Le décor est en place, la distribution des rôles ne fait plus mystère en dépit du faux suspense entretenu par l’exécutif sur la candidature du Président sortant, mais la mauvaise pièce d’une élection par défaut qu’on s’apprête à rejouer devant le corps électoral d’un pays fatigué par les soubresauts d’une crise sanitaire sans pilotage offrant des perspectives réellement tangibles et inquiet pour son avenir, peine à faire recette et mobiliser une opinion de plus en plus désabusée… Les signaux de cette dérive sont multiples et soulignent combien il est aléatoire de se hasarder à établir des pronostics fiables sur la base de sondages répétitifs sans grandes variations tant les dynamiques sont incertaines et tant le débat d’idées est esquivé voire escamoté, remplacé par une surenchère de polémiques qui contribuent à dégrader un peu plus le jeu politique : on voudrait alimenter une abstention encore plus massive que celle observée lors des derniers scrutins qu’on ne s’y prendrait pas différemment, en réduisant la campagne à un spectacle télévisuel médiocre où tous les coups sont permis. Le risque est alors grand de transposer en dehors des isoloirs une confrontation inéluctable si la sortie éventuelle de crise se confirme dans le contexte actuel où s’affirment des revendications de justice sociale jusqu’alors oblitérées par la mise en parenthèse et les restrictions acceptées en raison d’une pandémie qui a couté à cette heure 131 000 victimes à la France, avec un nombre de morts au quotidien auquel on a fini par s’habituer comme une norme admise, une sorte de fatalité, alors que ce prix considérable payé au virus devrait continuer à nous émouvoir et nous interpeller sur nos défaillances et limites face à une situation tout sauf maîtrisée et qui nous réserve sans doute encore bien des déconvenues…
Cette dérive est inquiétante dans un contexte d’accumulation de problèmes – pouvoir d’achat mis à mal par le retour de l’inflation et la hausse vertigineuse du coût de l’énergie et du carburant, en attendant la déflagration de la remontée des taux d’emprunt, insécurité et climat de violence grandissants pour ne retenir que ceux-là dans une liste s’allongeant au fil des semaines… – qui constituent ni plus ni moins un réservoir de bombes à retardement à moyen terme et qui, dans plusieurs cas, sont singulièrement passés sous silence au pire ou à peine effleurés au mieux dans les interventions médiatiques des candidats. La sortie du tunnel est loin d’être acquise et l’avenir – on l’a vu tout au long de ces deux années de pandémie – est plus qu’obscurci par l’impossibilité encore d’établir des prévisions fiables dans le long terme et de prendre des mesures autres qu’une succession de décisions sujettes à caution et à remise en cause en fonction des aléas et évolutions de la situation sanitaire, en particulier les mutations du virus. L’adhésion à ces mesures est de surcroît éminemment volatile, quand elles ne suscitent pas un rejet car la désignation discutable et hasardeuse de boucs émissaires, à la limite d’une provocation au désespoir – c’est le cas au Canada où des exclusions brutales ont provoqué un début de révolte chez les opposants à la politique sanitaire du Premier ministre… – atteint de plus en plus ses limites au fur et à mesure où le nombre accru de contaminations démontre qu’un dispositif comme le pass vaccinal notamment n’a aucun effet en matière de limitation de la propagation d’Omicron… Le désarroi est tel que des voix sont allées jusqu’à préconiser d’établir une ségrégation dans l’égalité d’accès aux soins entre la minorité de ceux qu’on a échoué à convaincre ou à atteindre dans les campagnes de vaccination et une majorité qui a suivi le schéma général, du jamais vu en matière de politique de santé en France où l’obligation vaccinale n’a paradoxalement pas été retenue… On n’a jamais émis la proposition de faire payer aux fumeurs victimes d’un cancer du poumon le prix de leur addiction pour la collectivité et pour eux-mêmes, mais dans le cas de la Covid-19, une forme d’hystérie clivante semble avoir pris le dessus dans la lutte contre ce fléau pour éviter de réellement prendre à bras le corps le problème central d’un système hospitalier arrivé au bord de l’implosion et à la dérive comme bien d’autres composantes du tissu sociétal hexagonal.
L’addition de cette dérive se paiera fatalement au lendemain de l’élection présidentielle qui se jouera aussi sur la base d’un bilan pour l’heure difficile à établir car le quinquennat qui touche à sa fin s’inscrit en grande part dans la continuité de celui qui l’a précédé, marqué par des attaques terroristes sans précédent et un contexte économique plus que défaillant, une situation telle qu’elle a conduit le président sortant en 2017 à ne pas se représenter aux termes de son mandat, fait rarissime sous la 5ème République.
