Répartition et couverture des risques ont été les priorités du secteur de l’assurance depuis toujours. Dès lors que des facteurs d’accumulation sont associés à des risques inédits, plus importants et surtout plus fréquents, nous faisons un saut considérable dans la demande de protection qui devient littéralement exponentielle. Face à ce fossé, loin de ceux qui pensent que l’assurance a réduit sa capacité de couverture et placent le problème comme une question d’offre qui se serait réduite voire presque tarie, je suis convaincue que c’est exactement le contraire, c’est-à-dire le fait d’une demande qui augmente de façon spectaculaire.
Partenaire du quotidien dans toutes ses facettes, l’assurance fait écho à l’évolution de notre société, en ce qu’elle est multidimensionnelle et transversale. Ce schisme dans la demande de protection rend précisément les assureurs plus utiles que jamais, jouant un rôle central sans précédent face à l’augmentation des besoins.
Espérer combler ce fossé de protection uniquement grâce à une réponse sur l’offre est donc un vain combat. Le transfert des risques n’est qu’une partie de la solution, une approche sur mesure de prévention et d’adaptation en est l’autre. Loin de se perdre comme Bill Murray au Japon dans ce nouveau paradigme, l’approche de la gestion des risques assurantiels a déjà commencé à évoluer, changeant la raison d’être même du secteur.
Un monde « lost in translation » face à l’émergence des grands risques
Les risques d’aujourd’hui sont uniques à au moins deux égards : le rythme auquel ils évoluent est sans précédent, et leur multiplication est relativement imprévisible. La pandémie, et ses conséquences dans lesquelles nous sommes toujours empêtrés, a renforcé de nombreuses tendances à cet égard.
Ces nouveaux périls peuvent et doivent remodeler de larges pans de nos sociétés sceptiques et craintives.
Que faire dans un environnement entropique : la montée des extrêmes, la fragmentation de nos piliers sociaux, économiques ou géopolitiques, la remise en cause de la démocratie auxquelles s’ajoutent les risques technologiques ou les faiblesses des chaînes d’approvisionnement… et dans un effet collatéral une potentielle récession. Tous ces éléments sont des signes sinon des preuves d’une nouvelle ère.
On pourrait soutenir que tout changement d’époque, comme la révolution industrielle des XVIIIe et XIXe siècles, entraîne de nouveaux risques – sans nécessairement se substituer aux anciens ou à l’appréhension de ceux-ci. Pour la première fois cependant, les assureurs pourraient faire apparaître des limites dans leur modèle fondé sur la statistique et la diversification. Notre expertise, bâtie sur des risques discrets et prédictibles, s’estompe, et avec elle le symbole de la courbe de Gauss. Une stochastique émerge, ouvrant la voie au règne des probabilités, et où la base, la fréquence ainsi que la portée des chocs sont élargies. Les modèles d’évaluation des risques des assureurs et réassureurs convergent, et à travers eux les réponses apportées doivent évoluer.
Prévention et adaptation sont les nouvelles assurances
L’augmentation potentiellement illimitée de la demande de protection ne peut être satisfaite avec les moyens actuellement finis dont nous disposons. En tant que preneurs fermes de risques, à qui ils sont transférés, le problème d’approvisionnement devient une question de disponibilité du capital.
Nous devons collectivement élargir nos bilans, en travaillant sur des solutions associant États, assureurs, réassureurs et plus largement les entreprises.
Au lieu de laisser croître la frustration mutuelle, notre action peut être d’aider nos clients à mieux anticiper, évaluer, segmenter et atténuer les risques pour maîtriser le besoin de couverture. Alors pourra se poser la question du partage du risque et du découpage selon les bonnes lignes pointillées.
Certes, l’assurance n’est pas perçue comme un secteur fortement innovant ou agile. Probablement à cause de son histoire séculaire, qui remonte aux premiers temps des civilisations de l’Euphrate. Pour autant, peu d’activités peuvent afficher une telle capacité évolutive. Révolution après révolution, elle a survécu aux effondrements civilisationnels, prouvant ainsi sa remarquable capacité d’adaptation.
Concrètement, pour réduire l’écart de protection, nous devons tirer parti de l’un de nos avantages historiques : être les plus anciens scientifiques de la donnée avec des compétences étendues en matière de compilation, d’analyse et d’interprétation, et penser à une approche ex-ante traitant le besoin.
Cette approche repose sur trois ingrédients majeurs, la sensibilisation, la prévention et la résilience. Avec une méthode essentielle : travailler avec tous les acteurs, petits et grands, particuliers et organisations, privés et publics.
Pour mieux affronter l’avenir, le rôle intrinsèque des assureurs se déplace pour anticiper le futur et accompagner les clients dans l’adaptation aux risques. Mais aussi en guider la répartition entre les entreprises et les assureurs, grâce à l’utilisation de captives et à une structuration de couvertures équilibrée. Ce sont les deux axes de l’avantage collaboratif qui peuvent changer de perspective quant aux nouveaux risques.
Et, cerise sur le gâteau, en tant qu’investisseurs dans les économies, en finançant l’accélération des transitions, en particulier sur le plan climatique, nous pouvons aussi fondamentalement agir sur les risques émergents
Florence Tondu-Mélique
Présidente-Directrice Générale de Zurich France