des modes du moment. Le monde n’est pas binaire ; il est aussi fait de gris, d’un peu de vrai et d’un peu de faux.
Pour Naïma Moutchou, la loi sur les « fake news » est nécessaire et adaptée à notre temps. Et de rappeler l’essor des technologies et la vitesse de propagation exponentielle, presque virale, des informations dont certaines malmènent le débat. On ne peut supporter des intrusions extérieures et ce texte est une première pierre. Existe parallèlement l’action en diffamation et la loi de 1881 sur les fausses nouvelles mais cela ne couvre pas tout. D’où la possibilité prévue par ce nouveau texte d’intervention du juge des référés dans les 48 heures, essentielle selon Naïma Moutchou qui rappelle qu’elle a été pendant neuf ans avocate spécialisée dans le droit de la presse.
D’autant que cette diffusion massive de fausses informations est souvent le fait de « fermes à clicks » ou de « bots » avec une réelle intention de nuire.
L’origine de ces intrusions étant la plupart du temps internationale, les rédacteurs du projet de loi veulent une coopération avec les plateformes qui devront indiquer l’identité de leurs annonceurs et combien ils les payent. Ces plateformes devront avoir un représentant légal en France et une action sera menée avec les hébergeurs. Les acteurs du Net devront développer les « diaries » et avoir, d’une manière générale, un comportement honnête. Mais l’éducation des jeunes à l’utilisation des réseaux sociaux est essentielle et il faudra leur apprendre à déceler les fausses nouvelles. Tel est globalement le sens et la portée de la loi actuellement en préparation mais l’éducation aux media est primordiale.
Natacha Polony estime, elle aussi, nécessaire cette coopération avec les plateformes ; l’enjeu est loin d’être négligeable et il faut avoir conscience de la puissance des GAFAM face à la démocratie. En revanche, pourquoi une telle définition de la fausse nouvelle ?
Il faut relier les « fake news » à la notion d’insurrection par le vote qui découle du fait que les peuples ont l’impression que beaucoup de choses leur sont imposées de l’extérieur.
Pour le Brexit il y a eu des abus des deux côtés. La notion de « fake news » n’est jamais véritablement définie ; le compte aux Bahamas d’Emmanuel Macron, en fin de campagne, en était une, c’est clair. Les « vérités alternatives » de Donald Trump ne relèvent pas de la même problématique dans la mesure ou 90 % des médias lui sont hostiles. S’agissant des chiffres et des statistiques, il y a longtemps que les politiques les manipulent ; Churchill ne disait-il pas qu’il ne croyait qu’en les statistiques qu’il avait lui-même trafiquées ? Face à l’illusion de la scientificité, les « fake news » révèlent une évolution de notre démocratie. Un des exemples les plus typiques concerne les migrants : l’Italie en a accueilli 750 000 depuis 2013 et non 13500 comme il est souvent dit en sortant les chiffres de leur contexte. Autre « vérité officielle » largement diffusée, le solde migratoire n’aurait pas augmenté depuis 1945 ce qui est évidemment faux. L’objectif est de lutter contre les méchants démagogues qui manipulent les foules, le méchant absolu étant la Russie. Or elle n’a pas truqué les primaires démocrates qui ont abouti au choix d’Hilary Clinton. Les manipulations « trumpiennes » venaient en fait d’Israël et d’Arabie saoudite mais curieusement cela n’a jamais été diffusé. La définition articulée autour du « dépourvu d’éléments vérifiables les rendant vraisemblables » laisse songeur ; en 1992, on nous expliquait qu’il fallait voter pour Maastricht parce que l’Euro nous protégerait du chômage de masse.
Pourquoi des aberrations se développent et pourquoi des gens peuvent y croire ? C’est la question de la crise de la rationalité.
L’extension sans fin des droits individuels rend de moins en moins possibles les règles communes et universelles. Aujourd’hui, à l’entrée des amphithéâtres des universités américaines est écrit que quelques cours peuvent choquer certaines communautés (darwinisme, créationnisme etc..). Il est clair que les gens ont tendance à croire ce qui conforte leurs angoisses ou leurs opinions. Un des exemples en est fourni par toutes les fausses informations qui ont concerné Najat Vallaud Belkacem, ministre de l’Education nationale : imposition de l’apprentissage de l’arabe, débat autour des abc de l’égalité, théorie du genre etc.. le tout étant assorti de liens renvoyant à des listes de livres conseillés à la lecture qui posaient problème. Tout a été mis sur un même plan, le vrai et le faux dans une sorte de délire complotiste.
Le risque est l’installation d’une défiance absolue à l’égard des journalistes. Les médias « officiels » ont fait, par exemple, en 2005, campagne à 90% pour le oui au referendum. A ce moment la confiance s’est rompue. Le discours « religieux » de certains journalistes qui se croient investis d’une mission, a achevé de détruire ce lien de confiance.
