L’énergie est capitale pour la sécurité civile et militaire. Elle est essentielle pour le développement économique et social, notamment pour l’emploi. Ces rappels valent aux différentes échelles de l’Union européenne, de chacun des États et de tous ses territoires. Chaque élu doit garder à l’esprit ces préceptes fondamentaux dans un contexte difficile caractérisé par de nouvelles menaces terroristes et des tensions internationales au sein et autour du sous-continent européen, d’une part, par un dérèglement climatique conséquent, d’autre part.
Bien sûr, l’énergie est un sujet ardu. L’Académie des Sciences, représentée par un éminent physicien, M. Roger Balian, en 2013, l’affirme sans ambages “Le concept d’énergie est un des plus abstraits et des plus multiformes que connaît la science : il ne date que d’un siècle et demi1
” ? Pour simplifier l’approche, disons que les énergies libres, utilisables par l’Homme, sont diverses : humaine, animale, gravitationnelle, cinétique, thermique, radiative, chimique, électrique, nucléaire, etc. et peuvent se transformer de l’une à l’autre. Depuis la nuit des temps, l’histoire de l’Humanité est jalonnée par les apparitions de plus en plus fréquentes de procédés, de savoir-faire, de techniques qui rendent possibles de nouvelles transformations de cette nature. Celles-ci permettent à notre espèce de diversifier ses activités, qu’elles soient pacifiques ou guerrières. Plus ces techniques sont efficaces, plus elles font envie et plus elles font peur. En conséquence, le sujet, abstrait, foisonnant et complexe, est également très passionnel.
Le Droit, comme la Science, peine à unifier et à harmoniser les activités valorisant une ou plusieurs tant elles apparaissent de plus en plus nombreuses, hétérogènes et sophistiquées. En France, ce n’est qu’en 2011, qu’a été édicté par voie d’ordonnance, un code de l’énergie encore très imparfait.
L’État est fortement incité à se dessaisir en partie de sa politique énergétique en faveur d’acteurs privés d’une part, de l’Union européenne et des collectivités territoriales d’autre part. Dans ce contexte, il est indispensable pour tous les élus locaux d’évaluer les résultats des politiques publiques conduites à l’échelle nationale, depuis quarante ans par la technostructure spécialisée, essentiellement, le corps des ingénieurs des Mines. À partir de ce bilan, il sera ensuite nécessaire, pour chaque territoire, de procéder à une évaluation du contexte géo-climatique, du patrimoine existant et de définir une politique énergétique locale.
La tâche est encore compliquée par le fait que dans ce domaine complexe, très rares sont les assistants à maîtrise d’ouvrage à la fois compétents et indépendants. Les élus locaux doivent donc, avant tout, se former et s’informer pour prendre la mesure de ces responsabilités nouvelles et complexes qui leur incombent. On trouvera ci-dessous une analyse de l’origine, des fondements et de la nature de ces responsabilités. C’est une première contribution.
Viendront par la suite un colloque et des séminaires de formation pour permettre aux élus et aux cadres territoriaux de mieux prendre en compte les spécificités, les atouts et les handicaps, les enjeux et les risques qui s’attachent aux territoires dont ils sont responsables.
Une responsabilité qui s’étend et se décentralise
Jusqu’alors, depuis la promulgation de la loi du 15 juin 1906, la politique de production d’énergie de la France se discutait à Paris. Il restait à chaque maire à mettre en place une régie ou un marché de concession et à veiller à ce que chacun, sur le territoire de sa commune, accédât aux réseaux de distribution d’électricité et, éventuellement, de gaz ou de chauffage urbain. Désormais, il faut, à l’échelon local, produire, distribuer et exploiter des énergies renouvelables et rechercher l’efficacité énergétique en toute forme d’activité, en tout lieu et à tout instant.
Les élus locaux ne peuvent se dérober à ces responsabilités nouvelles pour eux. D’une part, les enjeux économiques et environnementaux sont essentiels. D’autre part, le voudraient-ils, ils ne pourraient pas. Ils subissent des pressions de diverses natures : médiatiques, électorales et légales.
Durant 2014, le développement durable a été un des principaux sujets au cœur de la campagne pour les dernières élections municipales. Depuis, le débat national sur la transition énergétique a placé les questions relatives à notre politique énergétique encore plus avant sur la scène médiatique.