A quelques semaines d’un mois d’avril fatidique pour le destin de la France, à la croisée des chemins après deux années cauchemardesques, rien ne justifie d’être rassuré en ces premiers jours de février en dépit d’une poignée de mesures comme l’abandon du port du masque en extérieur ou des annonces d’une reprise économique teintées d’un optimisme surjoué si on les replace dans un environnement global plus que préoccupant.
Outre-mer, une thématique sous abordée pour le moment dans les débats en vue de l’élection d’avril, on mesure avec effroi en Guadeloupe une dérive qui s’apparente au syndrome haïtien si les investigations judiciaires en cours confirment bien que des gangs armés ont utilisé la contestation contre la politique sanitaire gouvernementale pour étendre leur emprise criminelle et commettre les exactions inadmissibles constatées à Pointe-à-Pitre et ailleurs. Rien n’est résolu dans les départements ultramarins où le dialogue est au point mort pour sortir d’une crise qui s’enkyste dangereusement et qui devrait pourtant être l’objet de toutes les attentions dans cette campagne électorale singulière. Notre Outre-mer est une chance incommensurable pour la France qu’il ne faut pas gâcher comme on le fait aujourd’hui en le reléguant en dernière ligne de la liste des grands desseins à réinvestir pour enrayer notre déclin.
Ce qu’il vient d’advenir à Bamako – le renvoi sans appel de notre Ambassadeur par les autorités de la junte au pouvoir – est également le signal d’une dérive qui semble avoir été mal anticipée et qui devrait mobiliser et interroger tous les candidats à l’élection présidentielle sur le sens de la lutte menée jusqu’ici au Sahel contre l’hydre terroriste, un juste combat qui a coûté à la France le sacrifice de 53 de ses meilleurs soldats et espoirs ; à défaut d’un vaste débat parlementaire sur le partage des buts de guerre avec ceux qui ont été nos partenaires au Mali et dans les pays voisins et sur notre présence dans une zone où se joue non seulement notre sécurité mais aussi celle de l’Europe, la question s’impose comme une évidence à l’approche d’une nouvelle mandature… Le monde nouveau tant mis en avant dans la dialectique de la campagne de 2017 a bel et bien émergé mais il est loin de remplir les promesses annoncées et en ce qui concerne la présence française sur le continent africain, contestable ou non si on se réfère à une période révolue, il est clair qu’on peut parler d’un effacement inéluctable au profit d’autres influences impériales avec lesquelles nous ne sommes plus en capacité de nous mesurer aux yeux des responsables africains, qui partagent de moins en moins nos valeurs et offres de coopération… Le fiasco récent en Afghanistan servira peut-être de garde fou à toute forme de dérive additionnelle dans l’appréhension de la crise au Mali et alimentera peut-être la réflexion des candidats en lice pour la confrontation d’avril…
L’Ukraine, marge aux confins orientaux de l’Europe si on rejette la vision gaullienne et géographique d’un continent à destinée commune de l’Atlantique à l’Oural, ou contrée ayant vocation à s’aligner et intégrer l’Union européenne, est en passe d’illustrer les dernières illusions collectives en matière d’influence et de poids face à la Russie, ses divisions armées et ses ressources gazières, dans un conflit que le bon sens devrait peut-être permettre d’enrayer si chaque partie, OTAN comprise, y met du sien. Qui est prêt aujourd’hui à se battre pour le Donbass sans avoir au préalable tenté de négocier un accord diplomatique au regard de ce qui s’est passé naguère au cœur de l’Europe en ex-Yougoslavie ? Jusqu’où ira la dérive collective actuelle ? C’est aussi une question de détermination aussi bien a Kiev qu’à Moscou, mais ce qui est certain c’est que la question se posera pour les candidats parmi toutes les autres et sans doute avec un poids non négligeable pour évaluer leur capacité à faire face aux terribles défis et incertitudes de ce monde nouveau qui les attendra au lendemain du deuxième tour…
En attendant, pour conjurer le sentiment de dérive et d’incertitude qui submerge bon nombre de Françaises et de Français devant une actualité perturbante charriant des images où rares sont les occasions de se réjouir (A titre de triste illustration, Marseille « en grand » défigurée par des monceaux d’ordures ménagères, violences et scènes récurrentes de rejet voire reflets d’une haine grandissantre contre des élus appartenant à la majorité actuelle allant jusqu’aux coups, huées contre le Premier ministre lors d’une visite à Grenoble, mieux vaut arrêter la liste là…), il y a peu de recours si ce n’est la perspective de freiner et, qui sait, inverser le cours du destin national en réclamant un juste débat et en se mobilisant contre l’abstention pour que survive une démocratie mise à mal un peu partout dans le monde par une pandémie qui aura changé durablement son visage.