Le capitalisme est un système économique, non un régime politique. Il peut s’accommoder de la démocratie ou d’un régime autoritaire comme c’est notamment le cas en Chine. Lorsqu’il n’est pas confronté à l’existence d’une alternative, ce qui était le cas avec le bloc soviétique, il se sent pousser des ailes considérant qu’il est le seul système viable. C’est alors qu’il peut être confronté à ses propres contradictions par excès de confiance. C’est ainsi que dès les années 80 du siècle dernier les théories de l’école de Chicago et de Milton Friedman ont gagné du terrain sur tous les continents. L’une des conséquences, et non des moindres, fut un accroissement important des inégalités permis par un triple mouvement de libéralisation, déréglementation et privatisation.
Dès avant la pandémie un mouvement de retour au keynésianisme, notamment après la crise financière de 2008, a vu le jour. La pandémie elle-même n’a fait que le renforcer en mettant en avant le rôle indispensable des Etats. Elle a également rendu visibles nombre de dysfonctionnements appelant ici et là des remises en cause ou corrections.
Parallèlement la question de la soutenabilité du système s’est faite de plus en plus prégnante, en particulier sous l’influence de structures telles que les syndicats ou les ONG et la pression des individus à travers la puissance des réseaux sociaux.
Le développement des inégalités au sein des pays et entre les zones géographiques ainsi que les questions environnementales prennent de l’importance.
De plus en plus l’idée se répand que pour continuer à être viable le capitalisme doit s’adapter et répondre aux attentes et préoccupations des individus et peuples.
Les transformations et réformes à entreprendre sont d’une ampleur que l’on pourra peut-être demain qualifier d’historique. Elles se situent à plusieurs niveaux : international, européen et national et concernent toutes les parties prenantes dont les pouvoirs publics et les entreprises. Les deux premiers niveaux sont indispensables pour réguler et réglementer, notamment pour assurer des conditions de concurrence conformes à l’objectif de progrès social, économique et environnemental.
Au plan national, du côté des pouvoirs publics, outre une politique économique adéquate et des réformes constitutionnelles souhaitables, l’accent doit être mis sur une organisation efficiente du rôle, des missions et du sens du service public – ce qui équivaut à une raison d’être – et sur une réforme fiscale garante d’équité, de justice et de citoyenneté.
Pour l’entreprise il s’agit de s’engager sérieusement et délibérément dans une démarche d’ESG dégagée des oripeaux du marketing et du green ou social washing. Cela suppose de prendre en compte toutes les parties prenantes (actionnaires, dirigeants, salariés, fournisseurs, sous-traitants, collectivités), de travailler sur les modalités de la gouvernance et de fixer des objectifs mesurables concrètement et de manière indépendante. Nombre d’initiatives sont prises sur la question environnementale, moins sur le social encore à la traîne.
Pourtant tout démontre qu’un bon climat social permet une meilleure performance économique.
Nombre d’entreprises ne s’y engageant pas finiront par en souffrir économiquement. De même, du côté de la finance, les investissements à impact mesurable doivent se développer y compris sur le terrain social où des initiatives commencent à émerger.
Pour être efficace cela suppose de renforcer un dialogue social basé sur la confiance et le respect, ce qui ne s’improvise pas mais se prouve. En France, où la culture du conflit a souvent dominé celle de la négociation, le temps est venu de s’engager dans une logique de co-construction dans laquelle chacun garde sa liberté mais où les deux parties sont indispensables et incontournables. Cela n’exclut pas le conflit mais n’en fait plus un quasi préalable. Par exemple, alors que la question du pouvoir d’achat est aujourd’hui d’actualité, outre les négociations indispensables sur les salaires dans les branches et les entreprises, la mise en place d’un dividende salarial, obligatoire avant toute attribution aux actionnaires, doit être une nouvelle opportunité de négociation.
Dans les entreprises déjà engagées les résultats sont là, y compris dans les périodes conjoncturelles difficiles. Et ce qui vaut pour l’entreprise en matière de confiance et de respect vaut aussi pour les pouvoirs publics et les exécutifs politiques.
Autant de pistes qui s’inscrivent dans une démarche réformiste et progressiste d’économie sociale de marché.
Jean-Claude Mailly
Ancien secrétaire général de FO