La Revue Politique et Parlementaire et HEIP organisent le 6 juin « La Nuit des Européennes« . A cette occasion Roger Chudeau, qui débattra avec Aurélien Taché, Pierre-Jean Baty et Emmanuel Maurel sur le thème « Vers quelle Europe ? enjeux et perspectives », a accepté de répondre à nos questions.
Revue Politique et Parlementaire – Quel bilan dressez-vous de la mandature d’Ursula Von der Leyen :
Roger Chudeau – La double promesse des fondateurs de l’Europe était d’assurer la prospérité des Européens et d’éloigner pour toujours du continent le spectre de la guerre. Dans ces deux domaines essentiels de la vie des nations, Mme Von der Leyen aura lourdement échoué.
En matière économique, industrielle, agricole, commerciale, l’Union européenne décroche par rapport à ses grands partenaires et concurrents américains et asiatiques. Le PIB des pays européens stagne quand celui des Etats anglo-saxons et des pays des BRICS continuent de croitre. La crise de la Covid aura démontré où mène la désindustrialisation et le transfert en Asie de nos laboratoires et manufactures : ni masques, ni vaccins, ni molécules lorsque nous en avions un besoin urgent. Notre agriculture et la qualité de notre alimentation sont menacées par plus de quarante accords de libre-échanges. Des millions d’Européens vivent sous le seuil de pauvreté. Le choix du tout électrique nous rend dépendant de la Chine et prépare une catastrophe industrielle et sociale à grande échelle.
Le pacte migratoire qui impose aux Etats de l’Union l’accueil d’immigrants, le « green deal » qui impose aux Etats de l’Union et à leur population une doxa écologiste punitive et la décroissance agricole, les accords de libre-échange qui ouvrent nos marchés sans clauses miroirs protectrices, toutes ces décisions lourdes de conséquences sur nos économies et le bien-être des Européens sont à porter au bilan de la présidence Von der Leyen.
Quant à la paix sur le continent européen, elle est aujourd’hui fragilisée par le parti pris belliciste de l’Union dans le conflit qui oppose la Russie et l’Ukraine qui ne sont ni l’une ni l’autre membres de l’Union. Si le soutien à l’Ukraine, pays agressé, est évidemment légitime, le fait de pencher de plus en plus vers la cobelligérance est une posture aventuriste, susceptible de précipiter le continent dans une nouvelle guerre de haute intensité. Loin de proposer ses bons offices pour mettre fin au conflit et trouver le chemin d’une négociation de paix, Mme Von der Leyen, membre du PPE où siège aussi M. Bellamy, jette de l’huile sur le feu, sans d’ailleurs aucun mandat pour ce faire.
RPP – Quels sont les enjeux des élections européennes pour la France et le continent ?
Roger Chudeau – Nous serons, le 9 juin à la croisée des chemins. Si les partis européistes l’emportent, ils dérouleront le programme de renégociation des traités amorcé par le rapport Verhofstadt de novembre 2023 et le discours dit « Sorbonne 2 » du président de la République où il ne fut question que d’une pseudo « souveraineté européenne » et qui prévoit notamment la fin de la règle de l’unanimité sur les questions et décisions stratégiques, l’élargissement de l’Union à 37 Etats membres, la création d’un Etat fédéral européen dont les différentes nations seraient de simples composantes.
Deux modèles s’affrontent : celui d’un Etat fédéral européen supranational, projet initial de Jean Monet et de Robert Schuman, repris aujourd’hui par Mme Von der Leyen et Emmanuel Macron et défendu par Mme Hayer, versus une Europe des Etats voulue initialement par le Général de Gaulle et consistant en un réseau d’alliances visant à défendre des intérêts communs.
L’enjeu pour la France est donc tout simplement celui de sa pérennité en tant que nation souveraine. C’est pourquoi le succès électoral des partis souverainistes, celui de la liste conduite par Jordan Bardella en particulier, est capital. Les alliances qu’ils pourront conclure dans le prochain Parlement européen pourront freiner voire rendre vaines les velléités de créer des « Etats unis d’Europe ».
S’agissant du continent, l’enjeu est de même nature : vassalité ou indépendance. Car l’Union européenne se comporte depuis sa création comme une « province romaine » de l’empire étatsunien. Sa sécurité en particulier repose entièrement sur l’OTAN et sa « boussole stratégique » est bien celle du mentor américain. Cela apparait très clairement dans la crise ukrainienne, où Mme Von der Leyen entraine l’Union dans une posture belliciste au lieu d’engager l’Union dans une politique de médiation entre les belligérants. Il en va de même sur le plan économique : la doxa libre-échangiste de l’Union, sa politique d’ouverture mondialiste entrainent de redoutables conséquences sur les marchés intérieurs des pays de l’Union, tant du point de vue de la souveraineté industrielle que de celui de la souveraineté agricole et alimentaire. La fin du « droit de véto » des Etats imposerait aux économies des Etats de l’Union des contraintes susceptibles de déstabiliser leur économie.
RPP – Le président de la République, dans son discours de la Sorbonne, a laissé entendre qu’il était favorable à l’abandon de la règle de l’unanimité. Etes-vous favorable ou non à cette évolution institutionnelle ?
