Le Préfet est le représentant interministériel de l’Etat territorial et cité en tant que tel dans la Constitution. Son premier devoir est d’exécuter les ordres reçus d’en haut et d’en exposer les motifs et les modalités aux élus et à la population. En retour, il doit faire connaître au gouvernement les attentes et préoccupations de celle-ci et exposer ses propres suggestions voire objections (double mouvement up-down et down-up).
Devenir Préfet s’apprend car il exerce un métier apparemment généraliste mais en réalité complexe. La décision présidentielle d’extinction des corps préfectoral et diplomatique pour verser ses membres dans un corps unique des administrateurs d’Etat ne peut occulter le fait qu’on ne s’improvise ni Préfet ni Diplomate et qu’il convient de s’inscrire dans une filière professionnelle, un parcours ascendant de responsabilité et de reconnaissance de capacité par ses pairs.
Parmi ses missions premières, le Préfet a celle de gérer les risques au plus près des lieux de sinistre éventuel ou survenu et de la population qu’il a le devoir de protéger.
Comme dans d’autres domaines, il agit dans le cadre de l’Etat de droit, en s’assurant de l’application des textes en vigueur et des mesures obligatoires afférentes, en veillant au respect de la hiérarchie des normes, de la loi aux arrêtés municipaux, et en prenant lui-même, si nécessaire, les arrêtés préfectoraux de mise en œuvre. Le Préfet agit sous le contrôle des juridictions administratives et judiciaires. Mes codes de droit administratif, pénal et de procédure pénale ont toujours eu leur place sur mon bureau, comme me l’a appris un éminent Préfet de police. Personnellement j’ai régulièrement invité, en qualité d’observateur et témoin, le Procureur de la République territorialement compétent ou son substitut sur les lieux du sinistre et durant la phase opérationnelle, dans l’hypothèse parfois vérifiée d’une mise en cause ultérieure des autorités publiques pour atteinte aux personnes et aux biens. Je pense que la plupart de mes collègues agissent prudemment de même.
La diversité des risques auxquels notre pays doit être en capacité de faire face est abyssale :
- Risques climatiques : fortes pluies et grêle, inondations, tempêtes et cyclones, canicule ;
- Risques naturels : raz-de-marée, éboulements (notamment sur le littoral et en montagne), effondrements (dont carrières et mines), chutes d’arbres ;
- Incendies urbains, industriels et forestiers ;
- Risques humains générés par des manifestations protestataires, des émeutes, des occupations illicites, des attroupements festifs, certaines rencontres sportives et l’usage de feux d’artifice et de mortiers ;
- Risques sanitaires, épidémies, épizooties ;
- Risques industriels dus à des activités dangereuses (par exemple, pétrolières, gazières et chimiques) sur terre et sur mer (cf. marées noires) ;
- Risques routiers, ferroviaires, aériens (de la collision au renversement et à la chute) et maritimes (notamment naufrages) ;
- Risques induits par le terrorisme d’une actualité récurrente depuis 1982.
Cette énumération impressionnante n’est probablement pas exhaustive mais elle suffit à faire comprendre les enjeux de prévision, d’organisation, de planification, de traitement opérationnel et de conclusion des crises dans lesquelles l’action préfectorale est prescrite et décisive.
Gouverner et administrer c’est d’abord prévoir et anticiper donc, en l’espèce, identifier les risques et tâcher de les conjurer en réduisant, autant que possible, la part de l’imprévu.
