Le Royaume-Uni et le monde viennent de vivre un grand moment d’émotion, de recueillement et de partage, unique et porteur d’une symbolique rare dans une période confuse et sombre, pleine de menaces et d’incertitudes.
Au terme d’un très bel hommage cérémoniel à l’image et à la hauteur de la Souveraine qui aura régné le plus longtemps sur les îles britanniques et les royaumes membres du Commonwealth, inscrit dans le meilleur des traditions séculaires monarchiques qui ont cimenté la force d’une nation remarquable dans l’histoire de l’Europe et du monde, la Reine repose en paix pour l’éternité auprès des êtres chers qui auront accompagné et inspiré son parcours exceptionnel – son Père, sa Mère, sa Soeur cadette et son Époux, le Prince-consort Philip, Duc d’Edimbourg- en la chapelle Saint Georges du château de Windsor.
Les millions de personnes de par le monde qui auront suivi sur leurs écrans les obsèques d’Elizabeth II le 19 septembre 2022, et tous ceux qui auront eu la possibilité de s’incliner le long du trajet et des étapes de son dernier voyage de Balmoral à Windsor au passage de son cercueil et de se recueillir devant lui à Holyrood Castle, Cathédrale Saint-Gilles d’Edimbourg, palais de Buckingham et Westminster, pourront témoigner pendant longtemps d’un instant d’éternité unique dans leur vie, qui transcende les autres temporalités du quotidien et participe de ce mystère du partage d’une grande émotion collective. De celles qui fusionnent l’humanité lorsque des êtres de toutes conditions, croyances, convictions, statuts sociaux, positions humbles ou éminentes, ont conscience de vivre ensemble un moment qui n’arrivera jamais plus : en l’occurrence l’adieu à un être rare dont ils conserveront un souvenir personnel, intime, propre à leur sensibilité et leur expérience individuelle, mais aussi ce sentiment diffus que la Reine incarnait des valeurs qui nous dépassent tous dans nos faiblesses et compromissions et nous font sentir combien notre monde a indiscutablement soif de repères et de lumière pour surmonter le chaos et le tumulte, lutter contre les démons de la division et des fausses certitudes qui le déchirent aujourd’hui à nouveau comme à d’autres périodes de son histoire…
Serons-nous à la hauteur de la leçon de dignité et d’humanité profonde que nous lègue le parcours exceptionnel de cette Souveraine au sourire gravé désormais dans nos mémoires, dernier témoin des affres de la Seconde guerre mondiale, de la chute des empires coloniaux, de l’effondrement du bloc communiste et de la naissance du 21e siècle dans les conditions d’extrêmes difficultés actuelles, au début attendu de sortie de la pandémie malheureusement obéré par la crise de l’énergie et de l’économie mondiale, liée au conflit en Ukraine ?
Rien n’est moins sûr à en juger par une actualité qui a trop vite repris son cours et sa tonalité préoccupants et consternants, notamment en France, notre “cher et vieux pays” de plus en plus mal en point, où se dessine une fin de second quinquennat fébrile avec des chantiers de réformes assortis des effets de manche communicationnels usuels, intervenant trop tard comme pour mieux oblitérer l’absence de résultats tangibles de la mandature précédente, les naufrages patents dans la plupart des domaines régaliens, la sécurité publique en particulier, et tout ce qui est défaillant dans les autres…
Il est heureusement des règnes exemplaires qui s’inscrivent de toute éternité dans la légende des siècles pour redonner un sens au cheminement de l’humanité et celui d’Elizabeth II en est l’illustration au terme de son dernier voyage. Puisse sa frêle silhouette, inoubliable dans les collines et les landes piquetées de bruyère de son cher Balmoral sur les rives de la rivière Dee, toujours nous accompagner avec sa sage bienveillance et longue expérience des épreuves de la vie dans nos parcours incertains à venir…
Eric Cerf-Mayer
Crédit photo : Kelly Show