Pour Pierre Larrouy, économiste et essayiste, la gauche social-démocrate est inaudible ou désaxée face au conflit social sur les retraites, elle erre sur les scories de ce qui était son terrain de prédilection. Un social qui acceptait de se mettre en chiffres, des opérations dont les signes et les systèmes étaient clairement identifiés. Négocier avait dans ce contexte un sens partagé par la majorité des acteurs.
Les clés de redistribution ouvraient des portes dans la vie courante, à hauteur d’hommes, d’entreprises, de syndicats. Mais le jeu s’est déplacé. Ce qui fait problème n’est plus une clé mais un clic informatique. La négociation se heurte à une « puce ». Une mondialisation gangrénée par des gouvernances tyranniques de la techno-finance escamote le ring des affrontements initiaux. A l’aveugle, la vindicte se porte sur un adversaire désincarné. Plus rien ne vient faire médiation. Tous dans le même sac, les élites ainsi nommées.
Des syndicats débordés par leur base fluctuent au gré des vents porteurs. Le gouvernement surfe entre la vague bruxelloise à qui il faut donner des gages et celle des exigences des alliés électoraux ou des principes de la réforme.
Tout cela n’a qu’un point commun, une incapacité à éclairer le futur.
Pourtant c’est bien d’une crise du futur dont souffre notre société.
Comment, dès lors, instruits par le récent mouvement des « gilets jaunes », n’est-il pas venu à l’esprit que le moment était le plus mal choisi pour venir exciter la ruche citoyenne en touchant au symbole même de la relation tangible avec le futur, les retraites ? La gouvernance par les nombres, chère à Alain Supiot, est venue, une nouvelle fois inscrire un profond désordre en réponse à une pédagogie coupée du réel, le vrai réel pas la réalité, celui qui transporte les imaginaires et les traumatismes masqués dans le liquide interstitiel entre l’intime et la vie publique.
La gauche social-démocrate pourra y voir de manière définitive là où le bât blesse dans son camp. Elle n’a pas su ces vingt dernières années accomplir sa mue, en simultanée avec celle d’une société embarquée dans une histoire disproportionnée dans ses masses et son rythme d’un progrès largement impensé dans ses conséquences humaines et sociales.
Cette gauche doit renouer le fil avec ce qu’il en est de ses traditions et de ses devoirs pour un progrès partagé.
Le précédent quinquennat avait ainsi géré de manière beaucoup plus cohésive les questions de retraite. Il faut commencer par relire ensemble l’avenir pour pouvoir envisager de discuter des adaptations systémiques à envisager.
Mais plus largement c’est l’approche du social, dont Lacan, d’une formule lapidaire, disait que « l’inconscient c’est le social » (ou encore « l’inconscient c’est la politique »), qu’il faut appréhender avec de nouvelles approches. L’hubris actuel n’en est-il pas le signe ?
Le populisme est enfant de cet interstice laissé par la social-démocratie entre cette éruption sans filtre de l’intime qui s’invite sur la place publique et les récupérations politiciennes qui viennent aussitôt s’en nourrir.
La crise sociale actuelle laissera de toute manière un profond ressentiment qui ouvre le chemin d’une solution autoritaire pour calmer une déshérence devenue chronique.
Pierre Larrouy
Economiste et essayiste