A plus de deux siècles d’écart, deux avertissements nous alertent sur les risques qui nous menacent en 2022.
D’abord, celui de Jean-Jacques Rousseau dont la citation relative aux rapports entre le souverain (le peuple, pour nous) et le gouvernement (le prince, pour lui), extraite du Contrat social (1762), mérite qu’on la rapporte entière :
« Il y a cette différence essentielle entre ces deux corps, que l’État existe par lui-même, et que le gouvernement n’existe que par le souverain. Ainsi la volonté dominante du prince n’est ou ne doit être que la volonté générale ou la loi ; sa force n’est que la force publique concentrée en lui : sitôt qu’il veut tirer de lui-même quelque acte absolu et indépendant, la liaison du tout commence à se relâcher. S’il arrivait enfin que le prince eût une volonté particulière plus active que celle du souverain, et qu’il usât, pour obéir à cette volonté particulière, de la force publique qui est dans ses mains, en sorte qu’on eût, pour ainsi dire, deux souverains, l’un de droit et l’autre de fait, à l’instant l’union sociale s’évanouirait, et le corps politique serait dissous. »
Puis, comme un lointain écho, la réflexion de Jean-Paul Demoule à la fin de son chapitre consacré à l’interrogation : « Qui a inventé les chefs (et la servitude volontaire) ? ». Après avoir évoqué les mouvements français de révolte sociale qui ont secoué tant les sociétés urbaines que rurales de l’Ancien régime à 1944, il conclut, comme « Jean-Jacques », qu’« Il est en tout cas exceptionnel qu’un pouvoir trop contraignant parvienne à se maintenir indéfiniment sans provoquer sa chute à plus ou moins brève échéance. »
Si l’on écarte résolument cette issue indésirable du recours à la force, que reste-t-il devant nous à quelques mois des élections de 2022 ?
Du côté du pouvoir présidentiel et de sa majorité encore docile, une absence d’ancrage populaire attestée par les scores obtenus aux différentes élections présidentielles, législatives (2017) et, en dernier lieu, régionales (2021). Le Président élu n’avait recueilli que 18 % des voix des inscrits au premier tour et son mouvement, 13,5 % au même tour des législatives. En 2021, on a peiné à trouver 10 % d’inscrits pour voter pour les candidats soutenus par la majorité présidentielle…
Si l’on regarde vers les élus locaux désignés par une aussi faible minorité d’inscrits, tant en 2020 qu’en 2021, quand bien même peuvent-ils revendiquer une élection tout à fait légale, ils n’en sont pas moins dépourvus de toute légitimité politique et morale.
De toute façon, l’abstention constatée tant pour les élections municipales que départementales et régionales, oblige à conclure que même les élections locales ne mobilisent plus les citoyens et que le mouvement, s’il s’est accéléré dernièrement, date de plusieurs décennies ; encore fallait-il avoir le courage de le relever et de l’analyser…
Si l’on tourne le regard vers la préparation des candidatures à l’élection présidentielle de l’an prochain, le paysage n’apparaît pas plus bucolique. Une « majorité » présidentielle sortante affaiblie par la crise plus ou moins bien maîtrisée – pourquoi donc serait-il impossible d’imposer, aujourd’hui, la vaccination obligatoire, alors qu’une loi de 2017 l’a fait pour 11 autres vaccins ? – menacée par des mouvements sociaux et politiques à la rentrée et qui attend la déclaration de candidature de son champion, laquelle ne pourra forcément – fonction oblige – qu’être annoncée fort tard ; une droite et une gauche, éparpillées, sans ligne directrice apparente pour l’instant ni chef de file identifiable. Des écologistes divisés, artificiellement présentés par la presse comme grands gagnants des élections de 2020 dans quelques villes, alors qu’ils n’ont pas réuni plus de voix d’électeurs inscrits, au premier tour, que leurs concurrents et dont les prises de position désordonnées à propos des principes républicains constitutionnels tels que la laïcité ou la primauté de la langue française, désorientent bien des électeurs potentiels. Un parti qui se refuse à s’afficher à l’extrême droite, même si la majorité de ses partisans s’en réclament, mais qui n’a pas réussi son pari régional.
Des pratiques publiques tolérées par l’État alors qu’elles sont contraires à la République, telles que, par exemple, l’expression en langue corse lors de réunions de l’assemblée territoriale officielle de ce territoire national ou la « prestation de serment » sur un ouvrage écrit en son temps par un auteur qui ne rechigna pas à s’exiler deux fois dans le royaume d’Angleterre, lequel l’avait pourtant trahi in fine, alors adversaire héréditaire de la France. Autre illustration de l’inacceptable : l’arrangement en Provence-Alpes Côte d’Azur, selon lequel une partie seulement de l’opposition dans le conseil régional se voit reconnaître des droits contraires aux règles posées par la loi, en la matière.
Dans l’état actuel des choses, le paysage politique ressemble à un labyrinthe inextricable. Essayons alors de lever la tête par-dessus de ses haies pour apercevoir un autre avenir…
De deux choses l’une, ou bien le Président-candidat sortant parvient à passer le premier tour du 10 avril 2022, ou bien il est blackboulé. S’il réussit l’épreuve, nul doute qu’il se trouvera encore assez d’électeurs pour lui accorder une « majorité » parlementaire suffisante et le pays se retrouvera après ces élections, dans quasiment la même situation politique qu’aujourd’hui… mais avec cinq ans de blocage social, plus ou moins violent et permanent, devant lui. Serions-nous alors confrontés à la situation inquiétante dénoncée par J-J. Rousseau et J-P. Demoule ?
S’il échoue au premier tour, ce qui n’est pas théorique vu les résultats électoraux de 2017 à 2021, alors, très probablement, le second tour verra s’affronter un des candidats issus de la droite ou de la gauche éparpillées actuellement et la candidate d’un parti contre lequel, à défaut de le déclarer officiellement contraire aux principes républicains, on verra se dresser un soit disant « front » qui n’aura de républicain que le nom. Et, d’ailleurs, la situation sera la même si le président-candidat sortant peut se présenter à ce second tour ! Ce qui probablement se réaliserait lors des élections législatives suivantes, c’est que la plupart des citoyens se prononcent contre le résultat de l’élection présidentielle en envoyant à l’Assemblée une majorité opposée à la nouvelle Présidente, inaugurant une cohabitation inusitée, dès le début du nouveau quinquennat…
Bref, dans tous les cas, le choix final des électeurs se fera, encore une fois, contre quelqu’un et non pas pour un programme. Et cela n’aura vraiment rien à voir avec un choix politique dans un pays démocratique.
Une issue aux multiples impasses qui se présentent à nous, résiderait-elle dans l’expression claire et ferme de programmes électoraux présentés, par la droite comme par la gauche, et portés par un seul candidat dans chaque camp ? Leurs « responsables » sont-ils en mesure d’y parvenir à très court terme ? En ont-ils au moins la volonté ou préfèrent-ils, secrètement, le pari du fou : « Après lui, le déluge ! ». Et que sommes-nous, citoyens, pour espérer autre chose ?
Hugues Clepkens