Le 24 février 2025 sera une date fatidique, le 3e anniversaire du déclenchement d’une guerre ouverte d’agression à ses débuts puis d’attrition par la suite opposant Moscou à Kiev qui aurait peut-être pu être différée si on avait pris acte plus tôt de l’échec des accords de Minsk 2. L’indépendance de l’Ukraine et son existence en tant qu’État nation font débat depuis des lustres quand la Galicie et Lemberg (Lvov puis Lviv) étaient encore sous administration de l’Empire austro-hongrois des Habsbourg et quand les Romanov régnaient sur l’essentiel du reste de la partie orientale de l’Europe. Deux guerres mondiales plus tard, ce vaste et fertile territoire, berceau originel puis grenier à blé de l’empire slave et orthodoxe plus au nord, tragiquement hanté par les victimes de l’Holodomor (1932/1933), mortes de famine infligée par le totalitarisme communiste et celles majoritairement juives de la Shoah par balles (1941/1944)- crime génocidaire des envahisseurs nazis-, enfin souverain une nuit de fin août 1991 dans le prélude de la liquidation définitive de l’URSS, est à nouveau à la croisée des chemins. Amputée de 20% de son territoire tel qu’il était au soir de l’indépendance (de la péninsule de Crimée depuis 2014 !), zone de guerre terriblement dévastée,
l’Ukraine à l’histoire instrumentalisée de toutes parts, se trouve dramatiquement confrontée à la remise en question de la maîtrise de son destin et de la liberté de ses choix quant à son désir de rejoindre l’Union européenne et intégrer l’Otan ou pas.
La faute en revient largement à l’absence de clarté et de consensus de la part de ses alliés initiaux dans la définition de leurs buts de guerre : une guerre par procuration certes ou une « drôle de guerre » mais de facto une participation active au conflit par financement et envoi d’armes considérables, omettant d’en anticiper l’implication et le coût réels pour des économies chancelantes au sortir de la pandémie et d’en préciser sérieusement les contours et la croissance possibles au vu des moyens à disposition, face à un adversaire russe sans limitation apparente dans sa volonté expansionniste et libre dans ses processus étatiques de décision d’escalade ou non, car maître d’augmenter son budget militaire en sacrifiant la prospérité générale de sa population il est fort d’un arsenal nucléaire sans commune mesure avec celui de la France ou du Royaume-Uni, par ailleurs inexistant chez les autres États membres de l’Union européenne-… Le nombre de victimes de ce conflit dépasse d’ores et déjà le million des deux côtés des belligérants directs et des milliards de dollars et d’euros auront été engloutis jusqu’à présent sans effets probants évidents pour un recul de l’agresseur sur la ligne de front : est-il encore concevable et admissible d’aller au delà dans l’état actuel du théâtre des opérations sur le terrain et au sortir des toutes dernières réunions de Paris ? Les trains successifs de sanctions économiques et le gel à Bruxelles de 200 milliards d’euros d’avoirs russes n’ont pas plus provoqué l’effondrement de la Russie, comme le clamaient à l’envi ceux qui n’auront cessé de bercer d’illusions les opinions publiques occidentales avec l’aide de médias aux analyses un peu trop rapides sur l’isolement de Moscou et l’imminence d’une défaite inéluctable (à quel terme ?), liée selon eux en partie à un hypothétique manque d’adhésion du peuple russe aux visées « impérialistes » de ses dirigeants, un peuple -il ne faut pas l’oublier- tristement habitué à un sacrifice inouï de son sang tout au long de son histoire dans des proportions inimaginables côté ouest du vieux Continent et qui partage in fine les craintes d’encerclement héritées de la Guerre froide, affichées à tort ou à raison par une oligarchie toujours conditionnée par plus de 70 ans de totalitarisme communiste dans sa posture vis à vis de l’Occident…
Le constat peut sembler sévère, mais il s’impose à la lumière du peu de résultats obtenus à un prix aussi démesuré et en l’absence de toute velléité d’amorce de pourparlers entre belligérants, quasiment dogmatique, contrairement à ce qui a pu se passer dans le cadre d’autres conflits à répercussion internationale depuis 1945 comme ceux du Vietnam ou de l’ex-Yougoslavie au cœur de l’Europe, jusqu’au retour des Républicains au pouvoir à Washington.
