La guerre en Ukraine depuis le 24 février 2022, la guerre entre Israël et le Hamas engagée au lendemain des attaques terroristes du 7 octobre 2023, les tensions en Mer de Chine et autour de la péninsule coréenne, l’action de la République islamique iranienne, doublé d’un engagement de groupes armés non étatiques contre Israël le 14 avril 2024, autant de faits majeurs qui contribuent à replacer la problématique de la dissuasion et de la prolifération nucléaire dans le cœur du débat international.
Qu’en est-il de l’Amérique latine où la question nucléaire militaire est à la fois taboue, renvoyant au passé de la guerre froide1 mais également perçue comme l’incarnation d’une souveraineté suprême ? C’est la place de ce continent dans un environnement international sous tensions qui est posée : après avoir donné le sentiment d’être un espace oublié2 pendant la crise de la Covid 19, l’Amérique latine a essayé de maintenir une forme de neutralité sur la guerre en Ukraine avant de s’enflammer depuis le déclenchement du conflit entre Israël et le Hamas faisant apparaître des fractures politiques annonçant des positionnements géopolitiques divergents. Ces derniers peuvent, alors que les tensions actuelles font apparaître l’émergence d’une nouvelle guerre idéologique, conduire plusieurs pays à non seulement rechercher une protection offerte par des puissances globales proposant un cadre de sécurité antagonistes, mais également ouvrir un débat avant tout politique, sur la question nucléaire sur le continent.
A première vue, le débat n’existe plus depuis l’adoption et l’entrée en vigueur du Traité de Tlatelolco3 le 22 avril 1968. L’Amérique latine est devenue une zone exempte d’armes nucléaires. L’accord, signé le 14 février 1967 par tous les pays latino-américains et de la région des Caraïbes à conduit « les Etats membres à interdire et à rendre impossible sur leurs territoires respectifs, l’essai, l’emploi, la fabrication, la production ou l’acquisition, par quelque moyen que ce soit et sous quelque forme que ce soit, de toute arme nucléaire ».
Le sujet était clos. Il succédait à l’épisode de la crise des missiles d’octobre 19624 qui illustrait le danger nucléaire ultime. Les termes récurrents utilisés actuellement, tels « escalade », « ambiguïté stratégique », « armements tactiques ou stratégiques », « destruction mutuelle assurée », ne sont en rien des concepts inconnus des Etats latino-américains. Ils renvoient à la crise de 1962 et au danger de basculement dans un conflit nucléaire que le Président John Fitzgerald Kennedy et le 1er secrétaire Nikita Krouchtchev parvenaient à enrayer. Cuba avait conduit les deux Grands du système bipolaire Est-Ouest dans un rapport de force direct. La question nucléaire à but militaire s’est cristallisée dans un immobilisme chronique depuis 1968, grâce au Traité de Tlatelolco, doublé de l’adoption du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)5.
La chute du mur de Berlin n’avait en rien remis en jeu la situation. Pourtant, depuis le début de la guerre entre l’Ukraine et la Russie et plus encore, depuis le déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, à la suite des attaques terroristes du 7 octobre 2023, le continent latino-américain paraît entrainé dans une nouvelle logique stratégique globale. Les alliances de la Russie avec le Nicaragua, le Venezuela et Cuba où s’est rendu, en plus du Brésil, Sergueï Lavrov6 en 2023 et 2024, tout autant que les relations de l’Iran avec ces pays, contribuent à l’ancrage de divergences géopolitiques faisant apparaître une fracture entre les tenants d’un « Sud global » revendiquant un changement de gouvernance mondiale et les alliés de l’ordre international actuel.
En arrière-fond, transparait l’enjeu géopolitique : si l’Amérique latine constitue une région de la planète sans armements nucléaires, elle peut se placer sous le parapluie d’une puissance globale.
A ce jour, perçue comme le « back yard », l’ « arrière-cour » des Etats-unis, le renforcement de la présence chinoise tout comme la diversité de partenaires élargis à la Russie ou à l’Iran, laissent entrevoir la possibilité d’un nouveau choc d’influence stratégique.