La pression légale sur les élus locaux renforce celle exercée par les médias et le corps électoral. Le texte de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte voté par l’Assemblée nationale, comme les lois Grenelle I et surtout II, met très largement les élus locaux à contribution. Alors que la loi Grenelle II amendait déjà à soixante reprises le code général des collectivités locales, le texte de loi sur la transition énergétique y revient encore. Et les amendements adoptés par le Parlement n’ont fait qu’accroître cette tendance.
Le code général des collectivités locales n’est de surcroît pas le seul à évoluer. Retenons, pour résumer ce nouveau texte, le projet d’amendement du code de l’énergie qui propose d’ajouter, après le sixième al. de l’article L 100.2, un paragraphe conclusif formulé comme suit :
“Pour concourir à la réalisation de ces objectifs, l’État, les collectivités territoriales, les entreprises, les associations et les citoyens associent leurs efforts pour développer des territoires à énergie positive. Est dénommé « territoire à énergie positive » un territoire qui s’engage dans une démarche permettant d’atteindre l’équilibre entre la consommation et la production d’énergie à l’échelle locale en réduisant les besoins d’énergie au maximum. Un territoire à énergie positive doit favoriser l’efficacité énergétique et viser le déploiement d’énergies renouvelables dans son approvisionnement.”
Le Sénat a, en l’état, amendé la définition du territoire à énergie positive, comme suit : “Est dénommé “territoire à énergie positive” un territoire qui s’engage dans une démarche permettant d’atteindre au moins l’équilibre entre la consommation et la production d’énergie à l’échelle locale en réduisant autant que possible les besoins énergétiques et dans le respect des équilibres des systèmes énergétiques nationaux. Un territoire à énergie positive doit favoriser l’efficacité énergétique, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la diminution de la consommation des énergies fossiles et viser le déploiement d’énergies renouvelables dans son approvisionnement.”
Il appartiendra à la commission mixte paritaire de déterminer la rédaction définitive de ce paragraphe, qui pourrait être à la fois moins redondante et dénuée de contradictions internes.
Pour les élus locaux, ce paragraphe est absolument essentiel : en effet, il synthétise les orientations communes au livre vert publié en 2006 par la commission des communautés européennes, intitulé “Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable”, aux directives européennes qui en ont résulté et aux travaux parlementaires qui, en France, accompagnent leur mise en œuvre sur le territoire, en métropole et dans les territoires ultramarins.
Car nous allons voir en quoi cette responsabilité locale capitale, tout à fait conforme au principe de subsidiarité, n’est pas, n’a jamais été et ne sera jamais facile à assumer.
Les leçons du passé
Un siècle d’enthousiasmes et de dépendance
Pour prévoir l’avenir, il est prudent de tirer enseignement du passé. La raréfaction des ressources en énergies fossiles n’est pas, contrairement aux idées reçues, une préoccupation récente.
En 1877, Jules Verne publie “les Indes Noires” dans les colonnes du principal quotidien de la IIIe République, le Temps. Il cite des études qui annoncent l’épuisement du charbon pour les principales nations industrielles d’Europe : un, deux ou quatre siècles… tels étaient les pronostics d’alors concernant les réserves en charbon des principales nations industrielles.
Faut-il en déduire que Jules Verne était un précurseur isolé ? “Précurseur”, sans doute ; “isolé” assurément non ! Trois ans plus tôt, exactement un siècle avant le premier choc pétrolier, en 1874, Victor Hugo, publie son roman “Quatrevingt-treize” rédigé durant l’exil de Guernesey. À la fin de l’ouvrage, son personnage Gauvain, à la veille de subir l’exécution capitale, décrit le monde meilleur qu’il souhaite à tous ceux, amis et ennemis, qui lui survivront.
“Utilisez la nature, cette immense auxiliaire dédaignée. Faites travailler pour vous tous les souffles de vent, toutes les chutes d’eau, tous les effluves magnétiques. Le globe a un réseau veineux souterrain ; il y a dans ce réseau une circulation prodigieuse d’eau, d’huile, de feu ; piquez la veine du globe, et faites jaillir cette eau pour vos fontaines, cette huile pour vos lampes, ce feu pour vos foyers. Réfléchissez au mouvement des vagues, au flux et reflux, au va-et-vient des marées. Qu’est-ce que l’océan ? Une énorme force perdue. Comme la terre est bête ! Ne pas employer l’océan !”
Cette “prophétie de Gauvain” dit clairement l’importance capitale qu’accordait aux énergies renouvelables l’écrivain immensément célèbre, l’homme politique engagé bien au-dessus de la mêlée, le parlementaire à qui la IIIe République et le peuple de Paris vont, dix ans plus tard, réserver d’impressionnantes obsèques nationales. Jules Verne, Victor Hugo… les faits sont là : dès la fin du XIXe siècle, des arguments essentiels du débat actuel sur les énergies étaient explicitement posés dans l’opinion publique la plus large par les auteurs les plus populaires.