Il se trouve que le peuple américain, exempt d’un passé aussi lourd que celui des Ukrainiens et des Russes et chez qui la liberté individuelle tient lieu de boussole, a élu massivement pour les quatre ans à venir afin de piloter le pays pilier de l’Otan et principal soutien en financement et armement de l’Ukraine un Président disposant de leviers de décision sensiblement équivalents en poids à ceux de son homologue russe, et ce leader incontournable a acquis la ferme conviction de la nécessité de mettre un terme à une guerre devenue de jour en jour une impasse mortifère pour l’ensemble des parties impliquées. Donald Trump a affiché sans ambiguïté avant son élection, de manière symbolique en utilisant l’image d’un délai de 24 heures, sa volonté d’arrêter les frais d’un conflit qu’il estime néfaste de prolonger pour les intérêts des États-Unis , et s’il le fait d’une manière spectaculaire et unilatérale en réouvrant directement le dialogue avec Vladimir Poutine, tout ceci était prévisible notamment à la lumière du retrait d’Afghanistan entériné par l’administration Biden et du peu d’empressement manifesté par celle-ci pour éventuellement accueillir l’Ukraine au sein de l’Alliance atlantique, sans parler du refus clair d’envoyer des troupes américaines sur le terrain des combats depuis leur début.
Que les Européens n’aient pas anticipé ou simplement envisagé cette éventualité en s’y préparant plus en amont reflète une bonne dose d’aveuglement et de déni devant l’émergence d’un nouveau contexte des relations internationales où n’ont plus cours les interprétations et pratiques héritées de 1945.
À l’instar d’un coup de pied dans la fourmilière de leurs illusions, le vent de panique de moins en moins dissimulé qui souffle dans les chancelleries à l’Ouest de l’Ukraine, aura ceci de bon qu’il obligera peut-être enfin nos dirigeants à regarder en face la réalité du monde tel qu’il se présente aujourd’hui avec ses nouveaux rapports de force et ses codes « moraux » totalement revisités ou contestés parce qu’en définitive ils n’auront jamais été réellement appliqués et honnêtement respectés par ceux qui s’en faisaient les avocats donneurs de leçons de bonne gouvernance et d’éthique dans un univers toujours plus criant de corruption, d’injustices et de violations de la démocratie. Pour beaucoup d’entre eux, l’heure est venue de s’effacer quand il est trop tard pour tirer les leçons d’erreurs répétées d’appréciation des rapports de force. Pour les autres, ceux qui survivront à ce spectaculaire renversement de situation – la résurgence des Empires en compétition mais aussi en recherche de nouvelles alliances tactiques dans un monde multipolaire où l’ONU a perdu tout réel crédit et où l’Union européenne, faute d’incarnation solide autre que des technocrates éloignés de leurs bases nationales et des aspirations de leurs mandants, s’est fourvoyée dans une vision erronée de sa position en tant que pôle d’influence au milieu de cette reconfiguration – il s’agit désormais d’assumer au juste prix la défense de leurs intérêts vitaux. S’ils prennent conscience qu’ils n’en sont plus matériellement et financièrement capables, ils n’auront probablement pas d’autre choix que de s’aligner et d’accompagner ce mouvement de bascule qu’ils auront refusé de voir et d’anticiper, à la place que voudront bien leur assigner les nouveaux maîtres du jeu.
Le réveil est éminemment brutal mais hélas tardif et les cris d’orfraie poussés par une partie des participants à la conférence sur la sécurité de Münich, suite au discours de J D Vance, Vice président des États-Unis, taxé de violence et d’inconvenance, d’ingérence inadmissible dans les affaires de l’Europe, montrent combien le chemin risque d’être long avant une prise de conscience qu’il est plus que temps d’ouvrir les yeux sur notre déconnexion avec la réalité de notre affaissement. Au lieu de feindre l’indignation et d’y voir ce qu’il ne contient pas, ceux qui n’ont eu de cesse de vilipender en le traitant de fou le désormais 47e Président des États-Unis tout en pariant sur l’élection de Kamala Harris sans avoir compris le désir d’alternance du peuple américain excédé par une dérive wokiste de plus en plus incontrôlée, feraient mieux de relire attentivement les avertissements contenus dans la vision d’un regard neuf et extérieur sur les défaillances d’une Europe où les dirigeants s’éloignent dangereusement de plus en plus des attentes de leurs électeurs, persuadés qu’ils seront les seuls à maîtriser un environnement politique, économique et sociétal considérablement abîmé en faisant abstraction ou en confisquant purement et simplement la signification du vote ou toute autre forme d’expression de la souveraineté populaire.
