A l’heure où nous écrivons ces lignes, notre camarade et frère le président Mohamed Bazoum demeure pris en otage, aux mains du militaire qui était censé assurer sa sécurité et d’un groupe armé décidé à s’approprier une fonction qui n’est pas de son ressort.
La situation personnelle du chef de l’État du Niger nous inquiète et nous chagrine profondément, tant elle apparait chaque jour un peu plus précaire. Notre inquiétude est à la fois d’ordre personnel, en raison du lien qui nous unit. Elle est aussi politique.
Cette tentative de coup d’état ébranle les fondements de la jeune démocratie nigérienne. Au-delà de ce pays frère, elle contribue une fois encore à fragiliser notre région ouest-africaine.
Les plus superstitieux d’entre nous pourraient y voir une forme de fatalité. Nous préférons parler d’une pathologie qui, comme toute maladie, se guérit, à la condition d’administrer les bons remèdes.
Tous les putschs ne se ressemblent pas, même s’ils s’inscrivent souvent dans un contexte d’échec de gouvernance et de ressentiment des populations.
Au Sahel, ils sont également la conséquence de l’incapacité des États et de leurs alliés internationaux à endiguer le terrorisme. Mais quelles que soient les difficultés que traversait le Niger, le contexte est ici différent. Le président Bazoum, démocratiquement élu il y a deux ans, engrangeait des résultats sur le plan sécuritaire et posait des actes forts en termes de gouvernance, faisant notamment de l’éducation des jeunes filles la pierre angulaire du développement. En définitive, nous savons bien que tous ces sujets sont intimement liés. L’insécurité prospère sur le sentiment d’abandon des populations et sur la déliquescence de l’État. Et sur ces points, les militaires ne sont structurellement pas les mieux placés pour répondre aux attentes des populations.
A Niamey, le putsch est d’un effrayant anachronisme. Des ressentiments personnels sont à l’origine de la déstabilisation des institutions de la République.
Dans nos pays, la volonté d’un président démocratiquement élu de remplacer le chef de sa garde présidentielle, peut ainsi avoir comme conséquence son renversement par un coup d’État.
On peut en quelque sorte parler de putsch pour convenance personnelle !
Tous les putschs ne se ressemblent pas mais ils ont en commun de s’alimenter les uns les autres, de donner une forme de crédit à la théorie bien connue des dominos et de conforter une régression démocratique générale sur notre continent.
Face à cette dérive, nos institutions panafricaines et régionales apparaissent souvent dans l’incapacité de trouver la réaction adaptée. Le nécessaire droit, et peut-être même devoir d’ingérence démocratique, se heurte à la souveraineté des États. Il bute parfois sur la bienveillance d’une partie de la population envers des militaires putschistes qui se posent en défenseurs de l’intérêt vrai de peuples prétendument trahis par les civils au pouvoir.
Au Niger, la CEDEAO semble enfin décidée à rompre cette logique mortifère d’un attentisme absurde, rythmé par des communiqués qui n’intéressent pas grand monde.
Elle semble prendre enfin ses responsabilités, sous l’impulsion des grandes puissances régionales, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, mais également un Nigeria décidé à assumer une forme de leadership.
Nous soutenons avec force la position d’extrême fermeté exprimée par le président Ouattara. Comme lui, nous avons la certitude que la main de la CEDEAO ne doit pas trembler.
Il y va de la crédibilité de cette institution. Il y va aussi de l’affermissement de principes dont elle est porteuse, à commencer par la démocratie prévue par notre charte africaine. Nous espérons de toutes nos forces que la médiation triomphera mais nous soutiendrions toute initiative de la CEDEAO si la médiation venait à échouer. On ne peut être tenu responsable de l’échec d’une négociation avec une partie qui la refuserait.
Au-delà des intentions et des proclamations, nous devons nous interroger sur la relation que les Africains entretiennent avec l’état de droit.
Notre difficulté à définir une riposte adaptée trouve en réalité son origine dans notre incapacité à nous approprier la démocratie.