La présence du président argentin Javier Milei7 à Ushuaia le 5 avril 2024 avec la commandante des forces américaines pour l’Amérique latine, l’ « US Southern command », Générale Laura Richardson, est révélatrice de cette évolution. En y annonçant la création d’une base navale, le président argentin a affirmé vouloir bloquer l’accès de la République populaire de Chine à l’Antarctique par l’Argentine révélant les enjeux internationaux que peut représenter le territoire latino-américain.
(Tous droits réservés : US South command- Président Javier Milei/Général Laura Richardson- Ushuaia – 5 avril 2024)
La conférence internationale réunissant en 2026, les Etats parties au Traité de non-prolifération nucléaire pose la question de l’aspect irréversible de la non-prolifération nucléaire. L’Amérique latine est à ce titre et à ce jour, exemplaire. Cette situation peut-elle perdurer malgré les tensions internationales et les clivages politiques qui apparaissent ?
1 – Du danger immédiat au statut de « zone exempte d’armes nucléaires »
L’Amérique latine pourrait-elle être rattrapée par les démons qui l’ont enfermée, pendant la guerre froide8, dans la position dangereuse et inconfortable d’un permanent théâtre d’opérations ?
Pendant les décennies de la relation Est-Ouest, chacun des grands a considéré ou tenter de l’ériger en « zone d’influence». « Back yard » pour les uns, le continent constituait un levier dans un rapport de force global. Dans le bras de fer opposant Moscou et Washington sur Berlin à partir de 1961, Cuba offrait l’avantage de déstabiliser le cœur du système occidental.
L’implantation de « foyers révolutionnaires » d’inspiration marxistes-léninistes en Amérique centrale ou en Amérique du Sud, constituaient autant de moyens de pression dans un dialogue bipolaire. Les conflits internes au Guatemala et surtout en El Salvador9 seront par exemple, au programme du Sommet de Malte entre le président George Bush et le secrétaire général du Parti communiste de l’URSS en décembre 198910. La réalité de la structure bipolaire des relations internationales, opposant deux systèmes antagonistes, régis sur le plan sécuritaire par le principe de la dissuasion nucléaire, se traduisait en Amérique latine, par des conflits dits « périphériques » la mise en place de mouvements insurrectionnels ou de contre guérillas.
Dans le coeur du front occidental, Cuba a représenté un danger immédiat : il était géographique Le jeune régime castriste était pris dans une alliance aux enjeux stratégiques dont finalement il paraissait n’être qu’un alibi sinon une pièce de négociation, certains diront de « marchandage » comme le démontrait l’accord secret sur le démantèlement des missiles américains positionnés en Turquie « en échange » du démantèlement des installations soviétiques à Cuba. Il était également, politique, avec une capacité de projeter une rhétorique, une forme de mythologie révolutionnaire, un exemple de pénétration du système adverse. Dans ce contexte international, la dangerosité de la crise des missiles : Cuba, au fil de l’histoire, s’était transformée en une base avancée soviétique pouvant atteindre, avec des missiles balistiques de portée intermédiaire et longue, une grande partie du territoire américain.
Tous droits réservés : US National archives/Président John F. Kennedy-Secrétaire général du PCUS – Vienne, 3-4 juin 1961
Au sortir de la crise d’octobre 1962, il apparaissait évident que le risque de débordement par l’ouest et l’Amérique latine, était dangereux pour l’ensemble du continent latino-américain. Les soubresauts politiques, avant les années sombres des dictatures militaires, les fragilités sociales représentaient suffisamment de défis pour ne pas s’engager plus avant dans la logique des enjeux nucléaires sur lesquels elle avait peu d’emprise. Tous les acteurs avaient, alors, intérêt à une forme de dénucléarisation en Amérique latine.
Le traité de Tlatelolco a conduit à cette réalité, cristallisant la problématique depuis 1968. La question nucléaire a semblé constituer un non-sujet, telle une forme de tabou ou de frontières à ne pas franchir sous peine d’engager la sécurité de tous. L’Amérique latine a donné l’exemple en devenant, la première zone exempte d’armes nucléaires11 au monde. Désormais, les conflits étaient exclusivement conventionnels.
L’émergence de nouveaux acteurs économiques globaux comme la Chine, les tensions internationales exacerbées depuis le début de la guerre en Ukraine et le conflit entre Israël et le Hamas accompagnent et nourrissent des prises des divergences profondes, laissant entrevoir l’émergence d’une « nouvelle guerre idéologique12.
