« Je tiens à féliciter les membres de l’Initiative Afrique pour leur engagement et leur résilience dans la mise en œuvre des normes de transparence fiscale pendant la période difficile résultant de la pandémie de COVID-19 » Githii Mburu, Commissaire général de l’Autorité fiscale du Kenya et président de l’Initiative Afrique.
La lutte contre la fraude fiscale rarement abordée par les hommes politiques
Le sujet de la fiscalité fait rarement débat lors des compétitions électorales et les dirigeants ne sont pas élus aux élections présidentielles sur la pertinence de leur projet en matière de fiscalité. Cela est valable ailleurs mais aussi et surtout en Afrique. Hélas !
S’il existe une thématique essentielle pour les regroupements humains, c’est bien celle de la contribution de chacun à l’essor du groupe. En cela, la fiscalité est absolument cruciale pour tout pays ou toute collectivité quelconque.
Au niveau d’un pays et d’une collectivité, nous devons apprendre à chacun à se réaliser, bénévolement, dans le don de soi, dans l’altruisme, dans la solidarité et à adopter des valeurs autres que la réussite individuelle, des valeurs qui font de l’individu un être social, donc un être humain dans sa plénitude. Ces valeurs, outre la réussite individuelle, sont l’unité sociale et l’éthique comportementale, la fusée à trois étages chères à Joseph Ki-Zerbo
La fiscalité est la clé en matière d’équité économique ou sociale.
En effet, plus une personne est fortunée, plus elle sera redevable d’impôts, puisque sa base imposable sera plus élevée. Les impôts et cotisations des uns permettent de reverser aux classes plus populaires des aides sociales. D’ailleurs, la Charte du Mandé soulignait bien cet aspect de la solidarité des riches envers les affamés, donner la possibilité de manger à ces derniers sans qu’ils aient à voler leur nourriture : « Assouvir sa faim n’est pas du vol si on n’emporte rien dans son sac ou sa poche » (article 36).
La fiscalité est le déterminant le plus important de la souveraineté régionale mais également nationale.
L’indépendance d’une région ou d’un pays est constituée prioritairement par sa capacité à s’affranchir de l’aide des autres. Les attributs de souveraineté ne pensent que peu face à la dépendance économique et financière. Comme le dit un proverbe, « la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit ». L’indépendance économique des pays émergents est liée à leur aptitude à générer des ressources internes leur permettant de faire face à leurs besoins fondamentaux, ce qui ne peut être possible sans une fiscalité appropriée. Cela est aussi bien valable pour un pays que pour un continent comme l’Afrique. La plupart des gouvernements africains disposent de relativement moins de recettes publiques et fiscales pour investir dans leur développement. En effet, ils ne réussissent pas à collecter des ressources fiscales à hauteur de 15 % de PIB alors que dans de nombreux pays développés, ce taux dépasse facilement 30 % du PIB (en 2021, en France les revenus fiscaux représentent 43,7 % du PIB). Il en résulte une fragilité importante et un besoin de ressources extérieures pour financer nos priorités. Nous devons, en conséquence, faire de la question fiscale, un objectif significatif de nos politiques publiques.
Le continent a besoin de 130 milliards de dollars par an. Son déficit de financement est estimé entre 11 et 13 % du PIB par an s’il doit réaliser les cibles des ODD de 2063. Pour déclencher un financement de développement durable, il faudrait de 20 à 24 % de pression fiscale.
Il est également à préciser que la structure des recettes publiques dans la plupart des pays africains tend à dépendre davantage des impôts indirects. Les impôts directs et les cotisations de sécurité sociale sont généralement moins élevés. Par exemple, les impôts sur le revenu des personnes physiques et les cotisations de sécurité sociale représentent près de 50 % des recettes fiscales totales dans les pays à revenu élevé, contre 23 % dans la moyenne africaine. Il semble évident que plus les entreprises et les individus se trouvent en concurrence avec des acteurs qui ne paient pas d’impôts, plus l’incitation à l’évasion fiscale est forte.
