A ressources rares, allocations prioritaires.
Les décideurs, propriétaires d’aéroports régionaux, sont plus que jamais, face à des choix concernant leurs lignes, leurs modes de gestion ou encore l’avenir de leurs plateformes. Ces choix sont chacun des risques qu’ils doivent mesurer et projeter dans le futur, à travers l’outil économique de la délégation de service public (DSP). Les deux modèles de DSP (exploitation aéroportuaire et lignes d’aménagement du territoire (LAT)) doivent être analysés conjointement.
S’ils sont des domaines différents et complémentaires, ils bénéficient de fondements proches, tant au plan de la théorie économique qu’au plan stratégique. Ils ont les mêmes vocations pour les propriétaires aéroportuaires, mais participent différemment à l’avenir des aéroports régionaux français.
A la question de savoir si la délégation de service public assure l’avenir des aéroports régionaux français, les résultats sont les suivants :
- D’abord, dans un milieu aéroportuaire très contraint règlementairement, la DSP garantit, de par sa rigidité, un cadre structurel et pérenne au service public aéroportuaire. Elle est utilisée différemment selon les aéroports, avec une tendance accrue pour les plateformes régionales étudiées. La délégation de service public assure au délégataire une sérénité de gestion et de trésorerie. Elle permet aussi de s’adapter aux aléas. Elle a permis de limiter les risques, notamment au plus fort de la crise sanitaire. Elle fait jouer la concurrence entre gestionnaires et entre opérateurs de lignes, malgré un nombre insuffisant de candidats.
- Paradoxalement, bien que limitée par des effets de seuil, le développement de l’outil aéroportuaire entraine une hausse du coût de la DSP pour ses financeurs. Pour les aéroports régionaux délégués, l’objectif n’est donc pas de viser l’équilibre économique. Il consiste à développer l’outil ; sachant que cela a un coût et qu’il faut le maîtriser. La DSP est alors efficace.
Néanmoins, des constats plus nuancés apparaissent, pour les DSP d’exploitation aéroportuaire d’abord.
- Les aéroports régionaux sont chacun unique. Il n’existe pas de modèle « type » de gestion aéroportuaire entre propriétaire et gestionnaire. Cette absence de lien n’influence pas le fait qu’ils disposent, ou non, d’une DSP de LAT. Ce lien ne préjuge pas non plus d’un choix de DSP aéroportuaire. A l’image d’un certificat d’exploitation aéroportuaire, spécifique à chaque plateforme et uniquement attribué à son seul exploitant, la délégation de service public (DSP) est également un outil qui lui est propre.
- Bien qu’encouragé juridiquement, l’outil « DSP » n’apparaît pas ici comme un gage de comparabilité pour les délégants. Leurs trop nombreuses diversités de DSP rendent la comparaison économique de l’outil très difficilement probante. Une régulation centralisée semble peu efficiente sur ces tailles de plateformes.
- La DSP n’est donc pas, à elle seule, garante de la pérennité des plateformes régionales. En revanche, le couple délégant/délégataire et leurs relations sont fondamentaux. La DSP joue alors son rôle de facilitatrice. La plus-value à déléguer à une entité « proche » du cadre de référence du délégant se retrouve dans le partage de la vision stratégique ainsi que dans ses financements. Les structures bénéficiant d’actionnariats hybrides (public et privés) apparaissent plus adaptées au mécanisme de DSP aéroportuaire régionale.
- La DSP ne peut être réduite à une seule analyse financière. Elle joue un rôle clé dans la stratégie aéroportuaire régionale. L’accroissement du trafic permis par une DSP n’est pas un gage d’efficacité économique.
Des constats mitigés ressortent aussi concernant le DSP de LAT.
- Les DSP de LAT semblent indispensables pour les plateformes mono-ligne. Elles sont concurrentes entre elles. Leurs procédures (OSP puis DSP) sont longues, notamment compte tenu d’une administration nationale centralisée. Leurs financements ne garantissent pas la pérennité et la réussite à eux seuls. Paradoxalement, elles ont créé des dépendances, notamment à la suite de la crise sanitaire. Leurs modes de financement paraissent inefficaces face à la hausse récente des prix du marché. Elles doivent s’adapter, au risque de disparaître. Elles nécessitent parfois d’être interrompue en cas de déviances (structurelles ou conjoncturelles). C’est donc la ligne de désenclavement du territoire, plus que son mode de financement (qui doit évoluer) qui fait sens.
D’autres constats sont communs :
- Les théories économiques sont vérifiées, notamment concernant les risques d’agence. Les DSP d’exploitation aéroportuaires et de LAT apparaissent néanmoins singulières, du fait de leurs gouvernances tripartites et interdépendantes. Les fondements propres à l’économie publique locale, aux PPP, aux modèles d’anticipation, aux coûts de transaction ou encore au yield management peuvent appuyer les travaux de recherche. Les modèles de souplesses nécessaires et les approches du new public management se heurtent à des rigidités inhérentes au domaine aéroportuaire. Les piliers de la réussite de la DSP restent également vérifiés : transparence, concurrence, compétence et encadrement. Pour le cas des aéroports régionaux, ils n’apparaissent pas suffisants, dans un secteur aérien rigide. La capacité du délégataire à intégrer le cadre de référence du délégant est un facteur majeur de réussite.
- Également, la notion de timing est essentielle aux DSP. Dans un contexte de sortie de crise sanitaire, les risques évoluent trop et trop vite. Les délégants doivent nécessairement s’interroger sur l’intérêt de lancer, voire relancer une DSP.
Si elle est l’« outil » privilégié, des évolutions, voire des bouleversements de la DSP sont nécessaires aux aéroports régionaux et à leurs lignes de service public.
- La DSP doit évoluer vers moins de rigidité, plus de confiance, des montées en compétence et de nouveaux outils de contrôle (financiers et analytiques) et s’inspirer d’autre modèles européens. Elle peut apporter des solutions et du sens aux usagers et aux décideurs, notamment face à la perte de notion de prix du billet d’avion.
- Les DSP aéroportuaires doivent intégrer plus de souplesses en cours de contrat, via de nouveaux outils de renégociation des compensations financières, plus justes et visant l’optimisation de la dépense publique.
- Au plan écologique, les DSP sont (en volume) une « goutte d’eau», dans des temps incertains, où l’« eau devient rare ». Elles subissent les mêmes dégradations d’image que tout le secteur aérien. Elles peuvent néanmoins jouer un rôle majeur dans la transition écologique et dans le changement durable, via la compétence de leurs délégataires. Elles subsistent enfin, et malgré tout, comme le seul moyen modal dans certains cas.
En terme de gouvernance aéroportuaire régionale, plus le domaine est stratégique, moins il semble délégué. Il est surtout délégué différemment selon des aéroports, rendant les comparaisons difficiles.
Du fait qu’il soit délégué à des tiers différents (compagnies, exploitants (privés ou non), le niveau de contrôle est différent et complexe.
En matière de DSP aéroportuaire, le choix se complexifie alors pour les délégants, car il oppose deux approches : simplifier les critères de contrôle pour rendre la DSP efficace d’une part, et d’autre part, disposer de suffisamment d’éléments dans la rédaction du contrat initial pour éviter les conditions de révisions, aléas pouvant faire augmenter le coût de la délégation. Un « juste » milieu doit être recherché visant l’optimisation de la dépense publique.
La gestion des aéroports régionaux est complexe ; sa délégation l’est aussi.
Pierre-Jean Ayral
Adjoint de Direction-RAF
Enseignant vacataire Université Toulouse Capitole (IUT de Rodez)