Depuis 2012, la transition énergétique a été au cœur de l’actualité avec, dans un premier temps, le débat national sur la transition énergétique, puis, avec l’examen par l’Assemblée nationale et le Sénat, du projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte.
Le débat national sur le futur système énergétique français s’est achevé fin 2013. Cette consultation a révélé des positions assez divergentes, mais elle a permis de les exprimer. Le chantier s’est révélé d’une ampleur suffisante pour repousser le vote final de la loi à 2015, report très acceptable au vu des constantes de temps énergétiques.
Le grand projet sociétal de la transition énergétique pourra générer croissance et créations d’emplois. Toutefois, dans la communauté des économistes, des voix s’élèvent pour réclamer une prise de décision plus complète dans sa dimension économique, les parlementaires devant apprécier en toute connaissance de cause.
Or, les milliers d’amendements déposés à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le projet de loi gouvernemental reflètent les antagonismes entre les parties prenantes et obscurcissent souvent l’analyse.
Schématiquement, on relève la position des consommateurs, soucieux d’accéder à une énergie bon marché, celles des organisations environnementales militant pour les filières propres et la sobriété, les organisations patronales et les producteurs enfin, en quête de compétitivité. Il transparaît également la pression des régions et des territoires pour assurer eux-mêmes la gouvernance de leur politique énergétique.
Ces aspirations sont hautement légitimes. Toutefois, nombre de postures se caractérisent dans les amendements par des excès dans la défense d’intérêts corporatifs.
La sphère politique se doit d’arbitrer certains extrémismes dans ces demandes qui ne peuvent raisonnablement être suivis d’effet. Et, le débat parlementaire est là pour assurer un tri dans les idées, faisant du paquet “transition énergétique” un tout optimisé.
Pour éclairer les débats au Parlement, et la mise en œuvre de la loi, la communauté des économistes de l’énergie recommande que des éléments de rationalité soient pris en compte lors de l’examen des amendements, considérés isolement mais surtout dans leur impact économique global.
Les recommandations sont les suivantes :
1 – assurer la cohérence temporelle entre objectifs de court-moyen terme (2020) et ceux de long terme (2050)
2 – traiter l’incertitude qui entoure nécessairement les scénarios de très long terme
3 – juger les questions de trajectoires énergétiques ou d’organisation du secteur à l’aune de critères économiques (micro et macro). Ceci vaut tant pour les dimensions de l’offre et de la demande que pour l’acheminement de l’énergie
4 – envisager la faisabilité économique des différentes options dans un contexte macroéconomique des plus fragiles. Les décisions d’investissement, ou de désinvestissement, les transferts de responsabilités ne peuvent être pris qu’après un examen approfondi de leurs coûts et bénéfices, privés et sociaux
5 – décliner localement dans les territoires l’objectif européen (80 % de réduction des GES entre 1990 et 2050) et répartir les efforts entre différents secteurs émetteurs de GES. Ceci conduira à la construction de courbes d’abattement nationales et inter-sectorielles
6 – examiner les potentialités des trajectoires au regard des dotations domestiques de la France et des territoires (combustible, technologies, compétences) ; toutes ces potentialités doivent être examinées en croissance et en décroissance
7 – faire preuve de pragmatisme économique quant à la poursuite des objectifs, notamment en R&D, la politique énergétique pouvant être remise en question en cas d’impossibilité d’atteindre les objectifs 2050 (courbes d’apprentissages, dérive des coûts…)
8 – maintenir les efforts de R&D dans tous les domaines, au niveau de l’offre, de la demande, de l’acheminement de l’énergie et des technologies de production
9 – intégrer les fortes résiliences et inerties intrinsèques du système énergétique
Enfin, à tous ceux qui en doutent, rappelons que le lien entre énergie et croissance socio-économique est fort et biunivoque : l’énergie est source de développement économique. Réciproquement, le développement économique est nécessaire pour disposer d’énergie dans des conditions durables. Ceci vaut à l’échelle des communes, des régions, de la Nation et du monde.
La redistribution des cartes économiques sur la planète appelle au sens des responsabilités : pour ce qui concerne la France, plusieurs points de croissance sont valorisables par le “Réseau 2.0”, issu de sa position au cœur de l’Europe via un système énergétique unissant les états-membres, de la ferme solaire d’Amareleja au Portugal, au consommateur du plateau de Millevaches. La loi doit veiller à ce que les régions sur lesquelles transitent les ressources énergétiques confortent leur solidarité entre elles.
La transition énergétique attendue par les Français est au stade politique : il s’agit de formaliser, trancher, arbitrer.
Compétitivité, lutte contre la précarité, solidarité spatiale et temporelle, règles de gouvernance sont les critères de cet arbitrage. Ces critères doivent se décliner par la consolidation de la compétitivité du système énergétique national et le principe de péréquation à l’échelle du territoire national, respectueux des règles communautaires d’ouverture des marchés. L’héritage que nous confierons aux générations futures (environnement, ressources résiduelles, retours d’expérience et technologies du futur) résultera en partie du projet de transition énergétique retenu. Enfin, les aspirations légitimes des territoires à contribuer davantage à leur gouvernance énergétique devront être prises en compte, sans compromettre solidarité et performance économique.
Ce temps parlementaire est court, mais la communauté des économistes de l’énergie est prête à aider les politiques dans la décision. La loi définit le cadre énergétique de long terme. Elle doit permettre aux gouvernements d’ajuster dans le respect des recommandations qui précèdent le détail de sa mise en œuvre, si besoin par des décrets d’application.
Christophe Bonnery, président de l’Association des économistes de l’énergie, et Marcel Boiteux, président d’honneur de l’Association des économistes de l’énergie