La semaine dernière, la Cour constitutionnelle d’Allemagne a rendu une décision essentielle en matière budgétaire. Celle-ci aura un impact sur la trajectoire de nos finances publiques.
Le revers est sérieux pour le Gouvernement d’Olaf Scholz puisqu’il s’agit d’un jugement qui considère « infondée » une écriture budgétaire de 60 milliards d’euros.
Cette somme fort significative devait bénéficier d’une exemption des règles du « frein à l’endettement » du fait des dispositifs Covid. Autrement dit, le Gouvernement s’est auto-exonéré des règles budgétaires – et notamment de la limitation des nouvelles tranches d’emprunts publics à 0,35 % du PIB – que l’Allemagne s’est astreinte à respecter.
Chacun imagine si la France avait le même format de corset budgétaire à rapprocher de son trop fameux « quoi qu’il en coûte« .
Selon l’adage, « comparaison n’est pas raison » mais nous restons pour le moins songeurs.
Concrètement, la Cour de Justice de Karlsruhe a édicté que le Gouvernement allemand avait violé les règles du frein à l’endettement.
Comment ? Par une réallocation en février 2022 d’un montant de 60 milliards d’euros visant à lisser l’effet dépressif de la Covid-19 et qui a terminé sa course dans un fonds pour la mutation de l’économie et la transition écologique.
Cette réallocation n’est pas constitutionnelle et la Cour rejette la réaffectation ainsi opérée d’autant plus qu’elle s’est exercée sur des exercices budgétaires postérieurs et a, par conséquent, contourné « le frein à l’endettement« .
Le Chancelier accuse le coup et a indiqué que cette décision allait avoir des répercussions sur la gestion budgétaire fédérale mais aussi sur le financement des Länder. Conformément à ce qui précède, les ministres des Finances et de l’Économie (respectivement Messieurs Christian Lindner et Robert Habeck) ont confirmé la suppression des crédits visés par la Cour.
Ainsi, le programme électoral de la coalition va se heurter à une difficulté tangible d’autant que 27 Mds (au sein des 60 torpillés) étaient déjà engagés pour 2024.
Ce coup de tonnerre budgétaire intervient alors même que le pays est objectivement en récession et que les prévisions pour 2024 ne sont pas fameuses. Ainsi, le ministre de l’Économie prend acte d’un recul de la croissance en 2023 : (- 0,4 %) et ne table pas sur plus de + 1,3 % en 2024.
Le pays va donc engager une dose d’austérité budgétaire (la suppression des 60 Mds) alors même que cette orthodoxie sous-jacente représente un risque manifeste pour l’activité économique.
Tout ceci ne manquera pas d’impacter la trajectoire de nos finances publiques. D’abord au plan politique, les pays du Nord vont repartir à la charge face aux pays dispendieux dont la France et l’Italie.
Nous sommes engagés par des Traités que nous ne respectons pas.
Qui ne voit que 188 Mds de déficit budgétaire est une somme exorbitante au regard de notre futur endettement mécaniquement accru.
Par ailleurs, si notre principal partenaire est en repli d’activité, il nous sera difficile d’atteindre nos objectifs de croissance d’ores et déjà qualifiés d’optimistes par le HCFP dans plusieurs avis (dont celui du 27 septembre 2023).
Un déficit pesant, une croissance qualifiée d’atone par l’Insee ne sont pas des atouts.
La décision de la Cour de Karlsruhe ne manquera pas d’avoir un impact sur le différentiel des taux, notamment des OAT à 10 ans, si la France ne corrige pas, ne revisite pas, n’infléchit pas la trajectoire des finances publiques pourtant récemment adoptée par le Parlement.
L’économiste Philippe Trainar rappelle que pendant longtemps, la France a été « dans le side-car de l’Allemagne » et que le spread des taux était respirable.
Désormais avec une dette de plus de 3.046 Mds et une remontée des taux qui génère mécaniquement un alourdissement de la charge d’intérêts (jusqu’à plus de 75 Mds en 2027), la France ne peut s’offrir le luxe de voir ses taux principaux frappés d’une prime de risque qui, in fine, serait insoutenable.
J’ai suffisamment écrit dans Les Échos et dans la Revue Politique et Parlementaire mon désaccord avec Olivier Blanchard lorsque les taux étaient si faibles que nous pouvions, selon cet ancien économiste du FMI, poursuivre notre trajectoire d’endettement pour ne pas savourer sa volte-face.
Voilà qu’il découvre que les taux d’intérêt sont supérieurs au taux moyen d’inflation et que cela pose problème. Sachons relire Wicksell…
Pour le reste, la France va connaître des aigreurs d’estomac suite à la période déraisonnable de souscription de tranches de dettes. Rappelons que l’Agence France Trésor va devoir lever 285 milliards d’euros avec une quotité croissante à taux variable. Et ce point est finement scruté par les Agences de notation.
Jean-Yves Archer
Économiste
Membre de la Société d’Économie Politique