A l’heure où les tensions montent en Ukraine, la récente expulsion de l’Ambassadeur de France au Mali se présente comme un excellent alibi pour accélérer un retrait trop longtemps différé et ainsi opérer une bascule de force du midi vers l’orient. Avec 5 100 militaires français déployés et un coût d’un milliard d’euros par an, cette opération coûte cher1. D’autre part, le bilan des objectifs français annoncés en 2014 reste mitigé, en effet, ni la lutte contre l’expansion du terrorisme dans la région ni la prise en charge de la formation des forces armées locales n’ont mené au résultat escompté. Mais surtout l’analyse des jeux d’influence séparés de la Russie, de la Chine et de la Turquie montre que ces derniers n’ont eu un effet que dans la mesure où que la ligne diplomatique française s’était perdue dans ses contradictions. L’absence de finalité politique aux opérations de police au Sahel a finalement permis à d’autres puissances de s’installer.
En réponse à la normalisation des positions françaises sur le dossier ukrainien, la Russie s’est attachée à augmenter son influence au Sahel. Le rapprochement entre Moscou et Bamako débute en 2009. Toutefois, le contexte ne s’y prête pas : les différents groupes djihadistes et l’influence qu’ils exercent rendent la coopération difficile. Pour parvenir à ses fins, la Russie adopte une stratégie bicéphale à long terme. D’une part Moscou aide Bamako de manière concrète en livrant 3 000 kalachnikov en 2013 puis deux hélicoptères de combat en 2017. Ce soutien militaire permet un rapprochement diplomatique. En 2015, les deux pays signent un accord de défense basé sur la formation militaire et plusieurs projets de coopérations régionale. Quelques associations sont financées, ainsi le Groupe des patriotes du Mali qui lance une pétition afin de réclamer une plus grande implication de la Russie dans le pays. En juin 2019, un nouvel accord d’intérêt commun de coopération militaire est signé entre les deux pays, accompagné par la nomination d’un nouvel ambassadeur à la tête de l’Ambassade Russe au Mali. Très récemment encore, le 29 janvier 2022, le ministre des affaires étrangères et celui de la défense de la Fédération de Russie se sont rendus à Bamako afin de réaffirmer le soutien de leur pays au Mali. Si les ministres des Affaires étrangères russes et maliens, Sergueï Lavrov et Abdoulaye Diop, démentent fermement tout accord avec le groupe PMC Wagner, la réalité semble différente. Cette société militaire privée russe est en effet présente depuis la fin de l’année 2021 au Mali, et aurait mobilisé près de 400 hommes dans une base proche de l’aéroport de Bamako. L’objectif de cette société privée pourrait être de soutenir la junte militaire mise en place depuis le coup d’État d’août 2020. Le groupe Wagner entraine les troupes maliennes et protège les personnalités publiquement exposées, en échange, le Mali offre à cette société militaire privée 11 millions de dollars chaque mois, ainsi qu’un accès aux ressources naturelles, dont l’uranium et l’or.
La Russie espère bien faire du Mali son allié aux dépens de la France qui perd pied au Sahel.
Un autre acteur régional se réjouit de la perte d’influence française au Sahel : la Turquie. Celle-ci a soutenu les manifestations maliennes de 2020 qui remettaient en cause le maintien des troupes françaises au Mali. La France est d’ailleurs qualifiée par Erdogan d’agent provocateur et colonialiste, ce qui ne manque pas de piquant de la part de l’ancienne puissance coloniale turque. En réponse, le président français Emmanuel Macron a directement accusé la Turquie en novembre 2020 de fragiliser les relations françaises en Afrique de l’Ouest en exploitant un ressentiment postcolonial. Cette opposition s’ajoute aux nombreux contentieux déjà existants entre la France et la Turquie, comme par exemple le soutien français tacite au général Haftar face au gouvernement d’union national libyen (GNA) soutenu par la Turquie, ou le soutien français à la modernisation de l’arsenal grec dans le cadre de la montée des tensions en Méditerranée orientale. Il faut rappeler que la Turquie a des intérêts stratégiques multiples au Sahel. D’un point de vue économique, les liens entre la Turquie et le Mali se sont amplifiés lors des dix dernières années, passant de 5 millions de dollars en 2003 à 57 millions de dollars en 2019. La Turquie a restauré la grande mosquée du sultan de l’Aïr dans la ville d’Agadez au Niger et a construit une mosquée à Bamako pour le Haut conseil islamique. Devant la nécessité de sécuriser les intérêts turcs au Mali et au Sahel en général, le ministre des Affaires étrangères Mevlüt Çavuşoğlu a été le premier haut responsable étranger à reconnaître les putschistes après le coup d’Etat en 2020, alors que la France était décriée par la population malienne pour son accointance avec le président renversé Ibrahim Boubacar.
Les jeux d’influence chinois, opportunistes et transparents s’expliquent en raison des intérêts majeurs de cette puissance au Sahel. Au Mali, les exportations chinoises ont été multipliés par 10 en 15 ans. De plus, depuis 2019, le Mali s’est intégré au projet des nouvelles routes de la soie, ce qui a permis la réhabilitation de deux lignes ferroviaires importantes : entre Bamako et Dakar et entre Bamako et le port de Conakry en Guinée ce qui représente un investissement chinois de plus de 10,7 milliards de dollars. Cela s’explique par les fortes ressources en lithium du Mali, nécessaires à la fabrication des batteries électriques contrôlée à 60 % par la Chine. L’accord du gouvernement malien en septembre 2021 a ainsi permis à un consortium sino-australien de voir le jour afin d’investir dans la mine de Goulamina pour plus de 250 millions de dollars. Pour répondre à ces intérêts économiques, la présence militaire chinoise s’intensifie en Afrique. Si cette logique s’inscrit principalement dans un cadre de préservation de ses investissements, la participation chinoise à la MINUSMA a fortement été motivée par les agissements de groupes extrémistes violents au nord du Mali dans une zone ou la Chine investissait dans des infrastructures routières. La Chine a surtout mis en place une force de sécurité de 8 000 hommes en Afrique. La stratégie chinoise consiste ainsi à sécuriser ses approvisionnements en matières premières stratégiques. La position chinoise vis-à-vis du Mali est marquée par une apparente neutralité. En effet, la Chine souhaite avant tout préserver ses intérêts économiques, ce qui passe par la stabilité du Mali. Pékin a donc adopté une attitude discrète qui s’est traduite dans un premier temps par le soutien aux troupes françaises dès 2013 puis dans un deuxième temps par une participation à la mission onusienne MINUSMA et enfin par un ralliement à la position russe.
Les jeux d’influence conjoints de la Russie, la Turquie et de la Chine au Sahel se sont ainsi développés d’autant plus facilement que la France ne parvenait pas à fixer une finalité politique cohérente à ses opérations militaires.
Le rappel de l’ambassadeur français au Mali permettra finalement d’entamer un désengagement longtemps retardé : la France quitte ainsi une zone d’opérations réelle, pour un théâtre imaginaire, celui de l’Ukraine ou les puissances océaniques et continentales s’intimident mutuellement en simulant la guerre qui ne viendra pas.
Romain Gauffier, Lucas Gobet, Pauline Romanski, Paul Passerat, Rémi Mestrot, Elise Boisson, Axel Trioux, Gauthier Antoine
Etudiants du Msc Geopolitics & Business de Rennes School of Business
- A titre de comparaison l’opération militaire menée en Libye en 2011 n’avait nécessité à son apogée que la présence de 4 200 soldatsA titre de comparaison l’opération militaire menée en Libye en 2011 n’avait nécessité à son apogée que la présence de 4 200 soldats ↩