Pour la Revue Politique et Parlementaire, Jean-Yves Archer, économiste et membre de la Société d’Economie, revient sur le financement des retraites.
Dans une démocratie occidentale au sein de laquelle le vieillissement et l’allongement de la durée de vie sont deux variables dynamiques croissantes, il n’est pas choquant de dédier 14 % du PIB, soit plus de 320 milliards d’euros, à destination des retraites. Surtout si l’on songe que les retraités sont des consommateurs à part entière et continuent à faire partie du circuit économique national.
Les sommes en jeu posent immédiatement et frontalement la question du financement. Dans notre traditionnel régime hérité de 1945, chacun connait les possibilités d’adaptation requises pour équilibrer le système.
On retrouve le triangle bien connu : hausse des cotisations (qui nuit à la compétitivité et au pouvoir d’achat), baisse relative des pensions servies (qui a un coût sociétal et politique important), allongement des carrières.
Les pouvoirs publics peuvent aussi organiser un panachage de ces solutions, un « cocktail » pour reprendre les termes récents des ministres Buzyn et Pénicaud.
Dans un schéma aussi simpliste qu’idéal, il suffirait de poursuivre la réforme de Marisol Touraine (loi du 20 janvier 2014). La durée d’assurance requise pour l’obtention d’une retraite, sans décote, augmente progressivement d’un trimestre tous les trois ans, entre 2020 et 2035, pour atteindre 43 ans (172 trimestres) pour les personnes nées en 1973 ou après. Ces modalités correspondent aux exigences de l’équilibre du régime général et avaient été adoptées sans psychodrame social.
Désireux d’être fidèle à sa promesse d’instaurer un régime universel par points, le président Macron a lancé des consultations (travail de Jean-Paul Delevoye) puis le Premier ministre a présenté début décembre, devant le Cese, un projet d’ensemble incluant – au prix d’une certaine surprise de plusieurs partenaires sociaux – un âge pivot autour de 62 ans.
Ce mécanisme comportant un bonus post âge-pivot et symétriquement un malus ad vitam en cas de cessation d’activité avant le couperet de 62 ans. On ne peut pas dire que ce type de sanction ait été bien ressenti par les syndicats tout autant que par l’opinion publique. D’apparence, l’âge-pivot aurait disparu du champ des possibles, mais la référence à la notion substitutive d’âge d’équilibre n’est pas de nature à apaiser les tensions.
En matière de financement des retraites, on sait que le COR (Conseil d’orientation des retraites) a parfois été optimiste. Souvenons-nous de ses conclusions suaves remises, en 1989, au ministre René Teulade. La rigueur est désormais davantage au rendez-vous de cette institution mais ses déductions reposent forcément sur des anticipations, toujours aléatoires, du taux de croissance et des évolutions démographiques chères à Hervé Le Bras.
Dès lors, peut-on se caler sur l’hypothèse d’un déficit de près de 15 milliards à horizon 2027 ? Probablement car la croissance économique demeure atone malgré l’irruption de la digitalisation de notre économie.
A ces 15 milliards correspond un effet-miroir fortuit : il s’agit du même montant qu’il conviendra de dédier au rehaussement des traitements des enseignants. La précision imposant d’ajouter que plusieurs experts soulignent à raison qu’il n’y a pas que les enseignants qui dépendent du ministère de l’Éducation nationale et qu’il convient de prévoir, au total, 6 milliards additionnels en incluant le monde de la Recherche.
Le financement des retraites a donc un premier chiffrage, à valeur de socle minimal, de 31 milliards.
Mais, comme chaque citoyen a pu le constater, l’exécutif a été contraint de se rendre à l’évidence et d’accepter des dérogations au principe dit universel pour une large catégorie de personnels. Pilotes de ligne, contrôleurs aériens, marins-pêcheurs, militaires, policiers, etc. Autant de coups de canifs légitimes qui viennent alourdir l’équation primaire du financement. Probablement, de plus de 6 milliards par an à la fin des négociations.
Sans malice, on ne peut que constater que la réforme en cours de déploiement a un impact » facteur 2,5 » au regard d’une éventuelle continuation du système de retraites actuel. Décidément, la trajectoire des Finances publiques sera mise à mal. Quant aux autres mesures, elles devraient découler de la Conférence du financement à tenir en avril : étant entendu que l’État a déjà annoncé que le recours aux ordonnances serait le moyen de graver dans le marbre l’accord (ou non) sur les nouvelles conditions de l’équilibre. D’où la crainte portée par plusieurs centrales syndicales de voir resurgir un âge d’équilibre allant, cette fois, vers 64 voire 65 ans.
Pour des motifs électoraux assez manifestes, le gouvernement ne s’engagera probablement pas sur la voie d’une baisse des pensions servies.
Symétriquement, il sera prudent à l’extrême au regard d’une éventuelle hausse des cotisations patronales. Attaquer les cotisations salariales à la hausse serait socialement hasardeux, ce qui nous ramène de manière assez flasque à une tentation visant la durée des carrières.
Si le COR est contraint à des contorsions lorsqu’il aborde l’avenir, il a été très clair quant à la cause des déséquilibres récents en y voyant un tassement relatif des recettes dues à des politiques généreuses d’allègement de charges acquittées par les employeurs.
Last but not the least, l’exécutif a bel et bien caressé le projet de capter les produits des caisses autonomes, incluant les 70 milliards de réserves de l’AGIRC-ARRCO, pour boucler le volet financier.
Tant le droit que la puissance des représentants des entités visées ont mis à mal ce chemin audacieux d’où le flou actuel qui fait que le Parlement va devoir se prononcer sans disposer d’une étude d’impact crédible et finalisée. Démarche pour le moins étonnante, pour ne pas dire plus.
Jean-Yves Archer
Economiste
Membre de la Société d’Economie Politique,