La fiscalité est enfin la clé de la justice internationale.
De nombreuses multinationales s’affranchissent de leurs obligations fiscales via des montages fiscaux particulièrement complexes et la présence de certaines de leurs filiales dans des centres financiers offshore. Dans certains secteurs économiques de pointe, elles profitent de la faiblesse des administrations publiques voire de leur sensibilité à la corruption pour se soustraire à la loi fiscale et payer moins d’impôts, voire ne pas en payer du tout. Là également, l’Afrique souffre de nombreux handicaps. En effet, un rapport de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), publié le 29 septembre 2020, énonce que 836 milliards de dollars ont illégalement quitté le continent africain entre 2000 et 2015, soit environ 4 % du produit intérieur brut (PIB) des pays d’Afrique réunis. Autrement dit, si les gouvernements nationaux parvenaient à limiter la fuite des capitaux et la fraude fiscale qui lui est liée, il serait possible de remédier à tous les maux de l’Afrique. La morale et l’éthique doivent être les fidèles compagnons de tous les leaders du continent et ces valeurs doivent être imposées à l’ensemble des multinationales présentes sur le continent africain. D’ailleurs la norme ITIE, norme mondiale pour la bonne gestion des ressources pétrolières, gazières et minières, mise en place sous l’impulsion de la campagne « Publiez ce que vous payez » en 2003, a imposé un certain comportement aux multinationales. Dans le cas contraire, il serait difficile d’imposer un civisme fiscal aux populations africaines. Cette avancée serait sans commune mesure dans l’Histoire.
Dans les pays pétroliers, certaines recettes fiscales, comme l’impôt sur les sociétés, sont liées et dépendent de la présence de compagnies pétrolières, ce qui peut entraîner une baisse des ratios impôts/PIB lorsque les prix des matières premières diminuent et inversement lorsqu’ils augmentent.
L’économie informelle
Une meilleure adaptation du système fiscal à l’économie informelle reste un défi majeur. Les modèles d’inclusion sociale les plus efficaces consistent souvent à encourager les travailleurs informels à se référer aux autorités, notamment en leur fournissant une assurance sociale, puis, dans un deuxième temps, un système d’imposition progressif basé sur le revenu. Certains gouvernements ont introduit des mécanismes de taxation des activités informelles, tels que des retenues à la source, des impôts fixes ou la création d’unités administratives spécialisées qui se concentrent sur les acteurs économiques les plus importants. Le Forum sur l’administration fiscale africaine offre un cadre pour une fiscalité efficace du secteur informel en Afrique. Parmi ses principales recommandations figurent l’élaboration de cadres fiscaux fondés sur les revenus, la réduction du nombre et de la complexité des impôts et la promotion des avantages liés à la conformité fiscale tels que la protection sociale ou l’accès au marché public. Par exemple, l’ATAF propose d’introduire des régimes d’appel d’offres spéciaux avec des quotas pour les petites entreprises en fonction de leur conformité fiscale.
Le problème est un problème de légitimité fiscale. Dans un État failli, dans lequel l’État n’intervient pas, les acteurs économiques ne vont pas avoir confiance en la bonne utilisation des recettes fiscales.
Au niveau national (Afrique du Sud, Ouganda) ou au niveau local (Nigéria, Sénégal), des approches participatives ont été mises en place pour identifier les acteurs de l’économie informelle et les inciter à payer des impôts.
Une volonté politique
La lutte contre la fraude fiscale nécessite une volonté politique et une gouvernance de qualité au sein des pays et dans le concert des nations. Une fois cet objectif atteint, il convient ensuite d’engager des activités d’identification et sanction de toutes les fraudes fiscales. L’initiative de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), inspecteurs des impôts sans frontières, a montré la voie vers laquelle se diriger aux pays africains.