La question nucléaire commence à être abordée : qui pourrait assurer la sécurité ultime du continent ?
La Russie a consolidé sa position avec des alliés historiques et s’inscrivent dans une démarche visant à dénoncer le système international de sécurité globale. Cette « tentation du sud global »13 permet d’introduire la question nucléaire dans le débat latino-américain. Il est possible que le Vénézuéla, appuyé par le Nicaragua ou la Bolivie, se saisisse de la tenue de la Conférence des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) pour relancer le questionnement sur le Traité de Tlatelolco, pierre angulaire d’un dispositif global placé sous tensions.
2 – Une posture de plus en plus conditionnée par les tensions internationales
Une des vertus du Traité de Tlatelolco est d’être parvenu à rassembler un ensemble marqué par la diversité : la géographie, les populations, les enjeux géopolitiques ne sont pas les mêmes dans la région des Caraïbes, au Mexique, ou en Argentine, Brésil et pays andins. Et pourtant, depuis 1968, tous ont été d’accord pour faire du continent une zone exemple d’armements nucléaire. Jusqu’en février 2022, le sujet renvoyait inexorablement au passé de la guerre froide.
La guerre en Ukraine tout comme le conflit entre Israël et le Hamas ont « désinhibé » le débat sur le socle de sécurité stratégique et global en Amérique latine. L’élection de Javier Milei à la tête de l’Argentine en octobre 2023, l’affirmation de position pro-occidentales opposées à celles de la Colombie, de la Bolivie, du Venezuela, du Nicaragua, ponctuellement du Brésil ou du Mexique a ouvert le champ du débat stratégique.
Naturellement, une remise en question en vue de l’abattre du Traité de Tlatelolco et des dispositifs associés à une non-prolifération, n’apparait pas aujourd’hui crédible. Mais, l’ancrage d’une rhétorique permanente de remise en question de l’ordre international, l’introduction d’une volonté de développer l’énergie nucléaire, constituent autant de faits marquants, pouvant, dans la durée, conduire à une inflexion.
Plusieurs tendances sont à dessiner :
- les puissances régionales et pôles d’influence en construction : Le Brésil, le Mexique tout comme le Chili ou l’Argentine s’inscrivent dans une démarche visant à consolider, élargir ou établir leur présence et La question du nucléaire s’inscrit sous l’angle de l’énergie civile.
- les piliers d’une hostilité au mécanisme actuel de sécurité globale : le Venezuela et le Nicaragua incarnent une approche plus agressive sinon hostile. Leurs alliances avec l’Iran et la Russie ne peut que générer une vigilance particulière notamment de la part des Etats-unis. En se plaçant « sous le parapluie » et la protection russe, le Nicaragua s’est érigé en un sanctuaire en Amérique centrale, alternant provocations et violations des moindres règles démocratiques. Le Venezuela pour sa part, s’inscrit dans une logique à bien des égards identiques : à la fois protégé et envié par la force de ses réserves pétrolières, le régime de Nicolas Maduro tente, sans y parvenir pour le moment, de ranimer une flamme alternative qui constituerait le socle d’une unité révolutionnaire. Sa tentative de conquête du territoires riches en pétrole de son voisin du Guyana14 semble avoir fait long feu, happé par les tensions politiques internes à la veille de nouvelles élections présidentielles15.
Cette diversité rappelle que l’Amérique latine tente malgré tout, de relancer la question de son positionnement international. Certains, en voulant l’offrir aux tenant d’un sud global hostile « à l’ouest », rêveraient d’une stratégie de « prise à revers » du camp occidental. Mythe ou amorce d’une évolution stratégique, les relations entre la Russie, le Nicaragua, le Venezuela ou Cuba mises en relief par les visites de Serguei Lavrov en 2023 et 2024, s’inscrivent dans cette logique.
