2023 aura été l’année la plus chaude depuis l’ère préindustrielle. Elle aura aussi battu les records de consommation de charbon, de pétrole et de gaz.
Au début du siècle, les énergies fossiles représentaient 87 % du mix énergétique mondial ; en 2022 elles comptaient toujours pour 82 %. Ces énergies fossiles à qui nous devons deux siècles d’incroyable développement humain sont-elles devenues notre malédiction ?
Huit ans après l’Accord de Paris, l’Humanité persiste dans sa schizophrénie climatique. Nous avons identifié l’influence humaine dans le réchauffement actuel du climat, mais nous restons fidèles aux fossiles qui y participent. A qui la faute ?
Contrairement aux explications naïves de certains pointant du doigt la responsabilité de quelques lobbies industriels, le blocage est bien plus profond. Il réside dans la forte corrélation entre énergie en général, énergies fossiles en particulier et développement humain. Le citoyen OCDE est prêt à s’impliquer pour climat, mais sans renoncer à son niveau de vie.
Le citoyen des pays émergents est prêt à s’impliquer pour le climat, mais souhaite d’abord accroître son niveau de vie.
Notre problème n’est pas seulement de baisser nos émissions : nous devons le faire sans pour autant sacrifier le développement humain. Et là est la quadrature du cercle !
Stratégie mondiale et Accord de Paris
Depuis le début du siècle, la consommation mondiale d’énergie s’est accrue de 52 % tandis que la part des énergies fossiles n’a que très faiblement baissé passant de 86 % à 82 %. En conséquence, les émissions ont continué de croitre significativement surtout dans les pays émergents pour qui la poursuite du développement reste une priorité. L’équation croissance/énergie/climat reste donc la clé d’une transition énergétique réussie.
Préserver le développement humain dans les pays riches et le déployer dans les pays pauvres repose sur deux piliers : un catalyseur technologique et un aliment énergétique.
Toute politique a-technologique et sobriétiste (réduire autoritairement et de façon excessive la consommation d’énergie) se traduira par une régression rapide du niveau de développement confirmant l’impasse de toute tentation décroissantiste.
Tandis que la moyenne des pays émergents gravite autour de 15 MWh/hab, l’accession à un niveau correct de développement[i],[ii] requiert un minimum de 28 MWh/hab. Si le Français reste raisonnable (40 MWh/hab), pour des niveaux de développement équivalents, l’Australien (70 MWh/hab) et l’Américain (80 MWh/an) consomment le double de l’Hexagonal. Notre société de croissance est donc loin d’être optimisée quant à sa consommation d’énergie.
Toutefois les pays émergents représentant aujourd’hui 84 % de la population mondiale[iii], la baisse de la consommation dans les pays de l’OCDE ne pourra compenser l’accroissement de la consommation des pays émergents souhaitant légitimement poursuivre leur développement. En conséquence, la consommation mondiale d’énergie devrait s’accroitre de 30% d’ici 2050.
Côté émissions, satisfaire les Accords de Paris[1] demanderait à chaque terrien de réduire ses émissions à 2 tCO2, soit la valeur actuelle…des pays africains les plus pauvres. Cet objectif[iv] réclamerait au citoyen Français des actions héroïques (devenir végétarien, ne plus prendre l’avion, ne plus utiliser de voiture thermique, changer sporadiquement de vêtements) ainsi que des investissements individuels (élimination de chaudières thermiques, achat de voiture électrique) et collectifs (décarbonation du tertiaire, de l’industrie, de l’agriculture, du fret, des services publics) démesurés. Investissements ruineux couplés à l’arrêt de nombreuses activités économiques non-essentielles (tourisme, construction automobile, transport aérien, activités agro-alimentaires), satisfaire les Accords de Paris à marche forcée plongerait les pays de l’OCDE dans une récession structurelle synonyme de pauvreté et de troubles sociaux.
Le scénario STEP de l’AIE[v] (poursuite des politiques actuelles) nous amène au scénario SSP2–4,5 du GIEC correspondant à un réchauffement moyen de 2,7° à l’horizon 2100. Si une décarbonation à marche forcée des pays de l’OCDE ne change pas fondamentalement la situation, en revanche une décarbonation très rapide des pays émergents permettrait de se rapprocher des Accords de Paris. Selon l’économiste britannique Nicholas Stern[vi], un tel scénario nécessiterait un transfert massif de 2500 G$/an des pays OCDE (soit l’équivalent de 4% du PIB) vers les émergents. Schéma irréalisable qui plongerait inexorablement les pays développés en récession structurelle.
D’autant que l’évolution géopolitique évolue elle aussi à contresens. La chute de l’Union Soviétique avait sonné le glas du monde bipolaire de la guerre froide et avait donné l’espoir quant à l’émergence d’un monde multilatéraliste reposant sur le modèle occidental. A la suite d’une cascade d’événements[2], cette perspective a progressivement volé en éclat et un nouvel ordre mondial tripolaire BRICS/US/Europe a émergé.