Cet impératif s’impose d’abord à la Préfecture. Ainsi, à mon installation dans chacun de mes postes territoriaux, je commençais par faire vérifier le bon fonctionnement du groupe électrogène pour assurer l’autonomie électrique en cas de panne extérieure, puis à entreprendre la mise à jour du plan ORSEC et enfin à réaliser l’actualisation des coordonnées professionnelles et personnelles de tous les chefs de service et de leurs adjoints. Souvent bien m’en a pris, en raison du degré d’imprévoyance constaté. Mais sur le terrain, bien d’autres actions de prévention s’imposent. Par exemple les plans d’urbanisme doivent prohiber des constructions en zones inondables et des digues de protection doivent être édifiées en des lieux exposés. Les cours d’eau doivent être régulièrement débarrassés des obstacles les obstruant. Les départements d’outre-mer, régulièrement menacés par des cyclones, doivent installer des dispositifs de protection collective et individuelle et être prêts à fermer les établissement publics devenant inaccessibles dont les écoles. Les épisodes météorologiques cévenol et méditerranéen sont récurrents et leurs conséquences prévisibles, ce qui doit conduire à des systèmes d’alerte, de confinement et d’évacuation pré-établis. Les zones forestières les plus exposées aux incendies, accidentels ou criminels, sont recensées depuis des années : il en résulte des arrêtés d’interdiction de circulation, des installations de réserves d’eau proches, des miradors et le pré-positionnement d’unités d’intervention. Dans toutes ces circonstances, le Préfet agit, dans un esprit de coopération et de coordination plutôt que d’injonction auprès des élus locaux et des services territoriaux compétents. Evidemment, s’il n’est pas entendu, il dispose d’un pouvoir de mise en demeure et, si besoin est, d’action réglementaire voire juridictionnelle. Il en va de même envers les entreprises industrielles, singulièrement celles classées SEVESO, du nom d’une commune italienne atteinte en 1976 par un nuage de dioxine après l’explosion d’une usine chimique. Ce classement SEVESO, avec différents seuils, est réservé à des établissements industriels présentant des risques d’incidents majeurs, avec la difficulté supplémentaire que certains sont installés depuis longtemps près de zones habitées. La vigilance n’en doit être que plus grande. Si le classement est de compétence nationale, la mise en œuvre est de compétence préfectorale : respect des périmètres de sécurité, des modes de production et de stockage, arrêtés préfectoraux d’autorisation, contrôles réguliers ou inopinés des services spécialisés. En cas de négligence avérée, le Préfet engage la responsabilité de l’Etat et la sienne propre.
Le Préfet, chainon majeur de la gestion des crises, s’inscrit dans une organisation nationale et territoriale.
Le Ministère de l’Intérieur, chargé de la sécurité, est le pivot interministériel du dispositif national. Dans son organigramme figure la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des risques (DGSCGC), sise à Asnières, dont les quatre sous-directions expriment les différentes missions : typologie des crises, anticipation de leur survenue, suivi de la réglementation, gestion des moyens, amélioration de la stratégie, pilotage des acteurs et vision prospective. Cette direction générale compte un état-major de crise chargé du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Il est le référent incontournable des Préfets. Evidemment, d’autres Ministères sont impliqués dans la gestion des crises. Par exemple, le Ministère de la Santé est en charge de la sécurité sanitaire et est relayé depuis 2010 par 18 Agences régionales de santé dont 5 Outre-Mer chargées de la déclinaison territoriale des politiques de santé et particulièrement de la sécurité sanitaire. Par souci d’efficacité et donc de coordination, les Préfets ont demandé la désignation de correspondants départementaux de ces ARS. Le Ministère de l’Equipement et de l’eau est aussi un partenaire majeur, qu’il s’agisse par exemple de la météorologie, de la sécurité portuaire, de l’alimentation en eau potable ou de l’expertise du laboratoire central des ponts et chaussées. Quant au Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, il intervient notamment dans la prévention des risques naturels et technologiques et la sécurité industrielle et des transports. Le Ministère de l’Agriculture est lui-même compétent pour la sécurité alimentaire, la prévention et la réparation des dommages agricoles, des épizooties et des sinistres humains et matériels des pêches maritimes (auxquels il faut savoir associer, depuis 1995, le Secrétariat général à la Mer). A chaque Préfet de frapper à la bonne porte en cas de besoin. Mieux vaut qu’il soit assisté efficacement par les directions départementales compétentes relevant hiérarchiquement de ces différents ministères.
L’expérience a conduit à la création d’un échelon zonal, d’abord de défense en 1950 et puis, en 2009, de défense et de sécurité qui est confié au Préfet de police à Paris et à six Préfets de région à Lille, Rennes, Bordeaux, Marseille, Lyon et Metz.
Il faut y ajouter, en cet échelon interdépartemental, les Préfets maritimes de Cherbourg, Brest et Toulon. Ces responsables peuvent avoir des relations spécifiques avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, placé sous l’autorité du Premier Ministre. Ce n’est pas le cas des Préfets de département qui passent sous l’autorité des Préfets de zone en cas de sinistre interdépartemental et peuvent les solliciter pour des concours complémentaires de personnels et des apports de véhicules et matériels.
