Alors que le Royaume Uni crie « La Reine est morte, vive le Roi ! » ici c’est « Le CNR est mort, vive le CNR ! ». Ce cri de part et d’autre du Channel nous inscrit, chacun à notre façon, dans le temps long de l’Histoire. Mais, il faut se méfier et ne pas insulter l’Histoire, surtout pour le plaisir d’une formule !
Les références gaulliennes sont devenues les fondements non pas de la Politique mais des storytelling politiques. Il n’en estpas un dans le personnel politique qui ne se réfère au fondateur de la Vème République trouvant là à se vêtir d’un lambeau de légitimité qui, pense-t-il, l’ancre dans l’Histoire.Ces tentatives d’identification, faites doctrines, donnent leur pleine mesure lors des campagnes pour l’élection présidentielle, moment où l’on voit tel ou tel, investi de lui-même, citer de Gaulle et s’approprier partie de l’héritage. Ce numéro de claquettes est devenu un exercice imposé qui ne remporte pas la ferveur du jury. Mais il y a plus fort que la figure imposée, c’est la figure libre et dans ce domaine il y a encore plus acrobatique avec la figure libre à front renversé. Ainsi du Conseil national de la refondation dont l’acronymerenvoie à ceux qui ont su reconstruire la France de l’après-guerre et lui donner un avenir.
Voilà donc que pour « défaire méthodiquement le programme du CNR » on lui emprunte son nom qui vient comme voile de légitimité redorer le blason d’une start-up nation qui peine à inventer le monde d’après.
Avec le nom il faut aussi emprunter l’outillage et annoncerque le référendum fait partie de la boîte à outils. Tant qu’à y être autant oser le grand jeu, celui de la légitimation par le peuple !
Un CNR-2022 et un référendum 2.0, à n’en pas douter c’est bien parti pour refonder. Toute la mystique gaullienne est convoquée, elle accompagne et conforte une nouvelle méthode toute de transversalité et de transparence. Aujourd’hui parce que l’homme-masse, cet enfant gâté d’Ortega y Gasset a gagné, car il a des idées arrêtées surtout, l’homme providentiel se fait, lui, transversal et transparent car c’est là que se trouve la légitimité de l’action publique !
Mais, amor fati, il ne faut pas être grognon, il ne faut pas faire la politique de la chaise-vide, c’est irresponsable. Il faut saisir l’occasion et voir là une louable et heureuse tentative de modernisation du lien entre les aspirations citoyennes et l’appareil de l’État. Il faut voir là la résurrection d’un destin national davantage que l’échec du concept de la start-up nation. Peut-être faut-il voir là, aussi, le sens révélé de ce qui se cache encore derrière le Haut-commissariat au plan, autre dénomination d’emprunt autant qu’abracadabrantesque mais bien venue dans ce contexte général de court-termisme.
Ne pas être grognon parce que, non, le CNR-2022 n’est pas contournement de la représentation nationale. Qu’elle se rassure, elle sera jointe au jeu. Que les acteurs économiques et sociaux se rassurent eux aussi, ce n’est pas parce que hors du CNR-2022 les ministres annoncent telle ou telle réforme qu’ils ne seront pas écoutés. Ne pas être grognon parce que la règle du jeu du CNR-2022 ne peut pas être d’écouter pour ne pas entendre ! C’est à ce point de méthode que le référendum prend tout son intérêt, le peuple sera appelé à trancher. Mais c’est un référendum 2.0 !
Un référendum 2.0 c’est la consultation du peuple non pas sur un projet présidentiel, mais sur des idées issues d’une grande consultation.
Il ne s’agit pas, il ne s’agit plus, de chercher par le recours au référendum un surplus de légitimité mais de s’affranchir de la décision. La transparence, à ce niveau, c’est soit l’absence de vision soit l’art politique à son summum. Optons pour la seconde hypothèse, amor fati.
Les choses démarrent bien de l’avis des participants au kick of meeting, oups ! à la réunion d’installation du Conseil national de la refondation. On oublie qu’un quart des invités n’étaient pas là et l’on se félicite prudemment de voir se mettre en place la nouvelle méthode. Il y a des « on se félicite de voir réinventés les modes de dialogue » (par ceux qui se disent hors d’état de négocier une réforme de l’Assurance chômage) ; il y a des « on veut juger si la méthode est loyale »(par ceux qui privilégient le réformisme) ; il y a ceux qui y sont « avec ambition mais sans angélisme ». L’adhésion semble être du type de celle d’un post-it ! Le oui franc et massif attendra ! Pour entrer dans le cénacle de ce Conseil, les invités doivent laisser leur idéologie au vestiaire. Si à Marcoussis on a l’habitude d’en régler des choses au vestiaire, il faudrait que les sujets à l’ordre du jour du CNR-2022 soient, eux aussi, délestés de leur a priori idéologique et que le temps de jeu soit calmé avant même qu’il ne commence.
À l’évidence, le modèle promu par le CNR ne correspond plus aux enjeux économiques et sociaux de 2022.
Il ignore les enjeux des transitions énergétique, démographique et numérique, il est totalement essoré par la disparition des emplois industriels que ne remplacent pas les emplois de services, il est usé jusqu’à la corde par une lente mutation qui l’a transformé en système de solidarité et d’assistance alors qu’il a été conçu comme un système cohérent d’assurances sociales, financé par le travail qu’il faut aujourd’hui subventionner. Instrument de progrès, il est devenu gouffre à finances publiques. Le constat n’est pas d’hier et c’est bien une refondation qui s’impose mais quand, dans le moment où le CNR-2022 s’installe, un amendement à la loi de financement de la Sécurité sociale est envisagé pour faire avancer la réforme du régime des retraites, à l’aide d’un 49-3 si besoin, il y a de quoi s’interroger sur la réalité du nouveau mode de dialogue et sur la loyauté de la méthode. S’interroger sur la méthode et non pas sur la nécessaire refondation du système, qui doit porter aussi sur la refondation de l’action publique. Si l’action de l’exécutif déborde celle du CNR-2022il faut alors oser une autre référence gaullienne, celle du machin : le CNR-2022 est-il un machin ?
Il ne faut pas qu’il le soit, il ne peut pas être une chambre de consultation qui serve de prétexte à un on a tout essayé, nous ne savons que trop que les on a tout essayé sont la marque des échecs. Le nom emblème qui a été choisi impose autre chose et il ne faut pas douter que l’effet d’annonce, s’il force sur l’emballage, ne trompe pas sur la marchandise dont on sait qu’il ne faut plus la gaspiller…surtout quand il s’agit de démocratie.
Michel Monier
Membre du Think tank CRAPS