Pourtant, pendant tout un siècle, les prophéties de ces auteurs prestigieux ont été, non seulement oubliées, mais démenties par les faits. Force est de constater que les prévisionnistes cités par Jules Verne se trompaient lourdement. Leurs pronostics ont été pulvérisés depuis par la croissance exponentielle et de la demande et de l’offre en énergie. Quant à la croissance de la demande, elle a non seulement épuisé la plupart des bassins miniers de l’Europe de l’Ouest, mais pioché sans retenue dans les réserves mondiales de charbon, de pétrole, d’uranium, etc.
Ces ressources ont été, sont et seront aspirées par la multiplication, à travers l’Europe, l’Amérique du Nord et désormais le monde, d’innovations exploitant ces énergies pour produire, partout et à toute heure du jour et de la nuit, la lumière, l’hygiène, le chaud, le froid, la force, le mouvement, la connaissance, le divertissement, etc.
Depuis 150 ans, Prométhée ne s’est pas seulement invité dans les centrales thermiques et nucléaires, mais partout dans chaque pièce de chaque logement, dans les écoles, dans les champs, dans les fermes, dans les usines, dans les casernes, dans les bureaux, dans les théâtres, dans les cinémas, dans les gares, dans les aérogares, sur les routes, les autoroutes, etc.
Une des innovations essentielles a, bien sûr, été l’électricité qui avec ses centrales et surtout, son réseau, a structuré et unifié les territoires nationaux.
C’est d’abord, grâce à la houille blanche que la production d’électricité a été massifiée, faisant des Alpes – en France et en Suisse –une région industrielle, à partir des années 1870. Puis, à partir des années 20, dans l’immédiat après-guerre, le charbon et le pétrole, eux-mêmes sources directes d’énergie, ont été largement exploités dans des centrales thermiques pourtant très polluantes pour être mis au service de la fée électricité et de son réseau bienfaiteur. Enfin, dès la fin des années 30, le charbon s’avérant nocif pour les mineurs, les savants, suivis plus tard par les ingénieurs des mines, se sont employés à mettre l’énergie nucléaire au service de la production d’électricité.
À travers le monde, partout où un État solide a su implanter, entretenir et protéger un réseau de distribution d’électricité, toutes ces innovations sont devenues accessibles et ont permis de remplacer l’énergie animale, le travail des hommes, des femmes et des enfants et de braver les humeurs du climat, de jour et de nuit, hiver comme été.
Encore aujourd’hui, la fée électricité fait reculer la chaudière et le moteur à explosion.
S’agissant de la maîtrise des énergies hygrothermiques, l’impact psychosociologique est si grand que les mentalités, autrefois lourdement imprégnées des particularismes géo-climatiques locaux, en ont été modifiées en profondeur et, dans une certaine mesure, harmonisées au risque parfois de l’infantilisation. Plus le temps passe, moins nous tolérons les écarts de température. Nous avons pris l’habitude de vivre dans un air contrôlé, ni trop froid, ni trop chaud, ni trop humide.
La profondeur de ce bouleversement des mentalités et des comportements s’explique par la nature du rapport entre le corps humain avec l’humidité, la chaleur et la lumière.
C’est notre système neuro-végétatif qui tire parti des apports énergétiques, qu’ils soient naturels ou artificiels, que nous soyons éveillés ou endormis, à l’état de fœtus, conscients ou dans le coma. Notre volonté n’intervient pas. L’adaptation de nos comportements aux variations d’ambiances obéit à des réflexes. L’évolution de nos comportements depuis près d’un siècle et demi exerce une forte influence sur les mentalités et sur les mœurs. L’obscurité reculant, la force humaine cédant le pas à l’énergie mécanique, les peurs ancestrales ont commencé à se dissoudre : la liberté et l’émancipation ont progressé, pour les femmes comme pour les hommes.
Rien, nulle part, n’a enrayé cette croissance phénoménale de la demande d’énergie depuis 150 ans : ni deux guerres mondiales accompagnées de bombardements massifs des bassins miniers, ni la silicose, insidieuse et mortifère, ni toutes les guerres qui fleurissent dans le monde sur les bassins pétrolifères, autour des mines d’uranium, etc. ni le capitalisme, ni le communisme, ni le maoïsme, ni l’ultralibéralisme.
