La démographie est aujourd’hui une forme d’angle mort de la pensée économique et sociale. L’imaginaire collectif des quelques décennies qui viennent de s’écouler s’est structuré autour de deux idées : la montée inexorable de la population mondiale et l’augmentation de l’espérance de vie qui fait vieillir la population.
Ce n’est que partiellement vrai, et cela nous fait passer à côté du phénomène principal qui va restructurer le fameux « monde d’après » au moins autant que la transition écologique : l’effondrement démographique qui s’annonce.
La transition démographique, logiciel unique à l’œuvre
Les démographes de la première moitié du vingtième siècle avaient mis en évidence une sorte de logiciel unique à l’œuvre dans les populations humaines : la transition démographique.
Pendant longtemps, les humains ont eu à la fois un taux de mortalité et un taux de fécondité très forts. Il s’agit des deux faces de la même question : quand on meurt beaucoup, le réflexe humain fondamental est de faire aussi beaucoup d’enfants pour compenser. La population n’évolue alors que très lentement.
La transition démographique vient avec le développement économique, en deux phases :
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D’abord, avec les progrès de l’hygiène, de la médecine, de la nutrition, la mortalité baisse rapidement, mais les réflexes de fécondité perdurent. C’est l’explosion démographique,
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Ensuite, c’est la seconde phase, le taux de fécondité décroît, la baisse de la mortalité commence à être intégrée dans les comportements natalistes. La population augmente toujours mais dans de moindres proportions
Où en sommes-nous de cette transition ?
Elle a été initiée à partir de la fin du 18ème siècle, en France d’abord, puis dans les autres pays européens, puis successivement partout dans le monde, le Niger étant le dernier à y être entré, en 2015.
Ceci s’est traduit par un décuplement de la population mondiale, de 800 millions en 1800 à 7,8 milliards en 2020. Si l’on revient à l’échelle d’une ou deux générations, par exemple depuis 1950, la population a triplé. Les humains ont pu observer ce phénomène dans leur quotidien, voir les limites des villes et des villages être sans cesse repoussées, faire l’expérience des foules asiatiques… La planète est désormais pensée par chacun sur le mode d’un accroissement continu, inexorable. Pourtant, nous sommes à l’avant-veille d’une bascule dans l’autre sens : c’est la surprise de la post transition démographique.
La post transition démographique, l’invité surprise
La troisième phase devait être de la stabilisation, avec une situation inverse de celle du départ, taux de natalité et taux de mortalité également faibles.
Or, la grande surprise, constatée depuis quelques décennies, est que la fin de la transition démographique ne se traduit pas par une stabilisation, mais par ce qu’on appelle la post transition démographique : la natalité descend à un niveau qui ne permet plus le renouvellement des populations.
Il faut une fécondité de 2 enfants par femme pour qu’une population se maintienne, un couple reproduit un autre couple. Or, aujourd’hui, la moitié des habitants de la planète vit dans des pays où ce taux est descendu au-dessous de 2, et l’autre moitié va y parvenir dans quelques dizaines d’années.
Concrètement, cela signifie que nous assistons à un double mouvement :
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La natalité s’effondre partout, sauf en Afrique,
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Pendant un temps, cette chute du nombre de jeunes va être partiellement masquée par l’accroissement du nombre des personnes âgées
Le résultat ? Dans quelques décennies -l’horizon est différent selon les pays- la population en valeur absolue va baisser dans les pays développés, qui vont revenir à leur population des années 70, puis des années 30, parfois du 19ème siècle.
Si on prend quelques exemples :
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L’Italie va passer de 60 millions d’habitants à 40 millions dans les estimations moyennes de l’ONU et… 27 millions dans les estimations basses, soit sa population de 1860
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L’Europe qui avait, en 1950, 144 millions de jeunes de moins de 15 ans, n’en a plus que 120 et devrait passer à 90 en 2100 dans les estimations moyennes, et 40 dans les estimations basses. C’est à peu près une division par deux, donc, en projection, une évolution comparable pour l’ensemble de la population…
Cette autre civilisation qui vient
C’est ainsi une toute autre civilisation qui se dessine, avec des populations dans lesquelles 4 personnes sur 10 auront plus de 60 ans, et des jeunes couples qui font de moins en moins d’enfants… Il s’agit d’une autre façon d’être au monde, d’une autre ontologie, qui reste à penser : façon d’investir le présent, rapport au futur, dynamique de l’innovation… tout ce qui a fabriqué nos sociétés post modernes va être questionné.
Ce n’est pas la même chose que d’avoir 20 ans ou d’en avoir 60. La tension vers le futur n’est pas la même, et cela va changer notre façon de vivre, de réfléchir, d’aimer… Il y a là un champ d’investigation immense pour les sciences humaines.
Dominique Boulbès
Président du Groupe d’Indépendance Royale