Eu égard à la forte dégradation des comptes publics, le Gouvernement, dans la Loi de finances pour 2025, prévoit un effort d’ampleur pour les redresser. Et les crédits alloués à l’Aide publique au développement (APD) n’échappent pas à ce mouvement général. Bien que la dette abyssale de 6,1 % du produit intérieur brut (PIB) impose au Gouvernement de revoir ses priorités et de diminuer la plupart des missions, il faut déplorer la baisse drastique des crédits alloués à l’APD : un peu moins de 30 %, soit la plus forte baisse de tous les crédits.
Cette baisse inédite du budget de l’APD sape tous les efforts que la France a entrepris pour répondre à l’objectif fixé en 1970 de 0,7 % de son revenu national brut (RNB). Cette trajectoire baissière remet en cause les engagements internationaux de la France et l’affirmation du président de la République selon laquelle l’Afrique est depuis 2017 une priorité présidentielle. Ce choix du Gouvernement français trahit aussi la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales ; loi, travaillée pendant 3 années et votée à l’unanimité le 4 août 2021 (loi n° 2021-1031) par les parlementaires. Loi historique avions nous dit !
On pourrait croire que certains décrédibilisent la raison de l’APD pour justifier la coupe considérable de ses crédits.
L’aide publique au développement ce serait la charité, et comment faire charité alors que nombre de nos concitoyens peinent à joindre les deux bouts. Cette aide serait de surcroît un outil inefficace et illisible de notre politique de développement.
Certains vont même jusqu’à vouloir la remettre en cause en voulant l’ériger en arme de pression, de dissuasion, contre les Etats non coopératifs dans la lutte contre l’immigration illégale.
Certains pointent encore l’insuffisance des retombées économiques pour nos entreprises françaises. Elles ne remporteraient pas assez d’appels d’offres.
Remettons l’église au milieu du village !
L’APD, ce n’est pas la charité ! Bien au contraire, ce sont des investissements solidaires. Investissements solidaires, oui pour une politique de solidarité internationale permettant de lutter, non seulement contre la pauvreté et les inégalités mondiales ; mais aussi, pour répondre dans ce monde que nous avons en commun aux défis universels et contemporains tels que le changement climatique, l’avenir de la jeunesse, ou encore la santé mondiale.
C’est un outil « diplomatique » au service du rayonnement de la France dans le monde, complémentaire à l’action du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, qui permet de créer des partenariats ; et je l’espère dans un avenir très proche, d’égal à égal. Et oui, les investissements solidaires servent indiscutablement les intérêts stratégiques de la France.
Parlons donc d’investissements solidaires et durables au lieu d’enfermer l’APD dans une vision misérabiliste, unilatérale, selon laquelle la France n’a rien à gagner.
Certains mettent en exergue que conditionner l’APD au taux de délivrance des laissez-passer consulaires, documents indispensables à l’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), serait une arme redoutable pour inciter les pays « non ou pas assez coopératifs » en matière migratoire.
Quelle fausse bonne idée !
Il faut en effet regarder l’immigration en face, sans déni, sans surenchère. Cependant, ce n’est pas en mettant la pression sur l’APD que les pays concernés coopéreront plus quant aux laissez-passer consulaires. De même, il est irresponsable, voire criminel, de vouloir interdire les transferts d’argent des diasporas et notamment des diasporas africaines.
Ces transferts, investissements privés, sont reconnus par les pays occidentaux comme africains comme un outil indispensable à la croissance des économies africaines.
D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’objectif de développement durable n°10 de l’Organisation des Nations-Unis donne comme objectif à horizon 2030 des coûts de transferts à moins de 5 %. Il est de surcroît antinomique de vouloir réduire l’immigration qu’elle soit illégale ou légale, et dans le même temps, de revoir sensiblement et brutalement la baisse de nos engagements en matière de politique partenariale avec l’Afrique. Les gens oui, ne quittent pas leurs pays de gaîté de cœur. Moi, la fille dont le père, originaire de Tiguéré-Ciré, l’un des villages les plus pauvres du Sénégal, situé à la frontière mauritanienne, venu seulement travailler en France comme docker, puis chauffeur de bus pendant quarante ans, le sais.
Cette baisse des crédits n’est de surcroît pas sans conséquence sur le budget de l’Agence française de développement (AFD) : 50 % de budget en moins !
Cela est d’autant plus regrettable que l’AFD, l’opérateur de notre politique de développement et outil de politique publique, utilise les deniers publics avec parcimonie et efficacité. En effet, alors que l’AFD reçoit un tiers des crédits alloués à la mission « Aide publique au développement » ; soit 2 milliards d’euros, ces crédits, complétés par des ressources de marché, lui permettent de multiplier par six son financement annuel au titre de la politique de développement ; soit 12 milliards d’euros. Par ailleurs, les cofinancements de ses partenaires lui permettent d’atteindre 25 milliards d’euros de financements.
Ainsi, pour 1 euro du contribuable, 12 euros sont finalement investis par l’agence.
Cette baisse affectera considérablement l’activité de l’AFD en ce qu’elle n’aura d’autre choix que de placer « son curseur » vers les prêts. Ainsi, à très court terme, certains projets déjà engagés seront remis en cause alors que l’impact des réalisations de l’AFD sur les différents terrains n’est plus à démontrer. Ajoutons à cela que les prêts prendront l’ascendant sur les dons alors que la loi de 2021 prévoit notamment que pour les aides bilatérales, les dons doivent représenter 65 % et les prêts 35 %. Dès lors, la baisse des crédits conduira inéluctablement l’AFD à faire moins dans les pays les moins avancés et en crise, et à développer son activité de prêteurs. Ainsi, les pays qui pourront s’endetter le feront. Les autres, plus vulnérables, seront les plus sanctionnés en ce qu’ils n’ont déjà pas la capacité d’aller vers les prêts et que certains de leurs projets ne verront jamais le jour.
Certains pointent, à tort, la multiplication des partenariats et des projets de cofinancement et l’insuffisance des retombées économiques pour nos entreprises françaises. Or, ces dernières remportent plus de 50 % des marchés financés par l’AFD.
Partant, le co-financement est une opportunité pour nos entreprises en ce qui leur permet d’avoir accès à une masse financière de contrats beaucoup plus importantes.
En somme, à l’instar de l’ensemble des crédits, il est tout à fait légitime que les crédits de l’APD subissent « une coupe ». En revanche celle-ci est trop forte et brutale. Ce mouvement de baisse, je le crois, est irréversible. Dans un premier temps, pour le budget 2025, la France devrait rétablir les taxes sur les transactions financières et les billets d’avion et ; le cas échéant, les aligner sur le taux appliqué par le Royaume-Uni : soit 0,5 % afin de les affecter au Fonds de solidarité pour le développement. Dans un second temps, la France doit s’efforcer de définir un véritable cadre juridique pour encadrer et encourager les transferts d’argent. Elle doit, sous le pilotage de l’AFD, poursuivre ses efforts pour multiplier les partenariats publics-privés au service, non seulement de la solidarité et du développement internationaux ; mais aussi pour maintenir sa crédibilité, sa compétitivité et son rayonnement dans le monde.
Sira Sylla
Avocate