L’échec des politiques d’économie d’énergie
Les chocs pétroliers n’y ont rien changé non plus. En France, l’Agence pour les économies d’énergie, à partir de 1974, puis l’Agence française de maîtrise de l’énergie à partir de 1982 et l’ADEME à partir de 1991, ont distribué force subventions pour encourager les économies d’énergie. Qu’est-il advenu de nos consommations d’énergie ?
En quarante ans, de 1973 à 2013, la consommation d’électricité est passée de 171 à 480 TWh, soit une augmentation de 181 % consacrant la montée en charge de l’électricité nucléaire après 1974 et la première “transition énergétique” française, du pétrole vers les matières fissiles.
Examinons l’évolution des consommations d’énergie primaire durant la même période. De 1973 à 2012, la consommation de l’habitat et du tertiaire a augmenté de 56,2 à 68,7 millions de tonnes d’équivalent pétrole (MTep) soit une augmentation de 22,2 % comparable à celle de l’agriculture qui passait de 3,6 à 4,4 MTep. Quant aux transports, l’augmentation a été de 90,0 % en passant de 25,9 à 49,2 MTep.
Seule la consommation de l’industrie a baissé en passant de 47,9 à 32,1 MTep soit une réduction de 49,2 % qui résulte notamment de l’effondrement de la sidérurgie passant de 12,5 à 4,7 MTep.
Au total, la consommation brute d’énergie primaire est passée de 133,6 MTep en 1973 à 154,4 MTep en 2012, soit une augmentation de 15,6 %.
En quarante ans, la France n’a donc en rien réduit ses consommations d’énergie. Elles ont augmenté substantiellement, d’autant plus que l’effondrement de la production sidérurgique française n’a pas réduit la consommation d’acier sur notre territoire : les consommations d’énergie et les pollutions correspondantes ont simplement été délocalisées ou, si l’on préfère, externalisées et sont venues s’y ajouter des consommations énergétiques pour le transport depuis l’étranger.
Les résultats de cette politique d’économie d’énergie sont un peu moins décevants si on les rapporte à la population qui est passée de 51,9 millions d’habitants en 1972 à 64,6 millions d’habitants en 2012. À cette aune, les consommations per capita de l’habitat, du tertiaire et de l’agriculture sont restées stables. En revanche, il est manifeste que l’énergie que les Français ne consomment plus en usine est désormais consacrée aux transports. Et, il est également indéniable qu’il faudrait ajouter à toutes ces consommations intérieures, les énergies absorbées par les fabrications et les transports internationaux correspondant à nos importations industrielles.
L’enjeu environnemental
Les immenses besoins énergétiques de la croissance verte
Cette croissance de la demande en énergie sera-t-elle enrayée dans les décennies à venir ?
Des efforts seront utiles, mais c’est peu probable au regard du passé et, surtout, d’un autre objectif de la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte et des directives européennes. Cet autre objectif, c’est l’économie circulaire qui doit intégrer non seulement le recyclage des matières premières dans le cycle de vie des produits, mais aussi des cycles mineurs tels que la réutilisation ou le nouvel usage de produits reconditionnés.
La mise en place de cette “économie circulaire” consommera beaucoup d’énergie. Nous le savons d’autant mieux que certaines filières, telles que l’acier et le verre, ont ouvert la voie et que c’était évidemment les plus simples à organiser. Plus les produits et les systèmes sont complexes, plus le recyclage est écologiquement coûteux à mettre en œuvre.
Tout ce que le commerce a dispersé, la collecte devra le rassembler. Tout ce que les constructeurs ont assemblé, des “déconstructeurs” devront le désassembler. Toutes les matières transformées par les fabricants pour réaliser des composants devront être séparées, refondues, etc. pour être recyclées.
Par la force des choses, les produits, les composants, les matières premières devront circuler entre tous ces sites de fabrication, d’assemblage, de diffusion, puis de collecte, de désassemblage, de recyclage : les activités de transport s’en trouveront dédoubler.
On relèvera, au passage, que c’est pour des produits fabriqués à partir de matériaux très gourmands en énergie, que cette économie circulaire est déjà en place. La complexité est encore plus grande concernant les produits dérivés du pétrole, tels que les pneumatiques2
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Notons également que le recyclage systématique des produits en verre – qui pourraient être réutilisés – et la mondialisation du recyclage de certaines ferrailles ne sauraient être considérés comme des modèles d’économies d’énergie. Bien des efforts restent à accomplir, qui consommeront, à l’échelle locale, beaucoup d’énergie.