(Tous droits réservés : Présidence de la République du Venezuela/Rencontre entre Serguei Lavrov et Nicolas Maduro – 19 avril 2023)
C’est la guerre entre Israël et le Hamas, au lendemain des attaques terroristes du 7 octobre 2023, qui a replacé l’idéologie dans l’approche internationale de nombreux pays du continent au premier rang desquels les principales économies latino-américaines. La Colombie a rompu, le 2 mai 2024, ses relations diplomatiques avec Israël, au terme de plusieurs mois de crise bilatérale. Le Venezuela, le Nicaragua se sont tout de suite rangé aux côtés de la cause palestinienne. Pour sa part, le président brésilien, Luis Inacio Lula da Silva, au terme d’échanges vifs avec Israël, a été déclaré « persona non grata » par Israël Katz, ministre des Affaires étrangères de l’Etat hébreu.
La Bolivie a rompu ses liens dès le 31 octobre. Une nouvelle solidarité en partie « bolivarienne »16 et alternative, a semblé renaitre dans un climat politique de polarisation. Dénoncer l’ordre international né de la Seconde Guerre mondiale devient une règle chez les tenants du sud global. Elle se développe en écho à la démarche de la Russie et à celle de certains membres des BRICS+17 appelant à une nouvelle organisation internationale.
L’accession à la présidence de la République d’Argentine de M. Javier Milei a parachevé l’apparition d’un front de divergences idéologiques sur le continent. Tandis que le président brésilien tente d’apparaitre comme le leader d’une approche critique du système international, Javier Milei en devient le promoteur. En invitant son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky, à son investiture à Buenos aires18, alliance soutenue avec Israël au grand dam de pays comme la Colombie, l’Argentine s’oppose à une approche alternative qui apparait à ses yeux, « révisionniste ». Il permet de rompre un isolement dans lequel semblaient enfermés des pays comme l’Uruguay, le Paraguay ou le Costa Rica.
Les deux lignes divergentes obligent à replacer dans une approche globale les questions essentielles du débat stratégique : quels sont les intérêts vitaux de l’Amérique latine ? Sont-ils régionaux ou seulement attachés aux Etats membres ?
En cas de menace majeure, la sécurité de l’Amérique latine, dans sa dimension conventionnelle mais également, stratégique est-elle placée sous le dispositif américain ? La Russie propose t-elle à ses alliés une protection de son dispositif de défense ?
La République populaire de Chine qui vient de se voir interdire l’accès, par l’Argentine, à l’Antarctique pourrait-elle s’engager, par exemple pour défendre ses investissements, et au nom de la défense de ses intérêts vitaux ?
C’est dans cet environnement tendu que les interrogations sur le devenir des armes de destruction massive et les interrogations en matière dissuasion et de la prolifération nucléaire, deviennent à nouveau d’actualité.
Trois pays possèdent actuellement des réacteurs nucléaires dédiés à l’énergie civile :
- Le Brésil dispose de deux réacteurs au sein de la centrale d’Angra, au sud-est du pays. Connectés au réseau électrique brésilien en 1982 et 2000, ils fournissent une puissance cumulée de 1 884 MW. Ils fournissent près de 3 % de la production électrique brésilienne en 2021 (avec 14,7 TWh produits).
- L’Argentine possède trois réacteurs nucléaire à « eau lourde ». Ceux-ci sont répartis entre deux centrales : deux à Atucha connectés au réseau en 1974 et 2014 (1027 MW cumulés) et un à Embalse connecté au réseau en 1983 (600 MW). Le parc nucléaire argentin contribue à hauteur de 7,2 % de la production électrique du pays.
- Le Mexique avec deux réacteurs à la centrale de La Laguna verde d’une capacité de 650 et 700 MWe. La première tranche est exploitée depuis 1990 ; la seconde depuis 1995.
Pour sa part, le Venezuela, avec des réserves de pétrole parmi les plus importantes au monde, avait engagé un programme nucléaire dans les années 1970 avec la mise en place d’un réacteur de recherche, RV1. Il est placé sous les garanties de l’Agence internationale pour l’énergie atomique en vertu d’un accord trilatéral conclu en 1968 avec le Venezuela et les Etats-Unis. Le Venezuela a signé un accord général sur la coopération nucléaire avec la Russie en 2008 qui a envoyé, depuis, et à trois reprises, des bombardiers à capacité nucléaire Tupolev.
Serguei Lavrov, ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, déclarait, lors de sa visite en février 2024, que son pays « considérait comme prometteur le domaine de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire », en convenant « augmenter le volume de la coopération dans tous ces domaines ».
