Avec une population d’environ 450 000 juifs et d’un peu plus de 5 300 000 musulmans1 la France est en première ligne quant aux retombées du conflit israélo-palestinien. Ajoutons à cela que le Quai d’Orsay, fidèle à une tradition orientaliste, mène depuis des décennies une diplomatie pro-arabe. Notons enfin les effets idéologiques du débat sur la question algérienne et par extension sur la décolonisation. L’écart démographique au bénéfice des musulmans2 autant que la faillite d’une gauche républicaine étranglée par la NUPES, ouvertement islamo-gauchiste, entretient et aggrave une fracture sociologique lourde de conséquences dans les années à venir. Depuis le 7 octobre, la hausse vertigineuse des actes antisémites est une réalité. Conscient de la gravité de la situation le gouvernement a renforcé les mesures de sécurité devant les lieux de culte et écoles juives notamment. L’atmosphère délétère qui découle de cette situation, l’inquiétude constamment présente et surtout un fort sentiment d’impuissance chez les responsables politiques, malgré les centaines de victimes qui du Bataclan à Amiens en passant par Nice, ont marqué l’histoire du terrorisme islamiste en France. Impuissance tragique au point de ne pas pouvoir faire respecter une interdiction de manifester comme si l’Etat avait été amputé de son pouvoir régalien.
Un conflit civilisationnel
Dans la Révolution française la philosophie des Lumières a trouvé un fantastique laboratoire d’idées. Rompant avec un Occident façonné par la Cité de Dieu, cet ordonnancement Augustinien où paysans, nobles et ecclésiastiques avaient une place bien précise, les « éclairés » ont voulu construire un nouveau paradigme autour de la Raison. L’islam a connu entre le VIIIe et la première moitié du XIVe siècle une réelle tentative d’ouverture, de progrès économique et culturel que la dynastie des Abbassides, favorable d’une pensée religieuse rigoriste a étouffé dans l’œuf3. Mais le 11 mars 2001, c’est le réveil brutal. Les talibans dynamitent les statues géantes des Bouddhas à Bamyan en Afghanistan ; six mois, jour pour jour après Bamyan, le 11 septembre 2001, c’est le tour des Twin Towers à New-York. Les deux événements sont étroitement liés.
Les statues géantes sont une déclaration de guerre à la tolérance et à travers elle à la Culture ; l’attentat du 11 septembre une déclaration de guerre à l’Occident. Dès lors, le conflit civilisationnel est engagé.
Et pour reprendre l’expression de Boualem Sansal, l’islam, depuis des siècles, n’a plus le même GPS historique que l’Occident.
Pour les Frères Musulmans, l’ennemi c’est l’Occident et l’Occident c’est Israël
La doxa des Frères Musulmans, dès leur création en 1923 en Egypte, refuse toute idée de frontière et prône ouvertement l’avènement d’un islam mondialisé inscrit dans un rigorisme hermétique à l’Occident. Pour atteindre toutes les strates de la société musulmane, les Frères Musulmans déploient un discours adapté. Exégètes du Coran avec les docteurs de la loi, analystes « marxisants » avec les idéologues anticolonialistes, acteurs caritatifs aux côtés des exclus pressurés sous le joug des dictatures, les Frères Musulmans sont des artistes de l’opportunisme et de l’entrisme. Une autre arme est entre leur main : l’antisémitisme. Le Mufti de Jérusalem accepte de lever une légion arabe placée sous l’uniforme nazi à la condition express que Hitler lui « donne » les Juifs de Palestine. La réponse est claire « les Juifs sont à vous »4 Près de 80 ans après le nazisme s’est effondré ouvrant la voie à une guerre froide au sein de laquelle l’islamisme n’avait pas pu trouver sa force de nuisance jusqu’à l’implosion de l’URSS qui lui ouvre de nouvelles perspectives.
Les Frères Musulmans trouvent dans le sionisme ce qu’ils avaient trouvé dans la haine antisémite qui guidait en son temps le mufti de Jérusalem et Hitler. Ce qui importe c’est l’éradication pure et simple de l’Etat hébreu comme jadis la mise en œuvre de la solution finale. Sur un autre plan l’assassinat de Sadate en 1981, traduit le refus des FM de tout accord de paix avec Israël, car cela le légitimerait de jure. L’attaque terroriste du Hamas suit la même démarche. Elle objective au final la démolition des accords d’Abraham, accords plus que jamais sur le fil du rasoir.
Les Frères Musulmans, une galaxie au sein de laquelle gravite une multitude d’associations
Interdire les Frères Musulmans semble logique voire politiquement nécessaire. Mais en réalité ce ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau. Pour les populistes de droite l’islamisme cancérise l’Islam avant de métastaser l’Occident tout entier. Quant à la gauche, prise dans ses propres contradictions idéologiques et historiques, elle a le plus grand mal à trancher la question.
Aussi, la France voit-elle se fissurer la loi de 1905 qu’elle croyait inscrite dans le marbre.
