Comme beaucoup de Méditerranéens, Amin Maalouf est de ces conteurs dont on ne se lasse pas. Romancier, il trouve dans les grands destins matière à poétiser, occasion à voyager dans l’espace-temps ou se perdre joyeusement dans l’écriture.
Amin Maalouf, homme pluriel
Comme beaucoup de Méditerranéens, Amin Maalouf est de ces conteurs dont on ne se lasse pas. Romancier, il trouve dans les grands destins matière à poétiser, occasion à voyager dans l’espace-temps ou se perdre joyeusement dans l’écriture. Né au Liban, Français d’adoption, Amin Maalouf, membre de l’Académie Française est ce qu’on pourrait appeler un homme pluriel au sens où il déteste les idées reçues, se méfie des clivages partisans et refuse tout contingentement. Avec Léon l’Africain, publié en 1986, Maalouf a exploré avec gourmandise un XVIème siècle où Orient et Occident se fascinent l’un l’autre. Avec Samarcande, publié en 1988, il raconte l’un des plus grands poètes persans, Omar Khayam et à travers lui la fabuleuse route de la Soie, voie royale idéale pour l’écrivain qu’il est.
Orient et Occident, s’ils sont culturellement indissociables, sont aussi en collision constante.
Avec la publication du Labyrinthe des Égarés, l’Occident et ses adversaires, Maalouf poursuit son déambulatoire intellectuel entre Ponant et Levant. Dans un style agréable, l’ouvrage est divisé en quatre parties intitulées respectivement « étincelles japonaise », « paradis des travailleurs » « la longue Marche » et la « citadelle de l’Occident », autrement dit le Japon, la Russie, la Chine et les États-Unis. Pour autant, le livre est-il un ouvrage de géopolitique au sens universitaire du terme ou bien le témoignage d’un homme qui a passé sa vie entre orient et occident ? Chacun jugera par lui-même.
Une chose est sûre : il ausculte notre monde sans cesse en équilibre tel un fildefériste perché au-dessus du vide.
En retraçant succinctement mais clairement les histoires japonaise, russe, chinoise et américaine Amin Maalouf plante le décor d’une pièce aux accents shakespeariens. Mais ce n’est pas une fiction. C’est notre Histoire ! Les conflits militaires, les luttes économiques et les enjeux de puissances nous tiennent en haleine. J’use volontairement de cette expression attribuée généralement aux romans d’aventures, car le livre de Maalouf est à la fois le récit de l’épopée des hommes et le constat selon lequel la guerre se nourrit de la paix et inversement.
Le XXème siècle commence en 1905
« Nous sommes des Orientaux opprimés par les Occidentaux. La victoire des Japonais est la nôtre! » 1. Maalouf à travers les mots d’un Égyptien commentant la victoire japonaise sur les Russes, démontre qu’à ses yeux, le XXème siècle commence en 1905, année durant laquelle se déroulent la guerre russo-japonaise, et l’attaque du Palais d’Hiver à Saint Pétersbourg. Dans les deux cas, même si le « dimanche rouge » de Saint-Pétersbourg n’a pas fait tomber la régime tsariste, on assiste au crépuscule des Tsars et au réveil du nationalisme japonais dont on sait les conséquences avec l’Axe Hitler-Mussolini-Hirohito quatre décennies plus tard. L’auteur s’éloigne sans la moindre réserve de la Doxa qui veut que le XXème débute en 1914 avec la Première guerre mondiale.
La Révolution d’Octobre, si elle marque définitivement la mort du XIXème siècle, ouvre la voie aux grandes idéologies conçues et accouchées au cœur d’une Europe fatiguée, usée, vieillie. Le vieux monde s’égare dans le communisme bolchévique en 1917, le fascisme mussolinien en 1922, le nazisme en 1933 et en Extrême-Orient avec le nationalisme japonais. Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, de ces quatre idéologies, seul le soviétisme survivra encore presque 40 ans. Quant à la Chine arrêtons-nous quelques mots sur son fabuleux destin. Après une foultitude de siècles d’hibernation et de repli sur elle-même, l’Empire du Milieu rouvre les yeux en 1949 avec l’avènement de Mao. Le règne de Deng Xiaoping portera la Chine à ce qu’elle est désormais, la seconde puissance économique du monde tout en restant le plus grand pays communiste du monde. Les États-Unis, — pays neuf si on le compare aux dinosaures historique du Vieux Continent et de la mystérieuse Asie — s’est vite imposé comme une sorte de contre-balancier d’essence libérale.
La géopolitique n’est pas à un paradoxe prêt
Une Chine imprégnée d’un capitalisme sauvage fondu dans un régime ultra-dirigiste, une Europe qui décline, et des États-Unis qui sont pris dans un wokisme victimaire, tel est le monde aujourd’hui. Et en filigrane, un islamisme radical de puissance planétaire et qui a remplacé les blocs Est-Ouest. « Dans les pays de tradition monothéiste le rapport avec la religion se révèle plus pernicieux en raison du lien malsain qui s’est établi entre religion et identité ». Écrit-il assez justement semble-t-il. 2
Désormais il n’y a plus de Mur de Berlin ni de Rideau de fer. Le monde ne connaît plus de séparation. L’enjeu est global. Donc, la guerre est forcément un risque global.
Nous sommes tous liés les uns les autres. L’Histoire est une sorte de mécanisme où les causes répondent à des effets précis.
Autrement dit, non seulement elle n’a pas de fin mais elle connaîtra indéfiniment des chocs civilisationnels renvoyant ainsi dos à dos et le philosophe Francis Fukuyama et l’Américain Samuel Huntington 3
Un livre pour mieux se comprendre
« Je suis persuadé que le monde de demain ne se fera pas contre l’Occident, ni contre l’Asie, ni contre les autres composantes de la grande communauté humaine. Il ne pourra pas se construire sur un champ de ruine. Ils ‘est pas trop tard. Nous avons les moyens de sortir de ce labyrinthe. Encore faut-il par admettre que nous nous sommes égarés 4. Cet essai va très loin, pour tout dire il prend la direction du futur. Un avenir précieux puisqu’il s’agit de celui de nos enfants.
Michel Dray
Le Labyrinthe des Egarés, Grasset, (23 euros)
- Le Labyrinthe des Égarés p.52 ↩
- cité p.421, Amin Maalouf développe cette idée dans « Les Identités Meurtrières » (Grasset, 1998) ↩
- Dans un article qui a fait l’effet d’une bombe dans le milieu intellectuel mondial, le philosophe français François Fukuyama, quelques mois avant la chute du Mur de Berlin a pensé que l’Histoire pouvait avoir une « fin ». En réponse, l’Américain Samuel Huntington en 1996 a publié un livre intitulé « Le Choc des Civilisations » dans lequel il s’appuie sur une vision géopolitique fondée non plus sur des clivages idéologiques politiques mais civilisationnelles dans lesquelles le substrat religieux tient une place centrale. ↩
- cité p. 419 et 436 ↩