Cette alliance se double de relations continues avec la République islamique d’Iran : les visites bilatérales depuis la présidence d’Hugo Chavez et ses homologues iraniens depuis 2001, n’ont pas cessé19. L’actuel président iranien avait effectué en juin 2023, une visite au Venezuela, Nicaragua et Cuba parlant de « pays amis » avec lesquels les objectifs visent « à développer la coopération économique, politique et scientifique ».
(Tous droits réservés : Jairo Cajina/Présidence de la République du Nicaragua – Rencontre de Daniel Ortega et du Président Ebrahim Raissi – Managua – 12 juin 2023)
Pour sa part, le Président brésilien, Luis Inacio Lula da Silva s’est clairement positionné afin d’apparaitre comme le leader, des positions politiques du Sud global, à la fois et en matière d’avancée technologique de son appareil national militaire. C’est avec la France que le Chef de l’Etat brésilien a engagé la perspective d’une entrée du géant latino-américain dans le club des pays disposant de sous-marins à propulsion nucléaire. Déjà en 2008, le partenariat stratégique engagée avec le chef de l’Etat français Nicolas Sarkozy, laissait entrevoir cette option. Pendant la visite du président Emmanuel Macron, du 26 au 28 mars 2024, les deux Chefs d’Etat ont officialisé cet objectif qui permet au Brésil de consolider sa position de leader régional. Les sous-marins constituent, tout comme les porte-avions, des instruments de projection de puissance de la souveraineté, en plus du bond technologique offert par ces équipements.
C’est pendant la mise en service du troisième sous-marin conventionnel, livré par la France dans le cadre du programme « ProSub » que le lancement d’un quatrième sous-marin et premier à propulsion nucléaire a été officialisé. La mise en construction de l’Alvaro Alberto, permet au Brésil d’asseoir sa position de leader technologique en devenant le premier pays à disposer d’un sous-marin à propulsion nucléaire.
Cet ensemble de faits, dans un contexte politique tendu et divergent, établit une forme de terreau ouvrant le débat sur les questions portant sur les mécanismes de sécurité internationale et naturellement, la dissuasion nucléaire. En 2026, la Conférence des parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP, signé en 1968) se tiendra au siège de l’ONU. Il apparait inévitable que plusieurs pays vont saisir cette occasion pour relancer le débat sur le principe même de l’équilibre nucléaire en appelant à une refonte du système.
Conclusion
S’interroger sur le risque de la prolifération nucléaire impliquant l’Amérique latine peut paraître superflue. La signature et l’entrée en vigueur, en 1968, du Traité de Tlatelolco a conduit cette région à devenir la première zone exempte d’armes nucléaires après avoir couru le risque d’être entrainée dans la logique de la destruction mutuelle assurée, pendant la crise des missiles d’octobre 1962.
Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine, le 24 février 2022 et plus encore le conflit entre Israël et le Hamas à la suite des attentats du 7 octobre 2023, une fracture idéologique est apparue entre les tenants d’un « Sud global » et les alliés d’un Occident comptant les démocraties libérales. L’enjeu porte sur le devenir d’un ordre international de sécurité qui régit, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations internationales placées sous tensions.
Cet environnement peut offrir un cadre de soutien en faveur de ceux qui dénoncent le système actuel ou constituent, comme le Venezuela, le Nicaragua ou Cuba, des alliés objectifs de la Russie. Ils peuvent dans un nouvel ordre bipolaire, apparaître comme les avants postes adverses, placés dans le cœur d’un hémisphère occidental à affaiblir.
Les années de la pandémie de la Covid 19, ont rappelé les fragilités structurelles d’une économie continentale où 54 % des emplois dépendent du secteur informel. Les crises haïtiennes et vénézuéliennes ont alimenté des vagues migratoires à la fois vers les Etats-Unis, à travers l’Amérique centrale ou vers les pays andins et le cône sud, déstabilisant de nombreuses économes nationales, au grand dam des entités régionales qui sont les victimes du retour de politiques nationales, et pour certains nationalistes. Plus que jamais, la vigilance reste de mise pour tous ceux qui souhaitent que l’Amérique latine reste une zone exemple d’armements nucléaires, pouvant se placer au service des médiations et résolutions de crises plutôt qu’un nouvel espace de guerre ou une base arrière d’une déstabilisation de l’ordre international existant.