Reste le socle, celui de la proximité de la population : le département et son Préfet assisté de son équipe préfectorale (directeur du cabinet, secrétaire général, Sous-préfets d’arrondissement, parfois des Préfets ou Sous-Préfets délégués) et différents service déconcentrés (cohésion sociale et protection des populations, emploi et travail, environnement et logement, police, gendarmerie, etc…). Cependant le service essentiel est le service départemental d’incendie et de secours (SDIS), établissement public crée en 1955, dont le Président du Conseil départemental a la charge administrative et financière et le Préfet la responsabilité opérationnelle. Le SDIS se ramifie en centres de secours communaux ou intercommunaux servis par des sapeurs professionnels et volontaires pour mener à bien la 1ere intervention, en l’attente de renfort plus éloignés. La France compte 41.000 professionnels et 197.000 volontaires auxquels il convient d’ajouter les 11.000 militaires de Paris et Marseille. La DGSCGC visée plus haut intègre la Direction des Sapeurs-pompiers qui dialogue en permanence avec la puissante Fédération nationale des sapeurs-pompiers. Au-delà des préoccupations statutaires et de la défense des intérêts des protagonistes, elles ont le souci commun de la crise de vocation des volontaires, tiraillés entre service public, emploi et famille et elles ont l’ambition de recruter de jeunes bénévoles, initiés dès le collège au secourisme, aux manœuvres de base et au savoir-être de la citoyenneté. Nombre de Préfets se déplacent pour susciter des vocations, avec un accueil très positif dans les établissements scolaires.
A tous les échelons sont disposés des matériels appropriés : avions de reconnaissance et bombardiers d’eau, bateaux-pompes, bateaux de sauvetage et remorqueurs de haute mer, matériel des plongeurs (pour la Marine nationale), tenues, sondes et explosifs de déminage (pour 15 centres déconcentrés), engins de levage, de désincarcération et de terrassement, des camions-citernes, des échelles grandes et pivotantes, des véhicules de secours aux asphyxiés et blessés (VSAB) auxquels il faut ajouter les ambulances hospitalières des SAMU qui centralisent les appels d’urgence. Parfois, les Préfets doivent mettre bon ordre à la concurrence entre services et veiller aussi à la disponibilité permanente des équipes mobiles sur la totalité des départements, en liaison étroite avec les élus locaux et les responsables des établissements de santé. En France, le coût global annuel de la Sécurité est évalué à plus de 7 Mds€.
L’organisation, pour devenir opérationnelle, doit être éclairée par une planification.
Celle-ci est singulièrement sophistiquée dans notre pays. Au centre se situe le fameux plan ORSEC dont souvent le déclenchement est demandé par la vox populi à la moindre alerte, sans que les solliciteurs sachent en quoi il consiste. L’organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC) est un plan conçu dès 1952 et constamment modernisé et complété depuis. Il consiste en un plan d’urgence polyvalent de gestion de crise qui organise, sous l’autorité du Préfet, la mobilisation et l’action coordonnée de tous les responsables, publics et privés, requis pour la protection de la population. Contrairement à la croyance populaire, le Préfet n’a pas le pouvoir de déclencher la mise en œuvre de ce Plan : il doit le proposer à l’Etat-Major de crise du Ministère de l’Intérieur, puis l’appliquer dès son agrément. Ce plan comporte différents degrés et volets selon la gravité et la nature du sinistre : toujours un centre de crise mais des moyens proportionnés à l’acuité du danger et des dispositifs différents en milieu urbain (plan communal de sauvegarde), industriel (plans particuliers d’intervention et de secours spécialisés selon la nature des risques sous la responsabilité des entreprises) et maritime (plan POLMAR). A l’extrême degré de gravité est déclenché le Plan rouge, en double chaîne : plan NOVI pour protéger de nombreuses victimes, secourir et riposter ; chaîne médicale pour relever, trier et transférer les blessés. En cas ultime, un hôpital de campagne peut être déployé. Ce plan rouge a notamment été appliqué à Toulouse, en septembre 2001, lors de l’explosion AZF (31 morts, 8 000 blessés) et lors de l’attentat du Bataclan à Paris, en novembre 2015 (90 morts, 350 blessés). Au demeurant, la multiplication des agressions terroristes a conduit le gouvernement à concevoir le plan Vigipirate en 1995 et à l’actualiser à plusieurs reprises, avec désormais 4 niveaux d’alerte : jaune, orange, rouge et écarlate. Qu’il s’agisse de vigilance, éventuellement renforcée avec l’Armée (Opération Sentinelle) de l’exploitation du renseignement et de l’intervention avec des forces spéciales, la décision appartient au gouvernement et, dès la communication de l’attentat, le Parquet national anti-terroriste est saisi. Le Préfet départemental, agissant le plus souvent avec son Préfet de zone de défense, a pour mission d’informer et de rassurer la population, de coopérer avec les collectivités locales, de restreindre la circulation et de sécuriser les transports. Il exécute les instructions complémentaires et particulières du gouvernement. Il faut souligner que le plan VIGIPIRATE se distingue des états d’exception figurant dans la Constitution.
