« Nous avons devant nous 100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France » a déclaré Emmanuel Macron lors de son allocution aux Français. C’est une drôle de chose que de faire référence à l’Histoire lorsqu’on est si peu enclin à vouloir l’écrire.
13 minutes de paroles qui devaient sonner le glas de cette pitoyable séquence sur la réforme des retraites. 13 minutes de verticalité du pouvoir dont on questionne la légitimité chaque jour davantage. 13 minutes pour insuffler une méthode alors que la feuille de route de ce second quinquennat est aux abonnés absents. 13 minutes à assener des généralités comme un candidat à la présidentielle impréparé.
N’est-ce pas culotté de parler d’apaisement alors que plus de 90% des actifs rejettent massivement cette réforme des retraites, que des millions de Français ont battu le pavé, perdu de l’argent et l’espoir d’être entendus ? Alors oui tout est constitutionnel. Le 49.3, le 47.1, les élections qui ont eu lieu et la décision des sages. Oui tout est légal et validé par les connaisseurs, les faiseurs de loi et la bien-pensance élitiste.
C’est cela que nous avons à répondre à ceux qui se privent de manger un repas sur deux ? Qui ne partent pas en vacances ou vivent à découvert et à coup d’agios ? Que c’est légal ? C’est cela que nous avons à répondre à cette classe moyenne qui trinque depuis des décennies, aux aides-soignants, aux caissiers, aux routiers, aux familles monoparentales ou à celles qui ne peuvent pas dire à leurs enfants que demain sera meilleur qu’aujourd’hui ? Que c’est légal ?
Quand on aime les institutions, on en questionne les rouages. Questionner la pratique constitutionnelle ce n’est pas remettre en cause la Constitution ni la République. C’est un jeu dangereux de traiter de factieux et d’extrémistes ceux qui ont à cœur de préserver les libertés publiques, sévèrement dégradées sous votre présidence. La France n’a pas besoin de paternalisme présidentiel qui use de son « abus de droit » sur le Parlement rationnalisé voulu par les mutations de la Vème République.
N’est-ce pas culotté de quémander l’unité alors que le pouvoir exécutif a refusé d’entendre l’intersyndicale, plus que jamais soudée face à cette réforme de casse-sociale ? Oui, écouter et entendre sont deux choses différentes. La politique pardonne peu la non-distinction. Sans compter sur le fait que cette réforme ait été présentée aux Français avant même la réforme du travail, annoncée comme l’un des futurs chantiers. Oui c’est une drôle conception du dialogue social avec les corps intermédiaires qui nous a été offerte. Elle n’est que le prisme du vide idéologique de ce que l’on appelle communément « la macronie ». Celle qui se veut l’apôtre d’une fausse modernité, nourrie par la désintégration des forces politiques traditionnelles etpar le « barrage républicain ». Ledit « front républicain » ayant pris du plomb dans l’aile avec la déconfiture de notre exigence démocratique.
N’est-ce pas culotté de parler d’ambition lorsque le Macron de 2022 contredit le Macron de 2017 ? Que la retraite à points a été abandonnée au profit d’un caprice réformiste, dénué de toute justice et d’équité sociales ? Est-ce ambitieux de porter une réforme à laquelle sa propre majorité, relative, ne croit pas mais défend à coup d’éléments de langage pondus dans les arcanes des ministères ? Et vendue par des porte-paroles ventriloques d’un pouvoir en décrépitude pour qui la communication se veut le rempart inefficace d’une stratégie politique belliqueuse tournée vers l’autoritarisme ?
Non il n’est pas normal qu’un Président de la République fasse peser la charge politique et médiatique de sa réforme impopulaire au Conseil constitutionnel.
La matière constitutionnelle est matière politique, surtout lorsqu’on sait le mode de nomination de ses membres. Le droit s’interprète et c’est ce qui le rend beau. Il y a autant de points de vue que de constitutionnalistes. Mais qui peut dire aujourd’hui sans sourciller que ce qui constitutionnel est forcément démocratique ? Personne.
Non, il n’est pas normal de placer la police entre soi et les Français. De réfuter toute critique relative au maintien de l’ordre et aux arrestations arbitraires. Non Monsieur le Président, on ne peut pas cautionner que vous usiez des outils et des symboles de la République à dessein, dans une logique du « moi ou le chaos ». L’Europe nous regarde, le Monde nous regarde. La honte nous serre la poitrine. Que valent quelques poubelles brûlées à côté du désarroi et de la violence symbolique, à côté de la peur qui nourrit chaque levé et chaque couché ? Je vois comme vous la violence prendre une à une les veines du corps malade de notre République mais je vois aussi la flagornerie dont vous faites preuve à l’égard de l’extrême-droite que vous dites combattre. Cette impertinence, vous en usez en oubliant les millions d’électeurs qui ont voté pour vous la rage au ventre de dégoût.
Oui aujourd’hui comme beaucoup de Français je m’inquiète de votre inaction et de votre illibéralisme. Si nous n’avons pas le monopole du cœur, sachez que le vôtre est laid.
Oui comme beaucoup de Français j’essaie de trouver des réponses dans l’Histoire pour me rassurer tout en comprenant que cette page qui s’écrit sous nos yeux est vierge de toute réponse car vous refusez chaque main tendue, chaque proposition de l’opposition.
Oui comme beaucoup de Français, je pense à ces 100 jours qui nous attendent, à Waterloo, à Chateaubriand ou encore à Montesquieu. Nous sommes loin de l’Esprit des lois. En avez-vous seulement conscience ?
Aujourd’hui j’ai la rate au court-bouillon. La poésie nous permet de rêver. Mais combien de temps encore ?
Laetitia Gaubert