Pascal Drouhaud
Spécialiste des relations internationales
Auteur de nombreux articles sur les enjeux de l’Amérique latine
Président-fondateur de l’Association France-Amérique latine, LATFRAN (www.latfran.org)
Chercheur associé de l’Institut Choiseul.
- Le nom de Guerre Froide a été donné à la confrontation idéologique, politique, économique et culturelle qui a opposé de 1947 à 1990, les Etats-Unis d’Amérique et l’ex-Union des républiques soviétiques socialistes. ↩
- Pascal Drouhaud et David Biroste : « L’Amérique latine : le continent oublié des relations internationales ? », Revue politique et parlementaire, 2 novembre 2021 ↩
- Le Traité de Tlatelolco est un accord régional signé le 14 février 1967, entré en vigueur le 22 avril 1968. Il engage l’ensemble des trente-trois États d’Amérique latine et des Caraïbes. Il « interdit les essais, l’utilisation, la fabrication, la production, l’acquisition ou le stationnement de toute arme nucléaire » au sein de l’espace latino-américain. Le traité garantit la dénucléarisation militaire des territoires sous le contrôle d’autres États (la Guyane française par exemple). Le Traité de Tlatelolco interdit le transfert des armes nucléaires et leur stationnement « sur le territoire des Etats parties ». ↩
- Avec l’accession au pouvoir de Fidel Castro et son entrée à la Havane le 1er janvier 1959, les relations avec les Etats-Unis se sont progressivement dégradées. Les années 1960 ont été marquées par des tensions très fortes. En 1961, l’Opération de la Baie des cochons constituait une tentative de débarquement d’exilés cubains, formés par la CIA et visant à renverser Fidel Castro. Préparée pendant la présidence de Dwight Eisenhower, elle est réalisée trois mois après l’arrivée à la Maison blanche de John F. Kennedy. Elle se conclut dès le 19 avril 1961, par un succès des forces castristes, rendant plus difficile la position du président américain avant sa rencontre avec Nikita Krouchtchev à Vienne les 3 et 4 juin 1961. C’est dans ce contexte qu’est érigé le Mur de Berlin les 12 et 13 août 1961. En octobre 1962, la découverte fortuite, dans le cadre d’une mission secrète d’observation aérienne par un avion U2, de l’installation de rampes de lancement de missiles SS 4 à tête nucléaire ouvrait la crise la plus grave de la guerre froide. Le président Kennedy décidait d’installer un blocus maritime ne permettant pas aux navires soviétiques d’entrée ou de sortir de la zone concernée sous peine d’entrainer une escalade. Le 29 octobre, un accord est trouvé entre les deux Grands, l’URSS acceptant de démanteler ses installations à Cuba. Les Etats-Unis s’engageaient, pour leur part, à démanteler des missiles Jupiter installés en Turquie illustrant une forme de réciprocité stratégique. Les Etats-Unis les ont, dans les faits, remplacés par des sous-marins lanceurs d’engins positionnés en Méditerranée et pouvant chacun procéder au lancement de 16 missiles nucléaires Polaris A1 puis A 2 d’une portée comprise entre 1 800 et 2 800 kilomètres. Cuba avait été un instrument de la rivalité est-ouest, mettant en danger l’ensemble latino-américain. ↩
- Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) TNP : signé le 1er juillet 1968, il entre en vigueur le 5 mars 1970. Ce traité constitue l’ossature de la lutte contre la prolifération nucléaire. « Il a pour but d’empêcher la dissémination des armes nucléaires et de la technologie nucléaire, d’encourager l’utilisation à des fins pacifiques de l’énergie nucléaire et d’aboutir en cette matière à un désarmement générale et complet ». L’AIEA a la responsabilité du système de garanties à travers « notamment de missions d’inspections dans les pays signataires ». Il a été signé par 187 Etats, à l’exception de l’Inde, du Pakistan, d’Israël et de Cuba. Son article I, dispose que « tout Etat doté d’armes nucléaires qui est partie au Traité s’engage à ne transférer à qui que ce soit, ni directement, ni indirectement, des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs, ou le contrôle de telles armes ou de tel dispositifs explosifs : à n’aider, n’encourager ni inciter d’aucune façon un Etat non doté d’armes nucléaires, quel qu’il soit, à fabriquer ou acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ou le contrôle de telles armes ou tels dispositifs explosifs ». L’article II dispose que « Tout Etat non doté d’armes nucléaires qui est Partie au Traité s’engage à n’accepter de qui que ce soit ni directement non indirectement, le transfert d’armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ; à ne fabriquer ni acquérir de quelque autre manière des armes nucléaires ou autres dispositifs nucléaires explosifs ; à ne rechercher ni recevoir une aide quelconque pour la fabrication d’armes nucléaires ou d’autres dispositifs nucléaires explosifs ». ↩
- Pascal Drouhaud ; « Sergueï Lavrov en Amérique latine : des symboles et une stratégie », Défense nationale, juin 2023, p 183-187. ↩
- Javier Milei est Président de la République d’Argentine depuis le 10 décembre 2023. Il a été élu, sur un programme néo-libéral sur le plan économique et conservateur sur les questions de société au terme d’un processus autour de 3 évènements politiques : « les primaires ouvertes, simultanées et obligatoires » qui se sont tenues le 13 août 2023. Elles permettent de « qualifier » les candidats qui obtiennent plus de 1.5 % des suffrages ; le 1er tour de l’élection présidentielle s’est tenu le 22 octobre 2023 et le 2nd tour, le 19 novembre 2023. La Rencontre à Ushuai le 12 avril 2024, entre le Président Javier Milei et la commandante de « l’US South Command », Générale Laura Richardson a permis de convenir de l’ouverture d’une base conjointe. ↩
- De nombreux accords stratégiques ont été établis pendant la guerre froide dans le cadre du principe de la « Mutual assured destruction/MAD ». La destruction mutuelle assurée « est une doctrine stratégique devant garantir un équilibre des forces nucléaires pendant la guerre froide. L’assurance de l’anéantissement de chacun des adversaires par l’usage de leurs forces nucléaires devait en rendre l’utilisation impossible. Elle a contribué à la crédibilité de l’équilibre de la terreur » qui a régi les relations internationales pendant la guerre froide. START : Stratégic arms réductions talks: START I signé en 1991 et START II signé en 1993, sur la réduction des vecteurs d’armes nucléaires stratégiques terrestres et sous-marines. START I prévoit la réduction d’un tiers des arsenaux d’armes nucléaires stratégiques soviétiques et américaines. START II prévoit l’élimination des missiles sol-sol dotés de têtes nucléaires, la réduction du nombre d’armes nucléaires stratégiques américaines à 3 500 et le nombres d’armes stratégiques russes à 3000. Ratifié par le Sénat américain le 26 Janvier 1996 et par la douma russe le 14 avril 2000. TICE : Comprehensive Nuclear Test Ban Treaty (CTBT) ou en français, Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE). Traité d’interdiction complètes des essais nucléaires : signé par 158 pays, il interdit toute explosion nucléaire, quelle que soit sa nature et tout encouragement et participation à la préparation d’un essai nucléaire à des fins militaires ou autres. Ce traité ne pourra entrer en vigueur qu’après la signature par 44 Etats dotés d’un potentiel nucléaire ou d’une capacité électronucléaire l’auront ratifié. A ce jour, ni la Corée du Nord, ni l’Inde et le Pakistan ne l’ont signé. La France et la Grande Bretagne ont été, en 1998, les premiers Etats dotés de l’arme nucléaire à le ratifier. Stratégic arms réductions talks : START I signé en 1991 et START II signé en 1993, sur la réduction des vecteurs d’armes nucléaires stratégiques terrestres et sous-marines. START I prévoit la réduction d’un tiers des arsenaux d’armes nucléaires stratégiques soviétiques et américaines. START II prévoit l’élimination des missiles sol-sol dotés de têtes nucléaires, la réduction du nombre d’armes nucléaires stratégiques américaines à 3 500 et le nombres d’armes stratégiques russes à 3 000. Ratifié par le Sénat américain le 26 janvier 1996 et par la douma russe le 14 avril 2000. ↩