Ce changement de paradigme associé à une équation démographique quasi-insoluble rend aujourd’hui caduque l’Accord de Paris.
Un constat implacable partagé par de nombreux décideurs[vii] et implicitement reconnu par la Chine[viii] et l’Inde[ix] annonçant au mieux une neutralité carbone entre 2060 et 2070.
Rien ne sert de s’y accrocher désespérément comme le font COP après COP les pays européens et de nombreuses ONGs environnementalistes. Cette situation fausse le débat, démoralise les forces vives (citoyens, entreprises, pouvoirs publics) et freine nombre d’actions positives nécessaires à la lutte contre le réchauffement. D’objectifs ambitieux résultent toujours motivation et dépassement de soi, d’objectifs irréalisables découragement, inertie et immobilisme. Il est donc indispensable de revoir au plus vite et en profondeur cet Accord afin de proposer au Nouveau Monde un planning réaliste à la fois sur les plans technique, économique et sociétal. 2024 pourrait être une année décisive dans le cas d’une double victoire des conservateurs au suffrage européen de juin et aux élections américaines de novembre 2024.
Le Pacte Vert européen
Présenté par la Commission en décembre 2019 puis gravé dans la loi Climat en juin 2021, le Pacte Vert[x] (Green Deal dans sa version anglophone) a l’ambition de faire de l’Europe un continent neutre en carbone à l’horizon 2050. Pour ce faire, chaque nation européenne est tenue de réduire d’ici 2030 ses émissions de 55 % par rapport aux niveaux de 1990. Pour atteindre cet objectif, le Pacte Vert mobilise l’ensemble des forces vives (recherche, industrie, énergie) capables d’atténuer le réchauffement et renforce les politiques d’adaptation.
Le Pacte Vert est un incorrigible agenda inversé. Rappelons que le texte initial de 2019 ciblait 40 % mais que l’objectif a été relevé à 55% en 2021. Depuis 1990 les émissions européennes se sont réduites de 30 %. Pratiquement stables jusqu’en 2010, la réduction s’est amorcée à un rythme moyen de 1,5 % par an. Prolonger ce rythme jusqu’en 2030 nous conduirait à une réduction de 40 % en accord avec la cible initiale mais 15 points en dessous de la cible actuelle. Pour atteindre les 55 %, le rythme annuel de réduction devrait passer à 5 %/an.
Un objectif irréaliste surtout si l’Europe souhaite se réindustrialiser.
L’Europe devrait donc rapidement revenir à l’objectif des 40 %. Et pourtant l’UE semble vouloir encore durcir les objectifs en annonçant maintenant une réduction de 90 % à l’horizon 2040.
Le Pacte Vert est-il juste ?
La règle des 55 % ignore d’une part la démographie (entre 1990 et 2022 la population Française s’est accrue de 11 Mhab contre 6 pour l’Allemagne et 2 pour l’Italie) mais surtout elle considère de façon homogène les émissions 1990 alors qu’à cette époque le Français, grâce à son nucléaire, émettait déjà deux fois moins que l’Allemand.
En conséquence, on demande au Français de réduire ses émissions individuelles 2030 à 3,5 tCO2/an alors que l’Allemand sera toujours autorisé à émettre 6,8 tCO2/an. Ce dernier est donc récompensé de ses émissions passées tandis qu’on réclame au Français d’énormes efforts marginaux de sobriété dans les transports, l’habitat et l’industrie.
L’Union européenne doit impérativement revoir sa stratégie et proposer une règle plus juste en imposant à chaque membre une cible identique d’émissions moyennes par habitant.
Avec cette règle plus juste, contrairement à l’Allemagne, la France aurait déjà atteint sa cible.
Le Pacte Vert est-il soutenable ?
Le rapport Pisani-Ferry[xi] publié par France Stratégie en juin 2023 a estimé le coût économique et sociétal du Pacte Vert pour la France à 66 milliards d’euros par an soit environ 2,2% de PIB. Satisfaire le Pacte Vert européen demandera des investissements non seulement colossaux mais surtout faiblement productifs. Ainsi, hormis la main d’œuvre liée à la rénovation du bâtiment, 60 % à 70% des équipements verts seront importés de Chine.
Selon France Stratégies, le Pacte Vert ne pourra se faire qu’au prix d’une forte augmentation de la dette (+25% en 2040), du déficit de la balance commerciale et de l’accroissement de la fiscalité notamment via la mise en œuvre d’une ISF climatique.
Une étude récente[xii] de l’I4CE[3] alerte quant au coût insoutenable de cette transition forcée. Accéder au graal des 55% coûtera à chaque ménage français plus de 100 000 € soit 2,5 années de revenus d’un ménage situé dans le neuvième décile. L’étude pointe également l’insuffisance des aides publiques avec un reste à charge minimum de 50% pour les plus modestes. Ce constat débouche sur une conclusion implacable : la transition énergétique demeure trop coûteuse pour les classes populaires et moyennes[xiii].
Le Pacte Vert est-il utile ?
