Au nom de la liberté de la presse et de la liberté d’expression au sens large, la Maison des journalistes accueille et accompagne, depuis 2002, des professionnels des médias persécutés dans leur pays pour avoir informé leurs concitoyens. Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes, répond aux questions d’Arnaud Benedetti.
Revue Politique et Parlementaire – Où en est la liberté d’expression à l’heure où nous parlons ?
Darline Cothière – La liberté d’expression est un droit fondamental garanti, depuis 1948, par l’article 19 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. Tout individu peut, en effet, s’exprimer sur n’importe quel sujet sans être inquiété. Avec l’avènement des réseaux sociaux, ce droit s’est vu renforcer. Les citoyens, peu importe leur nationalité, leur situation personnelle, leur position sociale, leurs croyances, leurs opinions, peuvent disposer d’une tribune pour exprimer leurs idées ou donner des informations qui peuvent être suivies et relayées par un nombre très important d’internautes.
C’est une avancée démocratique considérable pour nos sociétés. Dans le même temps, cette évolution tend à affaiblir le travail des journalistes et, plus largement, le pouvoir de la presse qui sont désormais partagés.
Se pose également la question des limites de la liberté d’expression, en considérant la prolifération des dérives sur internet via les réseaux sociaux et leurs conséquences désastreuses.
Peut-on tout dire quitte à blesser, dénigrer les gens ? Comment empêcher certains individus de faire un usage toxique de ce droit fondamental, en déversant un discours de haine par exemple? Peut-on accorder une totale liberté à Facebook, Twitter, pour arbitrer, décider de ce qui peut être publié ou pas, de censurer ? Les règles de régulation des contenus font défaut, en l’état actuel des choses. Le débat sur la liberté d’expression reste donc ouvert.
RPP – La situation en Afghanistan vous a-t-elle conduit à mener des actions particulières ?
Darline Cothière – La Maison des journalistes est en quelque sorte un baromètre de la situation de la liberté de la presse et des conflits dans le monde. Elle accueille et accompagne des hommes et des femmes, témoins des grands bouleversements de leur société, qui ont été pourchassés dans leur pays pour avoir informé, dit la vérité ou livré leur opinion sur des sujets sensibles.
Avec l’avènement des Talibans en Afghanistan en août 2021, nous nous attendions à une forte affluence de journalistes afghans, comme ça a été le cas il y a dix ans avec les Syriens lorsque la crise a éclatée. Mais l’ampleur est tout autre. Les demandes de journalistes afghans en détresse fusent de toute part, depuis la France, l’Afghanistan et de ses pays limitrophes. Les sollicitations viennent également de leurs confrères français dont la plupart ont travaillé avec eux, ou d’organisations de défense des droits humains qui tentent désespérément de fournir une assistance sur place.
Face à cette situation, nous avons adapté notre dispositif d’accueil, noués de nouveaux partenariats, étendu notre dispositif d’hébergement hors nos murs pour faciliter la prise en charge et l’accompagnement de plus de primo-arrivants sur notre territoire, qui ont été arrachés à leur terre dans ces circonstances dramatiques.
RPP – Comment est née la vocation de la Maison des journalistes ? Quelle est son utilité dans le contexte actuel ?
Darline Cothière – Contrainte du départ, déracinement, perte de situation professionnelle, sociale, rupture familiale, nouvel environnement à apprivoiser, nouvelle langue à s’approprier, déconstruire pour reconstruire… l’exil est aussi une répression ! C’est de ce constat qu’est née la première mission de la Maison des journalistes qui est d’accueillir et d’accompagner ces hommes et ces femmes dont la liberté a été bafouée, les aider à se reconstruire.
Le second volet de la mission de la Maison des journalistes trouve sa justification dans la nécessité d’informer et dans les enjeux de la liberté d’expression dans nos sociétés.
Pouvoir s’exprimer librement est l’une des façons de transcender l’exil. Le site d’information oeil-maisondesjournalistes.org, journal totalement dédié aux journalistes réfugiés permet à ces professionnels de l’information de continuer à exercer le métier pour lequel ils ont été pourchassés dans leur pays d’origine. Le fait de témoigner, dans le cadre des programmes éducatifs de la Maison des journalistes, de sensibiliser les jeunes au respect de la liberté de la presse, de les mettre en garde contre les totalitarismes et les extrémismes de toutes sortes participe de cette reconstruction. Des actions et dispositifs qui sont renforcés au regard des bouleversements et de l’actualité du monde en matière de répression.
Darline Cothière
Directrice
La Maison des journalistes
Propos recueillis par Arnaud Benedetti
Photo : Denis Perrin