Roger Chudeau – L’abandon du principe d’unanimité est, dans ce contexte, l’arme absolue des adversaires européistes de la souveraineté des nations. Le « droit de véto » que peut exercer aujourd’hui un Etat lorsqu’il considère qu’un traité européen est contraire à ses intérêts en matière fiscale ou diplomatique, est un « garde-fou », son « Ultima ratio ». Sa disparition confèrerait de facto et de jure à la Commission où à l’organe « gouvernemental » qui viendrait la remplacer, le pouvoir de décision stratégique engageant chaque Etat de l’Union. On imagine l’étendue de ce pouvoir en matière commerciale, monétaire, budgétaire, sécuritaire, géostratégique. Bref, il ne resterait rien de ce qui est constitutif de la souveraineté des Etats. Une telle décision serait profondément anti-démocratique et viendrait rendre caduque la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, fondement historique et constitutionnel de la République française et dont l’article 3 dispose que « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation, nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ».
L’abandon du principe d’unanimité est probablement loin de séduire tous les Etats membres de l’Union. Il s’agit plutôt probablement d’une vision très macronienne de l’avenir de l’Europe. Cette vision, exprimée avec force dès son premier discours de la Sorbonne, n’a recueilli, on s’en souvient, qu’un succès d’estime chez nos partenaires européens. Du reste le Brexit intervient quelques années après…
La proposition de Macron, qui se fait l’écho du rapport Verhofstadt de novembre 2023, séduit surtout ce que l’Europe politique compte de plus libéral, car une Europe fédérale offre incontestablement plus d’opportunités commerciales, car elle serait « libérée » de l’intervention parfois ombrageuse des Etats.
Mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. La montée irrésistible du vote souverainiste dans de nombreux Etats de l’Union est l’expression d’une résistance des peuples aux projets de l’oligarchie mondialiste.
RPP – Alors que la guerre se prolonge en Ukraine, quelles sont les mesures qui vous semblent à même d’organiser la sécurité de l’Union européenne ?
Roger Chudeau – La guerre que la Russie mène en Ukraine est une guerre d’agression. En tant que telle elle doit être condamnée et l’Ukraine, pays agressé, doit être soutenue. L’aide, y compris militaire, à l’Ukraine est légitime et doit permettre à cet Etat de créer une situation stratégique qui lui permette de parler d’égal à égal avec son agresseur lorsque s’ouvriront des négociations de paix. La sécurité des Etats de l’Union repose donc à la fois sur la capacité des pays européens à aider l’Ukraine par la fourniture d’armements et d’équipements et sur une posture diplomatique de futur médiateur entre les belligérants.
Notons que la sécurité européenne est également menacée en Méditerranée, où la Turquie (dont la procédure d’adhésion à l’Union est toujours en cours) adopte désormais une nouvelle posture conquérante hostile aux Etats occidentaux et où les Etats du Levant sont sources de conflits ou de tensions permanents. Elle l’est aussi en Afrique où la pression migratoire sur l’Europe est constante et où l’islamisme radical se répand. Or l’Union n’a à cet égard jamais pris d’initiatives permettant d’appréhender ces nouveaux risques et n’a aidé la France dans ses opérations anti-terroristes sur le continent africain que du bout des lèvres.
Cela dit, « l’Europe de la défense » reste largement un vœux pieu comme l’on montré les décisions allemandes et italiennes de se doter d’avions de combat américains, ou la décision allemande d’acheter « sur étagère » un « dôme de fer » israélien ou encore l’achat massif par la Pologne de matériels et d’armements exclusivement américains La prévalence stratégique que les Etats-Unis exercent par l’intermédiaire de l’OTAN sur l’Union européenne pèse évidemment sur tout projet européen ou interétatique de relance d’une industrie de guerre sur notre continent.
Quant à la proposition, suggérée par Emmanuel Macron, d’étendre aux pays de l’Union la protection dissuasive nucléaire française, elle s’éloigne des principes de la doctrine de dissuasion nucléaire qui doivent laisser dans le flou la définition des « intérêts vitaux » de la France.
Enfin la question de la sécurité de l’Europe doit être appréhendée de manière globale et systémique. Sécurité des approvisionnements, sécurité des frontières, sécurité intérieure, sécurité des communications, maîtrise de l’immigration, etc. Sans qu’il soit question de « souveraineté européenne » en ces matières, l’Union doit à tout le moins se doter d’instances de coopération dans tout ce qui concerne sa sureté.
Il convient donc de développer une capacité industrielle européenne dans le domaine des armements. Des projets comme le Système de combat aérien du futur (SCAF) ou le système principal de combat terrestre (MGCS), ainsi que d’autres projets interétatiques sont incontestablement des réponses adaptées aux enjeux de défense des pays européens.
La sécurité du continent européen passe donc par des alliances stratégiques entre Etats européens y compris avec le Royaume Uni, et par la coopération entre Etats européens dans le domaine des industries de défense. Elle passe aussi par un réarmement massif et par le développent de capacités qui assurent notre liberté de décision. L’Union peut et doit accompagner ce processus.
Roger Chudeau
Député (RN) de Loir-et-Cher
Propos recueillis par Arnaud Benedetti