Dans ces perspectives, il est plus qu’impératif pour les dirigeants africains d’investir dans la formation professionnelle de l’administration fiscale et de pousser à une collaboration accrue entre les administrations, les régies financières et les autres acteurs de la chaîne fiscale comme les notaires, experts comptables, auditeurs, avocats, banquiers, assureurs…
On pourrait même imaginer un maire expliquer à ses administrés le fonctionnement du système fiscal auquel ils sont soumis : sa légitimité, son fondement équitable, sa gestion, l’affectation des sommes perçues, ce qu’il représente pour la commune et son impact sur la vie de chacun et de tous.
Les réformes mises en place
L’African Tax Administration Forum (ATAF) élabore actuellement une proposition de taxe intérieure minimale africaine à l’intention de l’Union africaine (UA). Cet impôt minimum viserait à lutter contre l’évasion fiscale et les flux financiers illicites hors d’Afrique, résultant de l’octroi de dérogations fiscales à certaines entreprises qui paient leurs impôts dans d’autres juridictions.
Les pays africains ont l’intention de ne plus accorder de dérogations et d’incitations fiscales aux particuliers fortunés (HNWI) ainsi qu’aux multinationales.
Des réformes ont déjà été mises en place par d’autres pays.
À titre d’illustration, le délai moyen de traitement des remboursements de TVA dans 11 pays africains était de 65 jours en 2019, alors que le délai standard international recommandé par le FMI était de 30 jours. De nombreux pays africains ont également réformé leur administration fiscale pour augmenter les recettes publiques. A titre d’illustration, au Mali, le ratio impôts/PIB a augmenté de 3,5 points de pourcentage sur la période 2018-2019 grâce à la mise en œuvre de mesures administratives (modernisation de l’administration fiscale, mise en place du numérique pour la déclaration) et de la politique fiscale (avec certaines exemptions).
La réforme de la politique fiscale peut également concerner les taux d’imposition ou les bases d’imposition. Par exemple, la Tunisie a élargi son assiette TVA grâce à diverses interventions, notamment la suppression des exonérations pour certains produits, services et entreprises publiques en 2016-2017. Le taux de TVA a ensuite été augmenté d’un point de pourcentage en 2018. Au Sénégal, le taux de TVA relativement élevé de 18 % a conduit le gouvernement à augmenter le nombre d’exonérations pour protéger certaines opérations de la pression fiscale, notamment dans la production agricole, qui concentre la majorité de la population à faible revenu. Le recouvrement des impôts dépend largement de la discipline budgétaire. La capacité des contribuables à payer leurs impôts dépend des incitations et des pénalités qu’ils encourent. Ainsi, de nombreux facteurs peuvent influer sur les taux d’imposition : lourdeur des procédures administratives, sévérité des sanctions en cas de non-conformité fiscale, communication des obligations du contribuable et des pénalités encourues en cas de non-recouvrement, transparence autour des mesures fiscales, etc.
De nombreux États luttent contre la fraude fiscale, notamment en favorisant la transparence et l’échange d’informations à des fins fiscales, en poursuivant la modernisation du droit et la réforme de la réglementation fiscale. Depuis les années 2000, de nombreux pays africains ont dématérialisé leur déclaration fiscale et la gestion des paiements pour faire face aux défis de la conformité fiscale. Selon l’ATAF, 73 administrations fiscales en Afrique ont soumis des dossiers électroniques en 2020. En 2016, le Zimbabwe a mis en place un système de gestion électronique des factures pour suivre en temps réel les transactions de vente des clients, contribuant ainsi à lutter contre la fraude au remboursement de la TVA. En Afrique du Sud, pour l’exercice 2019-2020, les déclarations de revenus électroniques ont été utilisées pour environ 63 déclarations et 5 % d’entre elles ont utilisé les déclarations de revenus par téléphone, la numérisation aidant à collecter les impôts.
Julien Briot-Hadar
Économiste français, expert en conformité aux normes des entreprises et spécialiste des questions de fraude fiscale
Photo : wael alreweie/Shutterstock