Autre exemple, il fut, il y a quelques années, quasiment obligatoire d’écrire que le niveau scolaire montait. C’était une vérité absolue, étayée par des chiffres fournis par le ministère lui-même. Il était impossible d’écrire le contraire dans les journaux. Il fallait se tourner vers les sources officielles.
Quand on n’a pas confiance (ou pas accès) aux médias, on va sur Internet. Rappelons au passage la célébrité quasi virale qu’a atteinte Etienne Chouard en décortiquant, en 2005, sur son blog, le contenu du traité européen. En démocratie c’est le peuple qui décide éclairé par des savoirs universels et la raison.
Les « fake news » ne sont que la réaction à un catéchisme déversé par les médias officiels.
A la tribune, il est mentionné que les informations fausses utilisées pour la campagne de Donald Trump n’ont représenté que 0,06 % de son message politique, tandis que Naïma Moutchou précise qu’avec quelques centaines d’euros on peut s’acheter des milliers de « followers ».
François Bernard Huyghe rappelle que le mot « fake news » est apparu en 2016 et signifie fabrication, contrefaçon. Il est arrivé avec le Brexit, l’élection de Trump et la peur de la Russie. On peut l’employer dans l’esprit de la loi de 1881 en pensant à la fabrication de faux (trafic de photos etc..) mais le problème est qu’on va vite le confondre avec beaucoup d’autres choses. Cela va permettre de discréditer des notions parallèles. C’est fait pour lutter contre le populisme. Le piratage aux Etats-Unis du parti démocrate concernait des vrais noms. Il ne faut pas mélanger avec le conspirationnisme.
Le troisième article de la loi qui prévoit de retirer leur licence aux media étrangers vise clairement « Russia today ». Certes il y eut autrefois la « Donation de Constantin » et plus récemment les charniers de Timisoara ou les armes chimiques irakiennes de 2003.
Mais tout n’est pas mensonge d’Etat. La technologie a changé les choses parce qu’elle permet à tout à chacun d’émettre et de propager via les réseaux sociaux.
Il existe également des techniques qui grâce à des algorithmes permettent de détourner l’attention d’une nouvelle vers une autre. Beaucoup pensent avoir un grand nombre d’amis sur les réseaux sociaux sans se rendre compte qu’une grande partie ne sont pas des êtres humains mais des robots.
Une fausse nouvelle est sortie ce matin relatant l’explosion de la coalition allemande : est-ce efficace ? Des dizaines d’études ont été faites sur ces procédés et, selon l’intervenant, la réponse est non.
Il y a un effet de renforcement sur ceux qui étaient déjà en rupture mais la proportion de « fake news » est faible et elles sont très vite repérées (153 sites de repérage actuellement dénombrés).
L’Etat intervient dans ce domaine mais également les GAFAM qui agissent par vertu et par intérêt ; Google a 10 000 modérateurs sans compter les internautes eux-mêmes. De ce fait la durée de vie des « fake » est très faible. Il y a aussi un discours sur la post vérité qui est un discours de classe, tendant à démontrer que le peuple est forcément dans l’erreur.
Quelles seraient les solutions ? L’Etat n’est pas une bonne solution mais les GAFAM ne sont pas élues et il n’y a aucune raison de procéder à une reconnaissance de fait de leur pouvoir technologique qui leur conférerait le droit de formater notre cerveau. Seules l’éducation, la résilience, la culture font que le citoyen peut exercer sa raison démocratique. Il y a aussi la rhétorique, qui date de vingt-cinq siècles, mais c’est une autre histoire.
Alexandre Alaphilippe estime qu’il faut voir plus large que les GAFAM ; il faut ajouter Telegram, Whats’app et bien d’autres. Toutes sont des entreprises commerciales qui fonctionnent sur deux ressorts : un ressort humain qui consiste à rapprocher des « amis » et un ressort algorithmique (on va essayer de vous connaître et de vous proposer des contenus qui vous plaisent donc vous faire regarder de la publicité). Les réseaux sociaux qui recréent des groupes d’amis virtuels, avec amplification, ne font que reproduire des mécanismes anciens. L’opinion se fabrique par un enchevêtrement d’ éducation et de relations sociales.
On va chercher sur les réseaux sociaux ce qui nous intéresse. C’est ce qu’on appelle le biais de confirmation.
Qui a intérêt à faire de la désinformation ? Il faut rappeler qu’en anglais existe le terme de « misinformation » ; on peut montrer des choses moitié vraies moitié fausses selon le cadrage et l’angle de vue ; c’est ce qui se passe souvent dans les campagnes électorales. C’est différent de la fabrication d’un faux. Dans les « leaks » il y avait du vrai et du faux. Mais il est certain que poster douze gigabits trois heures avant la fin de la campagne électorale, rendant impossible de facto toute vérification sérieuse, révèle une véritable stratégie d’installation du doute.