Alors survient la crise qui ouvre la phase opérationnelle, celle de la décision au sens étymologique grec de crisis.
Le Préfet, directeur des opérations, entre en action. Comme le répétait Charles Pasqua en réunion des Préfets, « ce qui compte c’est le premier quart d’heure ». Le Préfet ordonne immédiatement la réunion de la cellule de crise préétablie et fait installer ses trois salles : la première spacieuse de collecte inter-services des informations et du suivi de la situation, la seconde restreinte pour la décision et les échanges confidentiels et la troisième pour le secrétariat de liaison et la conduite de la communication administrative et médiatique. Le Préfet doit immédiatement faire établir un périmètre de sécurité par la police et (ou) la gendarmerie nationale pour permettre la circulation et l’arrivée des secouristes, préserver l’état originel de la scène et contenir curieux et journalistes. Les circonstances du sinistre peuvent justifier l’installation d’un poste de commandement avancé confié généralement à un Sous-Préfet. Mais exceptionnellement, le Préfet peut inverser les rôles et diriger lui-même les opérations sur place : c’est ce qu’a fait, à juste raison, mon collègue et prédécesseur en Seine-et-Marne, Gérard Deplace, lors de la catastrophe ferroviaire en gare de Melun, en octobre 1991, avec 16 morts et 57 blessés et face aux soucis de désincarcération.
Chaque crise a ses particularités et suscite des initiatives appropriées, décidées sur le terrain. Ainsi, en décembre 1999, après la violente tempête Lothar et Martin qui a ravagé la France en diagonale, la Suisse et l’Allemagne avec des vents soufflant de 170 à 220 km/h, l’Auvergne dont j’étais le Préfet de région se retrouvait avec un espace de 150 m de large, ravagé sur une longueur de 100 km et 8 % du réseau électrique hors service. Après deux heures de reconnaissance par des éclaireurs, j’ai requis les maires et conseillers municipaux de toutes les communes concernées pour dégager les routes et chemins des arbres tombés et tracer sur carte les câbles électriques rompus, les lignes téléphoniques aériennes jonchant le sol ainsi que les antennes-relais. La réquisition permettait aux élus actifs de préserver leur rémunération chez leur employeur en qualité de bénévoles du service public et m’a permis, le surlendemain, de fournir à tous les établissements responsables les plans détaillés pour le rétablissement des flux. Au surplus, dès le dégagement des axes, j’avais envoyé des véhicules nantis de 30 générateurs, récupérés par mes collaborateurs, pour permettre aux éleveurs la traite des vaches. Les bêtes n’attendent pas !
L’un des problèmes à traiter est celui de la venue fréquente et légitime de personnalités nationales et locales désireuses de constater l’ampleur des dégâts et de marquer leur solidarité envers les sinistrés ou victimes. L’annonce de cette venue est souvent hâtive et assortie de l’accompagnement de médias, ce qui conduit le Préfet à improviser, à quitter sa cellule de crise le plus souvent sans uniforme, à organiser son intérim, à aller à la rencontre des visiteurs dont certains sensibles au protocole, à leur proposer un parcours et le lieu du point presse et à fournir toutes les explications souhaitées. Il faut avoir acquis de l’expérience pour prévoir et gérer ce type d’intermède. Le sommet fut atteint, le 13 novembre 2015, pour le Préfet de police par la venue du Président Hollande aux abords du Bataclan, non encore sécurisés.
Toute crise se déroule selon une courbe immuable: un brusque début, une force ascendante, un point culminant ou acmé puis une descente vers un retour au calme.
En fait, selon la gravité de la crise, la hauteur de la courbe change ; il en va de même pour la largeur selon sa durée. Deux catastrophes aériennes peuvent illustrer ce constat. Le 20 janvier 1992, vers 17 h, un Airbus A 320 s’est écrasé en Alsace, sur le Mont Saint-Odile. La nuit tombée, il a fallu 5 heures pour localiser l’appareil, secourir 9 survivants gelés et attendre le lendemain pour descendre les corps des 87 passagers tués. En revanche, l’écrasement du Concorde, le 25 juillet 2000 à Gonesse, a exigé une action limitée du Préfet, en dépit de la mort de 109 passagers. Il a dû d’abord établir un périmètre de sécurité autour du point d’impact et de l’immeuble effondré avec 4 occupants. Les secours arrivés immédiatement et en vain, il restait à gérer la venue médiatisée de personnalités et attendre les experts du Bureau d’enquêtes et d’analyse aéro.