Le problème semble avant tout culturel, même si ses conséquences sont politiques et institutionnelles.
Nous ne considérons pas suffisamment la démocratie comme une valeur africaine, une valeur sacrée que nous devons à ce titre honorer et faire respecter. Notre conception de la vie politique découle de cette absence d’appropriation.
Elle est entachée par des agressions diverses aux règles de base d’une vie politique véritablement républicaine. Les tripatouillages institutionnels, les trucages électoraux, les manipulations des urnes, les entorses aux règles de droit contribuent à discréditer nos systèmes politiques et à fragiliser le concept même d’un idéal démocratique.
Ces déviations nourrissent le discours de forces réactionnaires qui continuent d’exister en Afrique. Elles se saisissent du moindre prétexte, de la première opportunité pour ramener notre continent en arrière dans un système monolithique rétrograde. Ce retour d’un naturel ancestral doit à tout prix être combattu.
Nous devons savoir imposer une nouvelle culture dominante. Nous devons nous attacher à ancrer l’idéal démocratique dans les cœurs, dans les consciences et dans nos réalités. La réaction de la CEDEAO présente à cet égard une portée historique.
Face à cette terrible tentation du retour en arrière, certains de nos États résistent évidemment mieux que d’autres. Des pays sont plus fragiles, héritiers malheureux d’une forme de culture du putsch. Le Niger est incontestablement l’un d’eux.
Les plus fragiles s’inscrivent dans une tradition historique et les autorités dites de transition apparaissent alors comme des reliques de la pensée du parti unique, pensée intrinsèquement dictatoriale.
Leur histoire personnelle les conduit naturellement à se détacher de l’Occident et à se rapprocher de Moscou. Les partis politiques sont tolérés à défaut d’être acceptés et leur espace d’expression est réduit à la portion congrue. Les militaires s’imposent comme des acteurs politiques à part entière, détenteurs d’une légitimité de fait et d’un contrat qu’ils s’octroieraient eux-mêmes pour une durée indéterminée.
L’Afrique traverse peut-être un parcours classique, subi avant elle par d’autres peuples, fait d’un va et vient entre différents modèles. L’Europe n’a-t-elle pas été confrontée à des régimes dictatoriaux qui entrecoupaient des moments de démocratie ?
Au regard de l’histoire, la stabilisation démocratique apparait comme un phénomène somme toute relativement récent en Occident. Cette réalité historique ne doit pas pour autant conduire notre continent à faire preuve de tolérance ou de complaisance.
Parce-que la démocratie est dorénavant solidement implantée sous la plupart des latitudes, elle doit être chez nous un combat de chaque instant. Nous ne devons tolérer aucune entorse aux droits humains, aucune entrave au pluralisme politique, aucun contretemps. Nous devons savoir utiliser tous les moyens à notre disposition. Nous devons savoir qu’en la matière l’impatience est une qualité.
L’histoire du monde est celle de la construction de la démocratie. Parce-que nous sommes de plein pied dans l’histoire, notre droit à la démocratie est total et imprescriptible.
Chacun d’entre nous doit se reconnaitre dans ce combat. Les opposants nigériens qui imagineraient en une transition militaire une opportunité d’accession rapide au pouvoir ou de règlement de comptes avec le PNDS, commettraient une dramatique erreur. Ce qui se joue au Niger ne relève pas de la problématique partisane. Nous sommes au Niger dans l’un de ces moments où l’histoire peut basculer entre le sursaut démocratique et la régression autoritariste. Tous les partis attachés à la consolidation de nos démocraties doivent s’impliquer dans ce combat, sauf à subir un recul dont aucun ne sortirait gagnant. L’enjeu est celui-là et nul autre. A Niger, la victoire du droit est donc notre seule option. Pour le Niger bien sûr mais aussi pour l’Afrique !
Pascal Affi N’Guessan
Ancien Premier Ministre de Côte d’Ivoire
Président du Front Populaire Ivoirien