Cette illusion, si elle perdure dans leur mode de gouvernance et dans les éléments de langage interchangeables qu’ils distillent à longueur de discours, finira par leur être fatale…
C’est dans le luxe d’un palais de Riyadh qu’ont débuté les premières négociations entre les États-Unis et la Russie en vue d’un traité de paix pour mettre fin à une guerre inique, absurde, fratricide ?, tout ce que l’on voudra en fonction de la posture que l’on choisira d’afficher, qu’importe si le peuple ukrainien peut espérer un cessez-le-feu à échéance rapprochée, épargnant des morts additionnelles de civils, injustes et inutiles, stoppant la destruction d’infrastructures dont la reconstruction sera de l’ordre de celle nécessaire à l’issue de 39-45, et s’il peut en toute sécurité retrouver le chemin des urnes et se prononcer sur son avenir en pleine liberté et totale souveraineté. Pour les garanties de la pérennité du retour de la paix en Ukraine, il faudra que l’Union européenne consente à des sacrifices et des efforts à la hauteur d’une réelle ambition de défense communautaire qui reste pleinement à construire.
Ce n’est pas une capitale de l’Union européenne, Berlin, Bruxelles, Madrid, Rome ou Paris choisie il y a bien longtemps pour héberger les négociations de paix pour le Vietnam, qui a été retenue pour la reprise du dialogue entre les vrais protagonistes centraux de la guerre en Ukraine. Cela devrait singulièrement nous secouer et nous réveiller collectivement sur la vacuité de nos illusions mais ce n’est même pas certain en considération de cette sorte de somnambulisme qui nous a conduit là où nous sommes tombés aujourd’hui dans notre « cher et vieux pays »…
Illustrant et confortant la vision portée par J D Vance sur le vieux continent, en France la censure d’une Agence administrative de « régulation » de l’audiovisuel créée en 2022 par la macronie ( qui pourrait finir, pourquoi pas pendant qu’on y est, par ressusciter les lettres de cachet contre ceux qui ne se conforment pas à la doxa gouvernementale officielle dite « progressiste »!) vient d’évincer de la TNT deux chaînes de télévision, C8 et NRJ12 émettant depuis 20 ans, avec la bénédiction du Conseil d’État pour des motifs inaudibles aux oreilles de la majorité des Français.
C’est ni plus ni moins une atteinte à la liberté d’expression que ne renierait pas un régime dictatorial hostile à la démocratie, motivée par les pressions idéologiques patentes et répétées d’un bloc de gauche aux abois, qui détériorent un peu plus le climat d’un pays polarisé à l’extrême et menacé d’implosion si ses dirigeants ne se ressaisissent pas au plus vite.
Le soupçon d’une justice partiale et perméable aux idéologies de tout bord mettra de plus en plus en danger la démocratie et achèvera d’ébranler des institutions d’ores et déjà fragilisées par les assauts d’un monde en ébullition. Ajoutant un motif supplémentaire d’inquiétude sur notre capacité à surmonter la tempête actuelle sur la scène internationale, la tentative de déstabilisation en cours du Premier ministre par le biais du scandale de Bétharram en réponse à l’échec des premières salves de motions de censure qu’il essuie et la désignation de justesse à 1 voix près du futur président du Conseil constitutionnel ne vont pas contribuer à rassurer un pays profondément en proie au désarroi devant l’ampleur des défis à relever pour rester dans la course et redevenir un interlocuteur crédible aux yeux sans complaisance du nouveau monde émergeant à la vitesse et avec la brutalité d’une lame de fond venue d’outre-Atlantique…
Dimanche, ce sera au tour de l’Allemagne d’occuper temporairement les devants de l’actualité à travers un vote capital.
Une actualité impitoyable, endeuillée par la confirmation (le 19 février 2025) de la mort révoltante, effroyable d’une mère et de ses deux très jeunes enfants, otages israéliens capturés le 7 octobre 2023 , dans les griffes meurtrières des terroristes du Hamas…
Et on ose, en cette vallée de larmes dans laquelle erre une grande partie de l’humanité, nous parler de paix par la force ? La postérité jugera de la validité de cette formulation utilisée dans le cadre du drame ukrainien, toute honte bue, par nos marchands d’illusions…