Sur le plan constitutionnel, le déroulement et les résultats des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 ont mis en évidence des failles institutionnelles issues, pour l’essentiel, de deux révisions constitutionnelles incompatibles avec la nature du régime de la Cinquième République.
On peut évidemment contester ce régime et décider de réviser la Constitution, voire même souhaiter une sixième République, proche d’un régime d’assemblée ou d’un régime présidentiel ou encore revenir au régime parlementaire originel de la cinquième République, avant l’élection du président de la République au suffrage universel direct.
Il était toutefois incohérent et contre nature d’instaurer le quinquennat pour un chef de l’État élu directement par les citoyens et disposant du pouvoir d’arbitrage.
La dissolution du 9 juin 2024 et les élections législatives qui ont suivi ont mis en lumière cette distorsion constitutionnelle.
I – La Constitution de la Cinquième République devait assurer l’efficacité et la stabilité des Pouvoirs publics…
La nature des institutions de la Vème République, depuis la révision constitutionnelle du 28 octobre 1962 portant sur l’élection au suffrage universel direct du Président de la République, ne peut être mieux interprétée que par son fondateur.
Dans sa conférence de presse du 31 janvier 1964, le Général de Gaulle définit la Constitution.
Après sa phrase célèbre rappelant qu’« une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique », il explique que « son esprit procède de la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité dont ils manquaient organiquement sous la troisième et la quatrième République ».
Il s’agissait pour lui de palier les effets d’« un système qui mettait le pouvoir à la discrétion des partis, végétait dans les compromis, s’absorbait dans ses propres crises, était inapte à mener les affaires de notre pays. »
A) Par le Chef de l’État, source et détenteur de l’autorité de l’État, garant du destin de la France et de la République.
Le Président est la clef de voûte des institutions,, ce qui exclut, pour le Général de Gaulle, « que le Président soit élu simultanément avec les députés, ce qui mêlerait sa désignation à la lutte directe des partis, altérerait le caractère et abrégerait la durée de sa fonction de Chef de l’État ». Plus loin, dans sa conférence de presse, le Général enfonce le clou en précisant qu’« on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet …. En effet, le Président… est l’homme de la nation…pour répondre de son destin ».
« Le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l’autorité de l’État ». La nécessité du septennat est ensuite réaffirmée : « Mais, précisément, la nature, l’étendue, la durée de sa tâche, impliquent qu’il ne soit pas absorbé, sans relâche et sans limite, par la conjoncture politique, parlementaire, économique et administrative ».
Détenteur de l’autorité de l’État, le Président a la charge d’assurer sa continuité en recourant « à la nation pour la faire juge du litige (avec le Parlement) par voie de nouvelles élections, ou par celle de référendum, ou par les deux ».
C’est le pouvoir d’arbitrage du Chef de l’État.
B ) Disposant du pouvoir d’arbitrage
La notion d’arbitrage figurant à l’article 5 de la Constitution du 4 octobre 1958 a pu être jugée ambiguë. Selon le Doyen Vedel, elle « …est la plus brumeuse de toutes les nuées qui encombrent notre droit constitutionnel ».
Le pouvoir d’arbitrage est pourtant, selon nous, une attribution fondamentale du Chef de l’État puisqu’elle justifie le recours possible du Président au référendum et son droit de dissolution.
Le pouvoir d’arbitrage est à la fois essentiel pour garantir le respect de la Constitution et un élément de la souveraineté nationale. Pour le Général de Gaulle, le Président devait prendre position sur les grands problèmes, aider la nation à exprimer ses intentions profondes en éclairant ses choix.
Les débats traditionnels sur la notion d’arbitrage font souvent référence au sport d’équipe : le Président est-il arbitre ou capitaine d’équipe ?
Incontestablement, nous sommes passés de l’arbitre neutre, avant la révision de 1962, à l’arbitrage actif depuis l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. L’arbitre n’est finalement pas le Chef de l’État mais l’ensemble des citoyens à qui il demande de s’exprimer, de clarifier, au-dessus des rivalités partisanes. Pour reprendre la comparaison sportive, actualisée par les progrès technologiques, le Président, c’est l’arbitre qui demande la VAR (« Vidéo Assistants Referees » pour l’assistance vidéo à l’arbitrage).
L’arbitre, en droit constitutionnel comme en sport, conserve la décision finale. Ce recours ne peut être exercé par le capitaine d’une des deux équipes.