En Bretagne-Nord, le naufrage du pétrolier Erika, le 12 décembre 1999, avec le déversement de 31.000 tonnes de fuel lourd sur 400 km de côtes, a mobilisé durant des mois le Préfet maritime (Plan POLMAR), les Préfets de 2 départements, près de 80 communes, des services spécialisés, des dizaines d’associations et des centaines de bénévoles. La catastrophe écologique a eu des effets durables, avec notamment la mort de plus de 200.000 oiseaux et la dévastation de la faune et de la flore marines. Si les côtes ont pu être à peu près restaurées au bout de 18 mois, le contentieux juridictionnel s’est poursuivi jusqu’en 2008-2010.
Notre collègue Pierre André Durand nous a relaté son expérience de l’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, le 26 septembre 2019, qui est devenu un cas d’école et un module de formation, par l’exemplarité même de la courbe. Au début, au petit matin, se déclare un incendie dans une zone de stockage de l’usine Lubrizol, classée SEVESO, et il se propage aux entrepôts voisins d’une entreprise de logistique. Préfet et Maire sont alertés, les sirènes sont déclenchées, les habitants voisins, sensibilisés par un comité et une plaquette d’information se confinent. Le Préfet obtient immédiatement le déclenchement du Plan ORSEC et le décline comme exposé supra. Directeur des opérations, il applique l’annexe du plan particulier d’intervention de Lubrizol et celle-ci met en œuvre spontanément ce plan au principal. Mais un énorme panache de fumée noire (20 km de long et 6 km de large) se propage, provoquant une vive inquiétude sur sa nature toxique, alors même que l’incendie est maîtrisé. Le Préfet fait procéder à de multiples analyses de l’air et de l’eau, fait prudemment fermer les établissements scolaires et fait un point presse quotidien car la population exprime sa méfiance et des professions agricoles et industrielles lésées protestent. Parallèlement, le Préfet veille à la dépollution du site, avec pompage des boues, neutralisation des fûts dégradés et enlèvement robotisé de 1140 autres fûts, le tout prenant 8 semaines. Des mesures de l’air sont prises dans 216 communes et mi-octobre, le Préfet peut lever les restrictions sur le lait, les fruits et les légumes. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS) procède rapidement à une étude modélisée sur le feu développé, la combustion, les gaz dégagés et les retombées de suie. Les apaisements des pouvoirs publics, pourtant efficaces, et cette étude scientifique ne calment pas l’opinion populaire. Tout le monde s’en mêle : le Parlement avec une mission d’information, l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique pour enquêter sur d’éventuelles contaminations et l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale pour saisie de documents et vidéos. Le 29 octobre, sur la base de 130 plaintes déposées (qui s’élèvent ensuite à 545), une information judiciaire est ouverte. L’origine du sinistre étant toujours en discussion, les plaignants ont publiquement protesté en septembre 2023 contre la lenteur de la justice.
D’autres dommages font l’objet de procédures particulières d’indemnisation. Il en va ainsi de la constitution du dossier de déclaration de l’état de catastrophe naturelle préparé par les maires des communes concernées, avec le concours du Préfet des services de l’Etat et dépôt en Préfecture pour transmission à une commission interministérielle.
Celle-ci communique vite son avis au Ministre de l’Intérieur qui prend sa décision et, si elle est positive, un arrêté est publié au J.O. L’arrêté doit être motivé. Il déclenche la procédure d’indemnisation des dommages, à la valeur d’usage, par les assureurs. En cas de différend, la loi du 28 décembre 2021 dispose que le sinistré peut contester la décision de l’assureur devant le bureau central de tarification. En sus, des indemnités peuvent être versées par un Fonds national de garantie pour la remise en état et la prévention future. Il en va ainsi pour les victimes de la tempête Alex, en octobre 2020, dans la vallée de la Roya, comme pour les agriculteurs victimes de la sécheresse 2023.
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La gestion des risques par les Préfets, comme le maintien de l’ordre, est une mission régalienne déterminante et délicate. Ils l’assument, avec professionnalisme et résolution, au nom de l’Etat et au service de leurs concitoyens. Ils partagent entre eux des retours d’expérience et s’inscrivent dans un processus de formation continue auprès des organismes publics qui en ont la charge.
Didier Cultiaux
Préfet de région honoraire