- Les années 1970-1980 ont été marquées en Amérique centrale par plusieurs conflits : au Guatemala, la guérilla l’Union révolutionnaire nationale du Guatemala (URNG) rassemblant plusieurs mouvements insurrectionnels, est créée en 1982. Les accords de paix seront signés en décembre 1996. A El Salvador, la guérilla du Front farabundo Marti de Libération nationale (FMLN) allié au Front démocratique révolutionnaire (FDR) est fondé en 1980. Ces guérillas d’inspiration marxiste léniniste, engageront une lutte interne, ponctuée d’offensive générale (janvier 1981/novembre 1989). Les accords de paix seront signés le 16 janvier 1992 appelant à la mise en place d’un nouveau contrat social. Ces guérillas recevait le soutien du régime sandiniste nicaraguayen, présidé par Daniel Ortega. Le Honduras était pour sa part une « base avancée » des forces américaines en Amérique centrale. Tandis qu’en Europe le mur de Berlin tombait le 9 novembre 1989, l’Amérique centrale connaissait un regain de violence : le 11 novembre, début de l’offensive « Hasta el tope » au Salvador. Le 20 décembre, l’Opération « Just Cause » conduite au Panama, par les Etats-Unis, le 20 décembre 1989 conduisit à la destitution du Général Noriega. ↩
- Le Sommet de malte s’est tenu les 2 et 3 décembre 1989. Il a réuni le président américain, George Bush et le président de l’URSS, Mikhail Gorbatchev à bord des bâtiments SS Maxim Gorki et USS Belknan (CG-26). Il réunissait les deux leaders pour la première fois depuis la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) et marque la fin de la guerre froide. ↩
- Il existe cinq traités sur des zones régionales exemptes d’armes nucléaires qui prévoient que les parties concluent un accord de garanties généralisées avec l’AIEA : Traité visant l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraibes (Traité de Tlatelolco, 1967) ; Traité sur la zone dénucléarisée du Pacifique sud (Traité de Rarotonga, 1985) ; Traité sur la zone exemple d’armes nucléaires en Asie du Sud-est (Traité de Bangkok, 1995) ; Traité sur une zone exemple d’armes nucléaires en Afrique (Traité de Pelindaba, 1996) ; Traité portant création d’une zone exempte d’armes nucléaires en Asie centrale (Traité de Semipalatinsk, 2006). ↩
- Pascal Drouhaud : « Amérique latine – L’inévitable rupture idéologique ? » RDN, n° 870, mai 2024 – p. 113-119 ↩
- Pascal Drouhaud : « Amérique latine – La tentation du « Sud global » RDN n° 865, décembre 2023 – p. 120-123 ↩
- Pascal Drouhaud et David Biroste : « Amérique latine – Tensions entre le Venezuela et le Guyana : une « drôle de guerre » ? » RDN n° 868 mars 2024 – p. 116-122 ↩
- Les élections présidentielles doivent se tenir au Venezuela le 28 juillet 2024. Le processus engagé depuis 2023, est entaché de nombreux incidents conduisant notamment à disqualifier les candidats de l’opposition. ↩
- L’Alliance bolivarienne pour les Amériques avait été créée à l’initiative d’Hugo Chavez, Président du Venezuela (1999-2013) et de Fidel Castro, à la Havane le 14 décembre 2004. Elle visait à unir les Etats qui souhaitaient s’opposer à une influence nord-américaine en Amérique latine, en dénonçant notamment, le projet d’accord de libre-échange américain promu par les Etats-Unis et qui n’aboutira pas. ↩
- Les BRICS +, rassemblent plusieurs pays représentant 27 % en valeur nominale du PIB mondial (G7/44 %). Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du sud et, depuis le 1er janvier 2024, l’Arabie saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie et l’Iran. ↩
- Pascal Drouhaud « Amérique latine – Vers une alliance Milei-Zelensky ? » Revue n° 866, janvier 2024 – p. 122-126 ↩
- Depuis 1997, les présidents iraniens ont été les suivants : Mohamed Khatami : 1997-2001/ 2001-2005 ; Mahmoud Ahmadinejad : 2005-2009/ 2009-2013 ; Hassan Rohani : 2013-2017/ 2017-2021 ; Ebrahim Raïssi : depuis 2021. Ils ont tous rencontré et établi des accords de coopérations avec les présidents Hugo Chavez (1999-2000/ 2000-2002/ 2002-2007 2007-2012/ 2013, décès) et Nicolas Maduro (2023-2018/ depuis 2018). ↩