Pour cela, la légitimité de l’arbitre doit être incontestée d’une part par son élection au suffrage universel direct et d’autre part par la durée de son mandat qui le désengage, en théorie, des luttes quotidiennes et partisanes. Cette seconde source de légitimité a volé en éclats avec l’instauration du quinquennat, incitant les présidents successifs à entrer dans l’arène, c’est à dire à présider et à gouverner, perdant ainsi la hauteur de vue nécessaire pour en référer aux citoyens.
II – Deux révisions constitutionnelles compromettant la stabilité des Pouvoirs publics et l’exercice de la fonction présidentielle…
Le pouvoir constituant dérivé est reconnu à l’article 89 de la Constitution de la Vème République et, de manière controversée et subsidiaire, à l’article 11 par le recours exclusif au référendum.
Le régime de 1958 est d’ailleurs, de tous ceux qu’a connus la France, celui qui a modifié le plus souvent sa Constitution. Pourtant, si la révision constitutionnelle du 28 octobre 1962 instituant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct a donné une forte légitimité au Chef de l’État, celle du 2 octobre 2000 réduisant de sept à cinq ans la durée de son mandat a conduit à un bouleversement constitutionnel en cascade.
A) Par l’instauration du quinquennat mettant en cause le pouvoir d’arbitrage du Chef de l’État, fondement de son droit de dissolution.
L’instauration du quinquennat présidentiel affecte la nature du régime de la Vème République définie par le Général de Gaulle en 1964.
Elle met en cause le droit de dissolution trait essentiel du régime parlementaire. Cette prérogative vise en effet un double objectif :
- recourir à l’arbitrage du corps électoral en cas de conflit avec l’Assemblée
- assurer l’équilibre des pouvoirs en évitant à l’Exécutif de devenir le vassal du pouvoir législatif.
Par la dissolution du 9 juin 2024, le Président de la République a ainsi rappelé qu’il voulait « une clarification ».
Indépendamment des contestations sur la brutalité et le délai très court du débat électoral, en début de période estivale, la clarification n’a pas eu lieu.
Outre les attentes contradictoires des citoyens et l’effet pervers d’un « front républicain », au demeurant très respectable, consistant à transformer le vote d’adhésion en un système de rejet, le quinquennat explique en partie le résultat « vaporeux » des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024.
Sur l’absence de majorité, il sera d’ailleurs utile de se poser la question du changement de mode de scrutin. Mais remplacer le scrutin majoritaire à deux tours par la Proportionnelle intégrale consisterait à vouloir se débarrasser de fourmis avec une traînée de sucre. Le scrutin majoritaire à un tour, évitant des tractations douteuses entre les deux tours renforcerait l’efficacité et la transparence institutionnelle.
Concernant notre sujet, rappelons nous que la Constitution est aussi une « pratique ».
L’actuel Chef de l’État, par l’intermédiaire de services communs à l’Élysée et à Matignon, a souvent cumulé les fonctions de Président de la République et de Chef du Gouvernement. Si cette pratique est personnelle, elle tient également à la durée du mandat présidentiel identique à celui des élus de l’Assemblée Nationale devant laquelle le Gouvernement est responsable.
Selon le fondateur de la Vème République, le pouvoir d’arbitrage prévu à l’article 5 de la Constitution et fondement du droit de dissolution, permet au Président de prendre position sur les grands problèmes, aider la nation à exprimer ses intentions profondes en éclairant ses choix. L’autorité de l’arbitre ne dépend donc pas de sa neutralité, mais elle exige une certaine hauteur de vue, un désengagement par rapport aux luttes quotidiennes et en politique la « hauteur » de vue peut notamment se mesurer à la « longueur » c’est à dire à la durée du mandat.
Comment en effet, se désengager des luttes quotidiennes et partisanes lorsqu’on en émane, étant élu pour la même durée et, souvent, au même moment ou à quelques semaines près. La fonction présidentielle est alors désacralisée au profit de rivalités partisanes exigeant la démission du Chef de l’État ou engageant à son encontre une procédure de destitution ou encore attendant la prochaine dissolution ou l’élection présidentielle de 2027.
Dans son esprit la 5ème République a institué un Chef de l’État pour durer et un Chef de Gouvernement pour endurer. Avec le quinquennat, les deux institutions endurent quand elles ne subissent pas.