Les émissions de GES et le réchauffement climatique qui en découle étant des phénomènes globaux indépendants du lieu d’émission, des approches nationales voire régionales resteront peu efficaces si elles ne s’intègrent pas dans une politique mondiale. A l’horizon 2030, les émissions mondiales totales (incluant les émissions industrielles, l’agriculture et la déforestation) devraient frôler les 60 GtC02. Accélérer les politiques aujourd’hui engagées pour baisser les émissions européennes de 55% (au lieu de 40%) n’aura qu’une incidence marginale sur le réchauffement. Dans cet océan de CO2 émergent, la réduction des émissions françaises conséquentes au Pacte vert se réduit à un filet à peine visible !
Conclusion
Le Pacte Vert Européen devrait être qualifié de « Pacte des 4i » : irréaliste, injuste, insoutenable et inutile. A court et moyen terme, il en résultera un accroissement significatif des prix à la consommation imposant la sobriété surtout aux plus démunis. Pour au moins deux décennies, il sera générateur de davantage de pauvreté. Pour des raisons de justice sociale, les prix ne pouvant à eux seuls commander la sobriété, l’Etat devra l’imposer par la contrainte. Reconnaissons l’extrême difficulté d’une telle démarche dont les principaux gains se feront au profit des générations futures et non des générations courantes.
Justifier le Pacte Vert, nécessite de quitter la logique climatique et de transposer le problème sur le terrain moral : montrer l’exemple aux autres en espérant qu’ils nous suivent mais aussi racheter sous forme d’indulgences nos émissions passées en conformité avec la morale kantienne.
En d’autres termes le Pacte Vert est un projet purement moral demandant au Vieux Continent de se suicider sur l’« autel de la vertu ».
Pour autant, décarboner l’économie doit rester un objectif stratégique fondamental. Tant au niveau européen (Green Deal) qu’au niveau mondial (Accord de Paris), ce n’est pas l’objectif qui est critiquable en soi mais le rythme pour y arriver. Par ailleurs et au-delà de l’objectif climatique, décarboner en sortant notamment du charbon le plus rapidement possible est aussi un objectif sanitaire majeur, le charbon ayant un effet désastreux sur la santé des habitants. Pour l’Union Européenne, s’affranchir des énergies fossiles correspond aussi à un objectif de souveraineté énergétique.
S’il existe aujourd’hui un consensus scientifique sur l’origine essentiellement anthropique du réchauffement, les incertitudes ne justifient pas d’un changement radical de société qui conduirait à une paupérisation générale dont les plus démunis seraient les premières victimes. S’il faut lutter efficacement contre la surconsommation et les gaspillages énergétiques, la création de richesses reste un préalable permettant de conjuguer développement humain et lutte contre le réchauffement grâce à des mesures pertinentes d’atténuation et d’adaptation. C’est sur une approche bénéfice-risque et non sur un discours anxiogène d’urgence climatique absolue s’abritant derrière le principe de précaution que doivent reposer les futures politiques publiques.
Philippe Charlez, François Henimann, Pierre Coindreau et Vincent Houard
Institut Sapiens
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[1] Ces 2 tCO2 en 2050 sont nécessaires pour maintenir la température entre 1,5° et 2° en 2100
[2] Twin Towers, crises des subprimes, printemps Arabe, guerre en Syrie contre l’État islamique, accession de Xi Jinping et Donald Trump à la présidence de la Chine et des États-Unis, occupation de la Crimée puis invasion de l’Ukraine par la Russie
[3] Institut de l’économie pour le climat
[i] https://ef4india.wordpress.com/tag/human-development-index/
[ii] https://hdr.undp.org/content/energising-human-development
[iii] https://population.un.org/wpp/Download/Standard/Fertility/
[iv] https://www.carbone4.com/publication-faire-sa-part
[v] https://www.iea.org/reports/world-energy-outlook-2021/scenario-trajectories-and-temperature-outcomes
[vi] https://www.latribune.fr/economie/international/les-pays-du-sud-doivent-trouver-2-400-milliards-de-dollars-par-an-pour-financer-leur-action-climatique-939865.html
[vii] https://www.lopinion.fr/economie/les-verites-de-lincroyable-patrick-pouyanne
[viii] https://www.lemonde.fr/climat/article/2020/09/24/la-chine-surprend-en-s-engageant-a-atteindre-la-neutralite-carbone-d-ici-a-2060_6053402_1652612.html
[ix] https://www.latribune.fr/climat/energie-environnement/climat-l-inde-est-encore-loin-d-atteindre-ses-objectifs-en-matiere-de-mix-energetique-978498.html.
[x] https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/climate-change/#:~:text=En%20juin%202021%2C%20le%20Conseil,et%20%C3%A0%20l’horizon%202050.
[xi] https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/2023-incidences-economiques-rapport-pisani-5juin.pdf
[xii] https://www.i4ce.org/publication/transition-est-elle-accessible-a-tous-les-menages-climat/
[xiii] https://www.lopinion.fr/economie/pour-eviter-le-retour-des-gilets-jaunes-il-va-encore-falloir-faire-de-gros-cheques