Une maison mal tenue, abîmée par l’insécurité et la perte des repères les plus élémentaires, gangrenée par une violence qui imprègne le corps social à travers une succession de faits divers dramatiques où l’on règle à coups de couteaux les différends de la vie quotidienne ordinaire ou sentimentaux, un pays que l’on ne reconnaît plus, abandonné à son sort peu enviable par des élites insincères et dépassées (désemparées si on veut faire preuve d’indulgence…) dans leur impuissance à infléchir le cours des événements, voilà l’image reflétée par les échanges sur les plateaux de télévision le soir d’un premier tour où rares étaient les sourires affichés par les tristes héros d’un sinistre jeu de rôles au cours duquel l’invective entre compétiteurs rendait parfois pathétique le constat d’une défaite, d’un recul ou d’une victoire très relative au vu du décompte des votes exprimés.
Aux yeux de l’Europe et du monde entier encore sous le choc du scandale de la finale de la ligue des champions au stade de France, la crise à laquelle nous assistons pourrait signer le prélude de l’effondrement du régime de la Ve République arrivé en bout de course, faute de réformes drastiques de ses institutions et règles électorales, à commencer par celle de son mode de scrutin pour désigner les députés, obsolète et injuste, qui éloigne les Français des urnes. 52,49 % d’abstention ! A chaque consultation, ce taux qui enfle inexorablement sape un peu plus notre démocratie ; pour autant les responsables de cette situation refusent d’entendre le cri de colère et de rejet – quand ce n’est pas un signe de mépris pour la caste politique – exprimé par ceux qui ne se sentent plus représentés ni défendus par des élus girouettes comme ceux qui ont constitué la majorité de la chambre d’enregistrement pendant la séquence 1 du « En même temps » dont il serait intéressant de tirer le bilan législatif en termes de réformes tangibles et utiles parce que répondant à une urgence. Qu’en auront retenu les millions d’électeurs qui ont tourné le dos aux urnes, lassés par des campagnes d’esquive des débats et d’un vide affligeant à la présidentielle et aux législatives faute de réelle confrontation des idées et des propositions ?
Il y a fort à parier qu’en interrogeant les Français sur les travaux des députés de la mandature précédente, bien peu seraient capables de souligner ce que ces élus peuvent revendiquer comme réalisations au service de leurs intérêts et en réponse à leurs préoccupations.
Du quinquennat socialiste calamiteux de 2012 à 2017, l’histoire retiendra le mariage pour tous sur fond d’assaut du terrorisme islamiste… Qu’en sera-t-il du quinquennat du tour de passe-passe qui aura provoqué l’effondrement des partis de gouvernement traditionnels pour aboutir aux trois blocs actuels dans une France clivée et déchirée au sortir relatif des crises des Gilets jaunes et sanitaire, confrontée au désastre ukrainien et à un avenir nébuleux des plus incertains ? Le nombre de nos concitoyens qui ignorent purement et simplement qui sont les députés de leur circonscription serait aussi un facteur d’évaluation significatif de la dégradation de la représentation publique, qui explique en partie le divorce auquel on assiste aujourd’hui. D’aucuns imputeront ce sinistre record de l’abstention à des réformes comme l’interdiction du cumul des mandats et à la disparition des notables locaux, enracinés dans leurs territoires et naguère incarnation aisément identifiable d’une proximité entre populations et représentants nationaux. Peut-être, mais cela ne suffit pas pour expliquer ce sentiment de décombres sur champ de bataille dévasté et de pouvoir sur le fil du rasoir à quelques semaines du deuxième tour de la présidentielle, aux lendemains du 12 juin 2022…
Le mal est plus profond et trouve probablement sa racine dans le pari hasardeux d’avoir cru pouvoir enjamber les scrutins successifs en faisant l’économie d’un débat honnête et en tablant sur un réflexe de refuge dans la continuité de la part des électeurs face à une situation de guerre internationale qui ne dit pas son nom.
Le laps de temps d’une semaine est trop bref pour espérer un sursaut.
Les deux programmes ou plutôt catalogues de promesses au cœur du duel principal de ce deuxième tour des législatives ne feront même pas l’objet d’un débat entre une Première ministre occupée à assurer son élection dans le Calvados, accessoirement à sauver les meubles pour une majorité en déclin et le tribun de la NUPES en passe de devenir le principal opposant du Président reconduit dans une configuration qui risque peut-être de se transformer en piège pour l’exécutif. Les experts et oracles habituels des médias et instituts de sondages finissent par y perdre leur aplomb traditionnel dans ce qui va s’apparenter de facto à un troisième tour de la présidentielle au détriment de la finalité des législatives censées conforter dans son projet et sa vision le vainqueur adoubé par son camp au Champ de Mars le 24 avril 2022 au soir, une victoire qui semble lointaine dans l’atonie générale, les assauts d’une canicule précoce et le désabusement croissant des électeurs face à une situation politique hors normes où les Français payent au prix fort les tactiques et calculs improbables de leurs dirigeants pour maintenir leur position du moment…
Cinq députés à peine élus au premier tour, autant dire que rien n’est joué et que les prédictions comminatoires sur l’issue du deuxième tour basées sur les calculs de réserves de voix des trois principales forces en présence lorsque moins d’un électeur sur deux s’est déplacé le 12 juin laissent songeur, dubitatif ou perplexe. Est ce que les caricatures outrancières des catalogues de promesses électorales en l’absence de débats de fond, les anathèmes confus interdisant le vote principalement à l’encontre des candidats du RN dans les duels opposant la NUPES et le camp de la droite nationale, les appels moralisateurs à une raison supposée appartenir à ceux qui se résigneraient de guerre lasse à renouveler les pleins pouvoirs aux acteurs de la séquence 2, convaincront ceux qui n’ont pas voté au premier tour de se déplacer pour lever les ambiguïtés du 12 juin et indiquer un cap de navigation clair ? Rien n’est moins sûr !
Le risque pour l’exécutif de se réveiller le lendemain du 19 juin pris en tenaille entre deux blocs antagonistes n’est plus à écarter dans cette configuration inédite sous la Ve République mais peut-être est-ce là le prix à payer pour en finir avec un Palais Bourbon chambre d’enregistrement et maison sans fenêtres, éloignée de plus en plus de ses électeurs, et pour redonner aux Français foi en une politique qui ne se résumerait plus en exercice de communication mais en actions tangibles et perceptibles par ceux qui ne se sentent plus concernés par des joutes aux antipodes de leurs préoccupations de lutte et survie dans un environnement de plus en plus hostile.
Tout sera à revoir à l’issue de ces législatives atypiques de 2022, au fil du rasoir pour la détermination de l’avenir du « cher et vieux pays », dans un contexte économique, social, environnemental et international périlleux qui laisse peu de champ à l’espoir d’une amélioration rapide, et qui n’autorise aucune perte de temps, approximations, faux-semblants, faute de finir par sombrer corps et biens dans une paralysie mortifère.
La réponse, quelle qu’elle soit, reposera dans les urnes au terme d’une semaine qui s’annonce anormalement chaude, comme pour marquer la gravité des choix et l’urgence d’une prise de conscience collective devant les périls qui nous menacent…