Pour compléter et actualiser avec humilité les propos du regretté Professeur Richard Ghevontian [1], le quinquennat, à la lumière de la dissolution du 9 juin 2024 et des élections législatives qui ont suivi, a contribué à déplacer le débat politique. Il n’est plus aujourd’hui entre le Président et la nation ou entre le Président et le Premier ministre, les deux fonctions pouvant se cumuler par ailleurs, mais entre le Président/Premier ministre et une Assemblée, certes fragmentée, mais qui prend conscience de son influence retrouvée, voire de son pouvoir de nuisance et qui apparaît de plus en plus frondeuse.
La situation politique et institutionnelle issue des élections législatives de 2024 paraît plus proche du régime de la IVème République que du fonctionnement des institutions voulu et présenté par le Général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964.
Soixante ans après, la dissolution et ses conséquences législatives ont montré, à l’évidence, l’affaiblissement de la fonction présidentielle, notamment à cause du quinquennat. La réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a consacré cette déstabilisation du régime.
B) Par le second quinquennat non renouvelable, période transitoire peu propice aux réformes ambitieuses.
Avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et l’impossibilité pour Président de la République d’exercer plus de deux mandats consécutifs, le second mandat présidentiel est transformé en période transitoire, de gestion des affaires courantes et de précampagne présidentielle.
Le temps des projets n’est plus.
Pourtant, le Président de la République « est l’homme de la nation… pour répondre de son destin » disait le Général de Gaulle le 31 janvier 1964.
La notion de « destin » suggère l’« avenir » et donc le temps long. Or la durée de la fonction du Président Macron est à peine de trois ans lorsqu’il dissout l’Assemblée Nationale dont les nouveaux membres seront en place, constitutionnellement, pour cinq ans ;
Qui incarne alors l’avenir et le destin de la France ?
Le second quinquennat devient, au mieux, le temps de l’achèvement des réformes, au pire celui de la préparation de la prochaine échéance présidentielle. Ce temps court est également un temps « suspendu » à l’absence de majorité de gouvernement et à l’alliance potentielle des contraires.
Le temps court devient une immédiateté en sursis. Dans une vision à quelques semaines, le destin de la France ne peut plus être assumé.
Le second quinquennat non renouvelable renforce l’illusion d’un arbitrage ; difficile pour le détenteur de ce pouvoir de répondre du destin de la nation lorsqu’il n’est plus, lui-même, maître du sien.
Les révisions constitutionnelles du 2 octobre 2000 et du 23 juillet 2008 sont venues percuter celle du 28 octobre 1962 renforçant la légitimité présidentielle et l’article 5 de la Constitution accordant un pouvoir d’arbitrage au Chef de l’État. Pour certains, aucun État démocratique contemporain ne confie des pouvoirs aussi étendus à un seul homme pour une période aussi longue de sept ans.
C’est faire fi de la « nature » des pouvoirs conférés au Président de la 5ème République en minimisant la portée de la deuxième phrase de l’article 5 de la Constitution qui consacre le pouvoir d’arbitrage et de l’article 12 sur le droit de dissolution.
On peut contester ces pouvoirs mais ils commandent un temps long. Réduire la durée du mandat présidentiel sans modifier l’article 5 de la Constitution conduit à une révision inachevée et crée un dysfonctionnement institutionnel par incompatibilité constitutionnelle. Certes, le Chef de l’État conserve un rôle majeur dans notre Constitution, notamment en politique étrangère et dans le domaine de la Défense ; l’inauguration des chrysanthèmes n’est pas d’actualité.
Pourtant, comme nous l’écrivions dans cette revue en 1993 [2] : « L’établissement du quinquennat peut constituer la première pierre d’un nouvel édifice démocratique. Gageons que les citoyens en seront les bénéficiaires plutôt que les invités à l’inauguration d’un jour. »
Trente et un ans après, la dissolution et les élections législatives de 2024 ont montré qu’il s’agissait bien de l’inauguration d’un jour mais aux répercussions fortes et durables sur la fonction présidentielle.
La première dissolution d’un Président de la Vème République au cours d’un second quinquennat non renouvelable aura au moins eu le mérite de mettre en lumière ces contradictions constitutionnelles qui affaiblissent le pouvoir d’arbitrage du Chef de l’État et mettent en cause la stabilité des Pouvoirs publics.
THIERRY LHERMITE
Docteur en Droit
[1] Quinquennat : Louis Favoreu avait raison – Revue française de droit constitutionnel 2014/4 n°100
[2] Quinquennat et démocratisation des institutions – n°963. Janvier – Février 1993 – p 25