L’un des enjeux majeurs est de comprendre les mécanismes de propagation. L’exemple de « Le Soir.info », faux site du journal belge « Le Soir », est intéressant : tout y est vrai à l’exception d’une information centrale du type « Macron est financé par l’Arabie saoudite ». Qui en fait la publicité ? Sur les trois comptes à l’origine de la diffusion initiale, un est basé à Téhéran ; trois personnes vont donc, à la main sur Internet, rapporter qu’elles ont lu cette « information » et c’est ensuite relayé sur Tweeter etc.. La problématique c’est la propagation. Comment est-ce que cela circule ? En fait on ne sait pas et on ne comprend pas. Facebook ne veut pas répondre au nom de la protection de la vie privée.
Le juge n’aura jamais la capacité de décider dans un temps record de ce qui est vrai et de ce qui est faux.
Il faudrait de plus connaître qui sont les agences qui achètent du contenu en ligne. Entrent en jeu également le « sourcing » et la responsabilité de la société civile car le détournement de ces informations vient d’abord d’elle. On connaît la valeur économique des GAFAM mais on attend toujours de pouvoir évaluer leur valeur démocratique. Notons au passage l’existence et le rôle des décodeurs.
Certains procédés peuvent être difficiles à contrer. Exemple : « j’ai vu une licorne dans le Thalys, prouvez-moi qu’elle n’existe pas ». Le journal « Le Monde » s’est senti obligé de préciser que « non, l’Afrique n’était pas en train de se séparer en deux du fait d’une faille sismique ». L’affaire du burkini est symptomatique : trois tweets amènent un article dans un journal local et on se retrouve à la fin avec un débat national d’un mois. L’éducation est importante mais l’impact électoral des « fakes » est plus fort avec les personnes âgées qui votent, que du fait des jeunes générations, habituées à la vie numérique.
En Italie, les partis politiques fabriquent eux-mêmes leurs « fake news ». En France, la loi se justifie à partir du moment ou elle se concentre sur la fabrication et la propagation. Cela peut forcer les GAFAM à mettre à disposition leurs données et non chercher à les transformer en éditeurs et censeurs comme en Allemagne. Il faut aussi que les journalistes se désintoxiquent des GAFAM ; Facebook est un « dealer de drogue ». Il est clair qu’à partir du moment où on achète la boîte du magicien, on veut connaître « le truc ».
Une discussion dense s’ensuivit en réponse aux intervenants de la salle ; relevons au passage quelques thèmes importants :
- Le pire est devant nous et ce seront les objets connectés ;
- Nous sommes en train de construire une société dans laquelle chacun évitera de se confronter à des opinions qu’il ne valide pas, c’est-à-dire exactement le contraire de ce qui se passait avec les journaux autrefois ; nos centres d’intérêt risquent d’aller en se rétrécissant ; c’est toute la question des contenus qui dérangent ; Charles Péguy disait qu’une bonne revue doit scandaliser en permanence un cinquième de son lectorat mais jamais le même ; on interdit peu à peu le conflit civilisé ce qui ne peut que mener vers du conflit non civilisé ;
- Dans la lignée de la loi sur les « fake news » d’autres textes inquiétants ont été votés récemment dont la loi sur le secret des affaires ; le magazine « Challenge » a été ainsi condamné pour avoir donné une vraie information sur « Conforama », au prétexte d’avoir porté atteinte aux intérêts de l’entreprise ; la loi « Citoyenneté et égalité » comporte également des dispositions qui interrogent en ce qu’elles interdisent désormais d’analyser certains faits historiques en les recontextualisant ; les associations ont obtenu le droit d’ester en justice contre toute personne qui bien que ne déniant pas à l’esclavage sa qualification de crime contre l’humanité, estimerait nécessaire d’en faire aussi l’analyse à la lumière des sensibilités et de l’état des opinions publiques de l’époque à laquelle il a eu lieu. Il s’agit d’une tendance qui a pris naissance avec les lois mémorielles qui ont conféré à la loi le pouvoir de fixer la vérité historique.
- In fine, le thème des fake news, au-delà du caractère novateur de ses aspects techniques, touche à des débats de fond très actuels de notre société, sur l’individualisme et l’universalisme, l’extension sans fin des droits individuels, minoritaires ou communautaristes, au détriment de ce qui permet de faire Nation ou vivre ensemble ; il interroge aussi sur le rapport actuel de nos sociétés occidentales à la vérité, laquelle peut être le fruit de la raison et de la recherche scientifique ou désormais imposée par une croyance ou un intérêt.
Alain Meininger