L’accumulation des facteurs de hausse des prix
L’augmentation de la demande n’est qu’un des facteurs qui poussera à la hausse des prix des énergies. Certains coûts de recherche et d’extraction des énergies fossiles augmentent, au fur et à mesure, que les gisements sous-marins s’éloignent des côtes et des plateaux continentaux.
L’augmentation des coûts d’exploration et d’extraction et avec la libéralisation des marchés de l’énergie, les prix de l’énergie ont commencé à augmenter et tous les spécialistes s’accordent pour prédire que cette augmentation se poursuivra.
L’exercice de la concurrence imposée par l’Union européenne, même réduite aux seuls producteurs, a également un coût. Il augmente de facto le “coût de transaction” qui a valu à Ronald Coase, le prix Nobel d’économie en 1991 : les dépenses publicitaires, les dépenses liées à la rémunération des personnels et de sous-traitants dans des services de communication, des services commerciaux, des services contentieux, toutes activités improductives, chez chacun des producteurs d’énergie mis en concurrence viendront immanquablement s’ajouter aux coûts de production et de distribution de l’énergie.
Ces dépenses de fonctionnement viendront également favoriser les filières les plus anciennement établies comme le charbon en Allemagne ou le nucléaire en France, et le pétrole partout, au détriment des filières jeunes, moins capables d’engager en plus de dépenses d’investissements lourdes et indispensables, de telles charges de fonctionnement.
Toutes les conditions semblent avoir été réunies pour un emballement des coûts de ces énergies qui changent notre rapport au temps. Il freinerait net tous les flux économiques et, au-delà, toutes nos activités.
Les enjeux pour les territoires
L’histoire nous montre que la Suisse est prospère et le restera, qu’elle peut se dispenser d’appartenir à l’Union européenne et de pratiquer le Business English parce qu’elle dispose durablement de l’hydro-électricité, qu’elle la met à profit pour développer et cultiver des savoir-faire. L’exemple suisse est à méditer à de multiples égards : non seulement il met en évidence le rôle décisif de l’énergie dans le développement économique, mais la diversité linguistique de la Confédération helvétique illustre aussi le fait que les échanges ne se développent jamais mieux qu’entre des populations différentes.
L’impérieuse nécessité d’éviter un emballement des prix de l’énergie veut que la politique de ré-industrialisation circulaire s’inscrive dans une politique d’aménagement des territoires européens. Il faut notamment implanter les activités nouvelles de façon à valoriser des moyens de transports peu coûteux en énergies, peu polluants, peu émetteurs de gaz à effet de serre. On retrouve donc ici, amplifiée, la problématique des “territoires à énergie positive”.
Puisque l’Union européenne et l’État ont échoué à imposer des économies d’énergie à la population, le relais est passé aux élus territoriaux sommés d’investir massivement dans la production d’énergie renouvelable, pour prendre de vitesse la croissance des consommations et pour atteindre une balance énergétique positive.
Tous les élus locaux, quelle que soit leur sensibilité politique, ne peuvent se soustraire à cette ardente obligation. Car la compétition ainsi ouverte entre les territoires du sous-continent européen s’annonce difficile, inégale et aléatoire.
Ce sous-continent au croisement d’influences continentale, océanique, polaire et désertique, aux reliefs variés, est un kaléidoscope de mini et de microclimats divers et changeants.
La diversité de ces climats du sous-continent européen est un handicap pour la valorisation des énergies renouvelables. Elle conduit à une dispersion des efforts financiers, empêche les économies d’échelle.
Le deuxième handicap, c’est la versatilité de ces climats. Elle est une cause de la méfiance à l’encontre des énergies solaires et éoliennes qui ne sont pas systématiquement disponibles aux moments et aux endroits où les hommes en ont le plus besoin.
Cette versatilité de nos climats va croissante avec les changements en cours, qui ajoutent encore aux aléas : dans les discours officiels et la littérature administrative, à l’expression “le réchauffement climatique” se substitue progressivement “le dérèglement climatique”, plus conforme au ressenti du phénomène climatique par la population. La nuance n’est pas mince : ce “dérèglement” ne facilitera pas davantage la rentabilisation des investissements dans les technologies de valorisation des énergies renouvelables.
Il est un troisième handicap, qui ne vient pas de la nature mais des hommes. C’est le régime de la concurrence qui a permis à l’hydro-électricité puis aux centrales thermiques et nucléaires d’écraser l’éolien et le solaire depuis 150 ans.
