Une fronde agricole bel et bien « en marche », un ministère Attal qui multiplie désespérément déplacements et réunions, de grands groupes agro-alimentaires, sortes d’ogres bien dans leurs bottes de sept lieues et pour finir des eurocrates, plus hors-sol que jamais, bouffis de certitudes assassines qui pensent dur comme fer qu’au final, ils seront gagnants. Etre ou ne pas être à la hauteur, telle était la question que se posait certainement Emmanuel Macron en arrivant Porte de Versailles.
A sa décharge, l’exercice était on ne peut plus difficile face à un monde rural qui « ne lâche rien ». Si périlleux même, que, pour la première fois dans les annales du salon de l’Agriculture, un large déploiement de CRS a encadré cette visite. Le tohu-bohu qui a accompagné cette matinée n’était cependant pas l’expression d’une révolte et encore moins d’une révolution mais la traduction d’un profond désarroi où le facteur humain a énormément touché les Français. Or, c’est justement cela qui fait que le ras-le-bol des paysans, mot ô combien noble, n’a rien à voir avec les revendications corporatistes pas toujours justifiées et dont notre pays s’est fait le champion depuis longtemps. Avec les agriculteurs point de black-blocs, point de destructions de vitrines de magasins ou de mobiliers urbains. Qu’ils soient plus ou moins manipulés par des partis politiques c’est très possible. Mais s’arrêter à de telles considérations reviendrait à se voiler la face devant une réalité difficilement soutenable.
Ces travailleurs de la Terre et de la Mer pour reprendre la belle expression de Victor Hugo, demandent à vivre du produit de leur travail. Quoi de plus normal. Mais croire qu’ils refusent l’Europe c’est les déconsidérer. Pour preuve, la colère agricole a touché tous les pays de l’UE. Pour dire les choses sans détour, Bruxelles leur a confisqué une Europe gaullienne au profit d’une Union ultra-libérale.
Il suffit de revoir les mots que le président de la République a prononcés dans ses échanges avec les représentants du monde rural. Bien qu’étant assez éloigné du Grand Hall de la Porte de Versailles, on a bien remarqué à quel point l’homme montrait des signes de déstabilisation. Il cherchait parfois ses mots, ne quittait pas ses notes et se voulait serein alors qu’il bouillonnait en son for intérieur. Quant à son regard, il montrait une inquiétude non pour lui-même naturellement, mais parce que tout simplement il n’avait pas confiance dans les paroles qu’il prononçait. En revanche il a parlé d’une « Europe forte » de simplifications administratives, de plans de sortie de crise. Pas de tout faire pour que nos agriculteurs aient au moins un SMIC alors que le reste de la population active y a droit. Enfin, en ce qui concerne l’affaire de l’invitation des militants du Soulèvement de la Terre, la véhémence de ses propos, le ton presque suppliant comme demandant à être cru, quand il disait que jamais il a initié cette invitation, allant même jusqu’à se justifier plus encore en rappelant qu’il avait demandé la dissolution de ce mouvement. Enfin quoi ! si l’information est vraiment fausse, il doit virer sur le champ celui qui en a été à l’origine. Mais dans tous les cas de figure, il faut convenir qu’il y a un « lézard » dans les fissures macroniennes, autrement dit un gros problème de communication. Toujours est-il que personne n’a entendu la phrase qui aurait fait retomber la température, à savoir « j’ai ordonné une enquête ».
Ce que nous vivons, est une immense crise de société. Ce n’est pas un hasard, si le mouvement a reçu le soutien des Français. Nourrir une nation est une mission aussi noble que d’éduquer des enfants, soigner des malades ou protéger biens et personnes. Or, le nombre alarmant de suicides dans le monde rural, chez les enseignants ou au sein de la police témoignent que ce que nous avons vécu porte de Versailles, nous aurions pu le vivre dans un lycée, un hôpital ou un commissariat de quartier.
En ce dimanche 24 février 2024, la plus grande ferme de France aura été la plus grande déchirure française.
Michel Dray
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