Michel Onfray propose de la ramener à une autre réalité que celle de 19055 texte conçu originellement pour lutter contre l’omnipotence de l’Eglise dans le domaine éducatif et de la santé face à une troisième République d’inspiration jacobine. Aujourd’hui le problème n’étant plus l’Eglise mais l’islamisme.
L’islamisme s’est installé pour longtemps dans le débat public
Boualem Sansal propose une modernisation de l’islam en s’inspirant du protestantisme6 proposition que beaucoup d’observateurs considèrent utopique. Car, nier un conflit entre Islam et République c’est faire la politique de l’autruche de même que considérer que l’islam peut porter atteinte à l’ordre publique, autrement dit l’exclure de l’espace confessionnel c’est plonger dans l’absurde. L’islamisme est un virus qui se duplique très vite en milieu sain. Sa dangerosité est telle qu’il met en danger l’islam lui-même, et ce, en toute connaissance de cause dans le but de déstabiliser sciemment les fondements de la démocratie. Pendant longtemps, les responsables politiques au pouvoir, toute obédience politique confondue, ont hésité à prendre des mesures adaptées, d’abord parce qu’ils savaient que le dossier était « chaud » mais aussi, voire surtout, parce qu’ils n’ignoraient pas les retombées internationales d’une telle interdiction pût provoquer. A force d’atermoiements, de calculs politiques et de tergiversations, on a tout simplement laisser pourrir une situation que d’aucuns considèrent aujourd’hui comme difficilement contrôlable tant les Frères Musulmans représentent la plus formidable holding qui soit en matière d’entrisme et de manipulation politique. Réseaux associatifs, universités, influences politiques, présence active sur le Net et dans le monde de la culture, aucun espace ne leur est étranger.
A défaut de pouvoir interdire, une surveillance active des Frères Musulmans s’impose.
Mais entre une opposition d’extrême-gauche qui ne procède que par souci de clientélisme et une opposition d’extrême-droite qui ne jure que par le tout sécuritaire, le gouvernement se doit de la jouer fine. Or, c’est bien là toute la quadrature du cercle.
L’islamisme est un poison qui s’insinue jusque dans les plus petits interstices de la raison
Il profite de toutes les occasions, utilise et l’extrême-gauche et l’extrême-droite. Le combattre est une affaire d’Etat. Quant à l’islam, elle ne doit pas rester en reste dans ce combat citoyen. Pourtant, les appels des imams tels celui de Drancy ou de Bordeaux ne sont pratiquement pas entendus par leurs ouailles, sinon relayés par des intellectuels, lesquels ont l’impression de crier dans le vide. Les banlieues sont devenues des bases-arrières des Frères Musulmans par le truchement de diverses associations de quartier, parfois des cellules dormantes du terrorisme. Crime organisé et islamisme font bon ménage. Une véritable politique de la ville protégeant les citoyens et de l’islamisme et de l’insécurité passe nécessairement par une présence policière voire l’intervention de l’armée7. Entre règlements de compte, police débordée, justice laxiste et intervention de l’armée, le maître-mot reste bien le criant manque de moyens financiers. Bien fort celui qui pourrait aujourd’hui donner une recette pour vaincre le fléau. Reconquête rase gratis en faisant des promesses qui ne mangent pas de pain, LFI agite le foulard pour se voiler la face et cultiver son clientélisme. Notre époque exige une vision pragmatique de la politique. Prendre à droite comme à gauche ce qu’il y a d’utile et de réaliste au service de l’intérêt général et la sécurité de tous.
Michel Dray
Historien
Ancien directeur-Général du Comité de Coopération culturelle Marseille-Provence-Méditerranée
Coordinateur de Zone Libre, lieu d’échange d’idées et de réflexions
- Statistiques de l’INED 2020. Mais il est difficile de cerner exactement ces populations. Ce sont des projections et le résultat de travaux sociologiques. ↩
- On estime à 35 000 français d’origine juive ayant émigré en Israël durant ces cinq dernières années. Emigration due principalement à la montée de l’antisémitisme en France. Actuellement le nombre de franco-israéliens vivant en Israël est estimé à 200 000 âmes, lesquelles ont voté majoritairement pour Reconquête aux dernières élections. ↩
- Ibn Khaldoun écrit dans le Livre des Exemples « Lorsque le vent de la civilisation eut cessé de souffler sur le Maghreb al-andalus, les sciences disparurent sauf chez de rares individus qui se dérobèrent à la surveillance des docteurs de la foi orthodoxe» ↩
- Cité par Antoine Vitkine dans « Mein Kampf, histoire d’un livre » Flammarion 2009. ↩
- Michel Onfray « Penser l’Islam » Grasset 2016. ↩
- Entretien avec l’auteur, revue Passage, février 2021. ↩
- Samia Ghali, alors dans l’opposition l’avait demandé pour Marseille. Elle ne fut suivie ni par les socialistes dont elle est issue ni par Jean Claude Gaudin alors maire de Marseille. Aujourd’hui, devenue première adjointe au Maire, elle n’évoque plus du tout ce sujet. ↩