L’Union européenne, en restaurant la concurrence sur le marché de la production de masse d’énergie, n’a fait qu’enfoncer une porte ouverte, dont on a vu, de 1870 à 1945, qu’elle n’avait débouché, concernant la valorisation des énergies renouvelables si chères à Victor Hugo, que sur du vide.
Rien ni personne n’a empêché les lecteurs de Jules Verne et Victor Hugo, fort nombreux parmi les entrepreneurs qui ont porté l’industrialisation de l’Europe, de valoriser ces énergies renouvelables si naturelles et si séduisantes. Ce manque d’intérêt s’est maintenu que la production d’énergie soit privée comme elle l’a été le plus souvent à l’origine, qu’elle soit nationalisée au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale ou qu’elle soit privatisée comme c’est le cas maintenant aujourd’hui.
Les élus territoriaux, acteurs stratégiques d’une résistance vitale
Face à cette demande croissante, face à ces nouveaux besoins en énergie, les prix de l’énergie ayant été libérés, l’augmentation des prix des énergies paraît inéluctable. Et c’est tout autant les territoires qui seront mis en concurrence que les fournisseurs d’énergie.
Mille défis technologiques
Pourtant, il n’y aura pas d’autre façon de valoriser les énergies renouvelables que de faire jouer, non pas la concurrence globale entre les énergies, mais leurs complémentarités locales. Et, c’est une véritable résistance à l’emballement du prix des énergies que doivent organiser les élus locaux en valorisant les énergies renouvelables.
Produire, distribuer et exploiter des énergies locales : chacune des trois composantes d’une politique énergétique locale, doit impérativement être prise en compte dans l’action économique, dans la valorisation du territoire, dans la conduite de son urbanisation, dans la répartition des activités. Faut-il établir entre ces composantes des priorités : ce serait une grave erreur, car chacune est nécessaire à la dynamique économique comme chacune des trois roues est indispensable à la stabilité du tricycle, indépendamment des aspérités du terrain. En négliger une, c’est se condamner à la fuite en avant, forcément dispendieuse.
Dans chacune des trois composantes de la politique énergétique locale, (production, distribution et exploitation), l’histoire nous l’a montré, la veille technologique est indispensable et doit balayer le plus loin possible.
Jusqu’à un certain point, cette veille technologique pourra être mutualisée grâce à Internet, à la condition que la responsabilité en soit confiée à des acteurs indépendants et compétents.
Mais chaque territoire a ses avantages et ses inconvénients, des accès plus ou moins performants, plus ou moins permanents à certaines énergies renouvelables. Il convient de comparer des cycles annuels et journaliers de consommations énergétiques conditionnés par un climat et des activités. Cette confrontation peut comporter des pièges aux conséquences dévastatrices.
Territoire après territoire, chacun devra mobiliser au mieux les ressources renouvelables disponibles et accessibles et orienter, le mieux possible, ses activités et le développement économique vers des domaines les moins exigeants possibles en énergie.
Renoncer serait criminel pour l’avenir économique du territoire.
Combien y aura-t-il de territoires différents en France ? En Europe ? 1 000, 10 000, 100 000 nul ne saurait en faire le décompte. Et, ce n’est pas une science mais l’histoire qui répondra. Car, ce qui est certain, c’est que sur chacun de ces territoires, l’intelligence collective des élus territoriaux sera décisive.
Un contexte financier à haut risque
Avec la nécessité d’instaurer une politique énergétique locale, la tâche qui incombe désormais aux élus locaux est immense. Leur tâche est d’autant plus délicate que les investissements à prévoir sont conséquents et qu’après la crise de 2008 et la nationalisation de Dexia, la conjoncture financière des collectivités territoriales est toujours difficile. C’est dire que les échecs comme les réussites seront spectaculaires.
Quelles que soient les bonnes intentions affichées par le législateur, les élus territoriaux seront seuls face à des opérateurs et à des partenaires financiers surpuissants et intouchables, relayés par des prescripteurs rarement indépendants, très intéressés.
Il faudra éviter bien entendu les greffes inopportunes dont le risque sera accru par la puissance marketing et commerciale des géants de l’énergie et l’influence de la finance sur une ingénierie subordonnée et rémunérée au prorata des enveloppes budgétaires : malheur aux élus qui auront financé l’implantation d’une installation voyante et improductive.
Là encore, pour se prémunir contre la démagogie verte, contre les promesses commerciales et les prescripteurs intéressés, les élus devront se montrer solidaires et prudents pour faire appel, s’ils en ont besoin, à des experts réellement indépendants.
