La laïcité est un principe politique issu de la longue histoire de la sécularisation des États modernes. On situe son émergence progressive dans la pensée philosophique occidentale à la suite de la rupture constituée par la Réforme protestante du XVIe siècle et des troubles politico-religieux qui ont ensanglanté l’Europe pendant plus d’un siècle.
Face à l’inéluctable pluralisation confessionnelle de l’ancienne chrétienté médiévale, les souverains ont dû trouver des solutions permettant une coexistence apaisée des différentes sensibilités religieuses sur leur territoire. Ils ont alors introduit le principe, encore très inégalitaire, de la tolérance civile vis-à-vis des minorités religieuses. Mais c’est à la suite du combat des philosophes des Lumières que la promotion des libertés individuelles (liberté de conscience, d’expression et de culte) est devenue un nouvel impératif politique. C’est la Révolution française, à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a permis l’adoption du principe d’égalité absolue entre les citoyens – quelle que soit leur appartenance religieuse – par tous les États modernes à la faveur de leur démocratisation progressive tout au long du XIXe siècle.
Ferdinand Buisson, le père de l’école républicaine définissait l’État laïque en ces termes : « un État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique ». Pour pouvoir être qualifié de laïque un État doit donc désormais :
- Garantir la liberté de conscience, de religion, de conviction et d’expression à tous ses citoyens ;
- Reconnaître l’égalité civile de tous les individus et veiller à ne pas discriminer légalement telle ou telle minorité par rapport à la majorité.
- S’abstenir d’interférer dans l’élaboration ou le contenu des doctrines religieuses, et de s’ingérer dans l’organisation interne des différents cultes.
- S’émanciper de toutes normes religieuses dans son action politique en faveur de tous.
En retour les organisations religieuses doivent s’abstenir de toute interférence politique dans ce qui relève du domaine propre de l’État souverain et doivent reconnaître la primauté des lois civiles sur les lois religieuses dans l’espace public commun.
Cette réelle autonomie entre le domaine public et politique et le domaine privé et religieux est respectée dans la plupart des États démocratiques et de droit.
La laïcité d’un État peut cependant se décliner diversement selon des dispositifs juridiques nationaux visant à garantir la liberté des individus et réglementer les relations entre les pouvoirs publics, les religions et/ou les mouvements politiques ou philosophiques se partageant l’espace public.
En France, le dispositif laïque relève d’un idéal séparatiste (comme aux USA ou au Mexique avant elle), codifié par la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905. Celle-ci garantit la liberté de conscience individuelle et les libertés collectives des différents groupes religieux tout en interdisant de leur accorder le moindre subside public.
Cela implique que la République est laïque (tel qu’inscrit dans la Constitution), à la fois neutre et impartiale, que ses représentants doivent l’être aussi, qu’il ne peut y avoir de signes religieux sur les bâtiments et espaces publics (autres que patrimoniaux) et que les fonctionnaires sont astreints à un devoir de réserve particulièrement strict dans leurs interactions avec les citoyens.
Il n’existe nulle part cependant de régimes séparatistes purs, et même en France, en dépit de la non-reconnaissance légale des cultes, rien n’interdit des relations entre l’État et les organisations religieuses (comme avec toute association, politique, ou autre émanant de la société civile).
Par ailleurs, des exceptions légales au régime de séparation existent toujours de nos jours, en particulier dans certains territoires non soumis à la loi de 1905 (comme l’Alsace Moselle et la Guyane par ex.), ou à propos du subventionnement rendu possible à l’État de l’école privée confessionnelle, depuis la loi Debré de 1959.
La laïcité est donc un principe démocratique partagé qui recouvre des pratiques différentes selon les pays en fonction de leur histoire et de leurs traditions politiques nationales.
Valentine Zuber
Historienne
Directrice d’études à l’École pratique des hautes études (PSL), titulaire de la chaire « Religions et relations internationales »
Auteure de La laïcité en débat. Au-delà des idées reçues (2017) Paris, Le Cavalier bleu, 2e édition 2020 ; La Laïcité en France et dans le monde, Paris, La Documentation photographique, 2017
Elle interviendra dans la table-ronde « Laïcité et religion : et Dieu dans tout ça ? », Rencontres capitales, Bibliothèque Mazarine, Dimanche 21 novembre 2021, 14h-15h30.