Il est évident qu’une démarche scientifique spécifique à chaque contexte géo-climatique est indispensable. Le modèle est connu, c’est celui de l’alliance de Hiéron et d’Archimède à Syracuse, de Cosme l’ancien et de Brunelleschi à Florence, de Bonaparte et de Gaspard Monge, c’est-à-dire du politique ambitieux et du savant loyal.
En tout état de cause, la formation des élus et des cadres territoriaux semble le préalable absolu.
C’est dire qu’il va falloir aux élus territoriaux faire preuve de beaucoup de discernement et d’ingéniosité pour investir dans les énergies renouvelables au plus près des besoins, dans l’espace et dans le temps.
Il leur faudra également instaurer un aménagement du territoire, promouvoir une politique économique, un urbanisme et des architectures énergétiquement efficaces. L’article 51 de la Loi Grenelle I désigne les collectivités territoriales et leurs groupements comme “des acteurs essentiels de l’environnement et du développement durable”, ayant des rôles “complémentaires, tant stratégiques qu’opérationnels”.
Ce même article précise que l’État favorisera la généralisation des bilans en émissions de gaz à effet de serre, et, […] des Plans Climat Énergie Territoriaux, en cohérence avec les Agendas 21 locaux. Il pourra utiliser les Agendas 21 locaux comme outil de contractualisation volontaire. Les collectivités sont également incitées à prendre en compte la notion d’infrastructure écologique (trames verte et bleue) en amont de tout projet d’aménagement et dans leurs documents d’urbanisme (SCOT et PLU notamment).
Il faudra, avant tout, aux élus non seulement définir des périmètres territoriaux, énergétiquement pertinents, mais aussi nouer les alliances stratégiques et financières, qui leur correspondent.
Ces alliances devront, par priorité, s’établir entre collectivités territoriales autour, non pas d’un seul producteur d’énergie, mais d’une et si possible plusieurs filières de production d’énergie, de sorte que la concurrence, même localement, puisse continuer à jouer entre différents producteurs.
De surcroît, il faudra aux élus, susciter l’adhésion de leurs populations correspondantes. C’est le moyen le plus sûr de réduire les coûts de transaction résultant de l’exercice de la concurrence. C’est également le moyen le plus efficace de susciter une politique économique locale efficace.
Une chance historique pour l’Outremer
S’il est un endroit où la prophétie de Gauvain peut et doit se réaliser, c’est bien dans l’Outremer.
Les ressources de la biomasse et le potentiel hydroélectrique en climat tropical humide, sont inégalables. Les ressources halieutiques et les énergies marines sont la grande chance des territoires insulaires. Le capital géothermique des régions volcaniques est immense. Toutes les énergies solaires y sont bonnes à prendre.
C’est là, dans ces territoires ultramarins, que seront dépassés les trois handicaps des énergies renouvelables chères à Victor Hugo, qui les ont empêchés d’être partie prenante du prodigieux essor de la production et de la consommation de l’énergie en Europe et en Amérique du Nord.
Ces territoires ultramarins ont un avantage. Chacun dans sa singularité est géo-climatiquement beaucoup plus cohérent et permet donc à ses élus de se mettre plus facilement et plus profondément d’accord que ne sauraient le faire les parlementaires français ou européens.
Ces trois handicaps peuvent donc tomber dans les territoires ultramarins mais deux conditions semblent indispensables.
D’une part, il faut que les élus de ces territoires aient l’intelligence de faire jouer, non pas la seule concurrence économique, mais d’abord la concurrence écologique qui doit conduire à l’élimination progressive des énergies fossiles et polluantes et aussi toutes les complémentarités technologiques possibles entre les énergies renouvelables.
D’autre part, il est indispensable que la France et l’Europe y investissent massivement, comme elles l’ont déjà fait pour les industries spatiales car elles sont des portes ouvertes sur d’immenses marchés mondiaux, en plein essor.
Les grands besoins mondiaux en énergie émaneront de plus en plus d’économies émergentes souvent situées dans des zones aux climats plus propices à la valorisation des énergies renouvelables : elles sont localisées soit en zones tropicales humides généreuses pour les végétaux et la biomasse, soit à proximité de zones désertiques (solaires) ou maritimes (hydroliennes, biomasse halieutique, etc.)
Dans ces économies émergentes, dont les territoires sont rarement maillés dans leur intégralité par des réseaux de distribution d’électricité comme le sont les pays de l’Europe de l’Ouest, les investissements dans les équipements de valorisation des énergies renouvelables dans des climats typés et constants seront bien plus rentables. Les économies d’échelle joueront favorablement. Certaines de ces technologies de valorisation des énergies renouvelables s’imposeront sur le marché mondial, par la force des choses. Ensuite, et seulement après avoir conquis les marchés mondiaux, ces technologies pourront venir s’imposer sur le sous-continent européen. Un premier aperçu de ce type de phénomène a été donné, même de façon imparfaite, avec les capteurs photovoltaïques chinois.
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Un défi multi-séculaire pour éviter le déclin
Le débat national sur la transition énergétique a été engagé de telle sorte que s’y affrontent les lobbies de défense des différentes filières de production d’énergie et que les résultats des quarante dernières années de politiques d’économie d’énergie ne sont pas suffisamment analysés et pris en compte. Il ne doit pas faire perdre de vue aux élus locaux français, le tout premier enjeu, essentiel, livre vert de 2006 par la commission des communautés européennes, “Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable”. En clair, dans les quarante années à venir, la pénurie d’énergie et de matières premières constitue le principal risque, la plus grave menace qui guette l’économie européenne dans chacun de ses territoires.
Depuis 150 ans, l’Europe n’a ni entendu les avertissements de Jules Verne, ni relevé le défi de Victor Hugo. Aujourd’hui, son propre sous-sol a été pillé de toutes les ressources accessibles et son autonomie énergétique est, comme ce qui reste de ses empires, chancelante. L’Europe, comme souvent dans son histoire, doit choisir entre le déclin et une nouvelle Renaissance. L’économie circulaire, vitale pour la planète, lui ouvre une perspective stratégique, des deux points de vue, écologique et économique.
“Rien ne se perd, rien ne se créé. Tout se transforme” Ce qui était vrai dans le tube à essai du chimiste Antoine de Lavoisier doit le devenir à l’échelle du sous-continent européen, pour les énergies comme pour les matières premières. Des cycles devront s’établir. Des rythmes devront s’adapter.
L’économie circulaire impose à l’Europe de se réindustrialiser pour contrôler les matières premières dont elle a besoin. Pour minimiser l’impact écologique et économique des transports, il lui faudra également redéployer les infrastructures de transports maritime et fluvial des marchandises. Ce redéploiement industriel imposera le recours à toutes les énergies. Chaque territoire devra mobiliser chacune de ses ressources, minérales ou végétales, maritimes ou terrestres, solaires, hydrauliennes, éoliennes ou géothermiques, du plus profond de l’Atlantique jusqu’à l’Oural, et sans doute au-delà. La géothermie, l’hydroélectricité, la biomasse fourniront des ressources énergétiques de base. Le solaire, l’hydraulien, l’éolien fourniront des ressources d’appoint.
L’exemple de l’Outremer – qui cumule des ressources potentielles énormes, des perspectives d’exportation dans des économies émergentes à contextes géo-climatiques comparables et un manque cruel de capacités d’investissements – indique clairement la voie. L’Europe doit s’unir plus que jamais, pour se mobiliser territoire après territoire.
Les énergies renouvelables exigeront des investissements que l’Union européenne estime à 1 000 milliards d’euros. Le redéploiement industriel pour une économie circulaire n’en demandera pas moins.
Les élus locaux devront se mobiliser et se fédérer pour définir et assumer une véritable planification économique et écologique territoriale, dans l’esprit qui a été celui de Jean Monnet au sortir de la Deuxième Guerre mondiale. Ce sont des approches locales très pragmatiques, mariant intimement politique énergétique et stratégie économique locales, qui doivent se mettre au service d’une ambition d’envergure planétaire. Les emplois et les exportations suivront.
Cette grande ambition impose à l’Union européenne de se dépasser elle-même, de mieux valoriser l’infinie diversité géo-climatique et socioculturelle de ses territoires, de s’élargir encore, de s’approfondir davantage.
Jean-Michel Coget, ingénieur-économiste, conseil en stratégie et organisation, président du Centre international de formation en aménagement et architecture
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- La longue élaboration du concept d’énergie – Roger Balian – mars 2013 – Académie des Sciences. ↩
- Notre étude “analyse technico-économique détaillée des filières de collecte-réutilisation-traitement-recyclage des pneumatiques usagés” menée pour Pierre Audoin Conseil, la direction générale de la recherche scientifique et l’agence nationale de récupération et d’élimination des déchets” a, comme son titre l’indique, posé dès 1980 les fondements de “l’économie poly-cyclique” couramment appelée de nos jours “économie circulaire”. ↩