En des temps plus civilisés, une collection de romans de gare s’intitulait Le Masque et la Plume. Heureux temps, où la dictature chinoise n’avait pas encore exporté son coronavirus et certaines de ses méthodes de contrainte sociale. Cette dernière s’est brutalement rappelée à moi lors de récents voyages ferroviaires.Yves Laisné
Paris-Nord, départ pour Lille. Dans le gigantesque hall (où il y a autant d’air que dans la rue) je ne porte pas de masque. Je n’y pense d’ailleurs même pas.
D’un coup, je me vois hélé par un policier en uniforme de Rambo, qui a l’air équipé pour débusquer les talibans dans les montagnes afghanes, accompagné d’une escouade, qui m’intime l’ordre de mettre un masque. Il n’est pas malpoli ou agressif, seulement impérieux. J’aurais pu penser qu’un employé s’adresserait à celui qui le paie (il vit, entre autres, de mes impôts) avec plus de prévenance. D’autant que mes cheveux blancs devraient ajouter au respect du citoyen, celui dû à l’homme d’âge. J’hésite un instant à entamer la discussion, à expliquer à Rambo que j’ai des droits constitutionnels, que, selon la porte-parole du gouvernement, Madame Ndiaye, le masque ne sert à rien propos confirmé par le directeur général de la santé, le docteur Salomon, qu’il rend, de plus, ma respiration plus difficile.
Le train va partir dans quelques minutes. Je soupçonne, peut-être à tort, mais très probablement à raison, mon interlocuteur de ne pas disposer de neurones en suffisance pour comprendre mon discours et que celui-ci risque de m’embarquer dans une marée de treize heures, comme disent les Normands. Avec le risque d’un passage au poste de police et de l’annulation – préjudiciable – de mon voyage. J’ai heureusement un masque dans ma poche. Je m’exécute. Acte de soumission et première humiliation.
Lille Flandres. J’ai dix minutes pour gagner Lille Europe, direction Bruxelles. Pour mieux respirer, alors que je dois me hâter, je découvre mon nez, la bouche restant couverte. À supposer que, contrairement aux affirmations initiales précitées, le masque serve à quelque chose, je ne risque pas d’expulser ces fameuses gouttelettes (virales) par le nez. Au pire je risque de respirer celles des autres, mais il ne devrait pas y avoir de risque, puisqu’ils sont masqués. Et s’il y a un risque, c’est que leur masque, bien que couvrant leur bouche, ne sert à rien. En plus, le risque, c’est moi qui le prends. A-t-on le droit de me protéger contre moi-même ? Apparemment oui. Un agent de la SNCF me fait un signe impérieux du doigt, montrant son nez. Le masque ! intime-t-il simplement. J’évite le conflit. Deuxième acte de soumission, deuxième humiliation.
Un autre jour, gare de Paris-Lyon, partance pour Marseille. Sans masque dans le hall de la gare, j’échappe à l’interpellation. Mais à l’entrée du quai, c’est une autre affaire. Un agent de la SNCF me rappelle que le masque est obligatoire. Je regimbe. Il m’explique que ce n’est pas la SNCF qui a pris cette décision, mais le gouvernement. Je lui rétorque que Madame la porte-parole du gouvernement a dit exactement le contraire. Si vous ne le mettez pas, il vous sera dressé contravention. Et en cas de récidive, on vous fera descendre du train. En marche ? (le train est sans arrêt du départ au terminus). Sa réponse se perd dans un grognement. Difficile de lui expliquer que la récidive impliquerait qu’un juge m’ait condamné pour la première infraction, pour que la seconde puisse être qualifiée de récidive. Pour le coup son cerveau eût viré au clafoutis, pour reprendre une expression chère au regretté Gérard de Villiers. Je mets le masque que j’avais dans ma poche. Troisième acte de soumission.
Mais la vie sociale impose des contraintes dans l’intérêt de tous et de chacun, pourrait-on m’objecter. Sans doute. Mais encore faut-il que ces contraintes, qui sont des restrictions à la liberté individuelle, soient évidemment justifiées. Ce que le port du masque n’est pas ; en tout cas pas évidemment. En témoignent les contradictions des scientifiques et les oscillations de l’OMS, les critiques de divers médecins et la valse-hésitation des politiques. La liberté est de principe, la limitation est d’exception et s’interprète donc restrictivement. Si la restriction de liberté n’est pas évidemment nécessaire, elle n’est que Chapeau de Gessler.
Le Chapeau de Gessler est un épisode (ou mythe) fondateur de l’histoire suisse. Au XIVe siècle, les Habsbourg, qui dominaient cette région, y étaient représentés par des baillis. L’un d’eux Gessler avait eu l’idée d’imposer à la population un exercice de soumission. Ayant fait placer son chapeau à plume au sommet d’un mât, il édicta que tous les passants devaient saluer le chapeau. L’un d’eux l’arbalétrier Guillaume Tell refusa cette humiliation. Il fut conduit devant Gessler qui le condamna, étant dit-on un très habile arbalétrier, à transpercer une pomme posée sur la tête de son fils. Avec l’émotion qu’on peut comprendre, Tell vise et transperce la pomme. Gessler qui assistait à la punition lui demande alors pourquoi il avait préparé un deuxième carreau. Sans se troubler, Guillaume Tell lui répond que c’était pour lui s’il avait atteint son fils. Il est aussitôt arrêté. Alors qu’on l’emmène en prison, il parvient à s’enfuir et prend le maquis. Plus tard, dans une embuscade, il tuera Gessler à l’aide de son arbalète. Ce sera le début de la révolte suisse contre les Habsbourg, qui aboutira à l’indépendance de ce paradis montagneux. Histoire ou légende, peu importe. C’est l’enseignement qui compte.
La contrainte sociale uniquement motivée par l’intention d’obliger à un exercice de soumission, c’est le Chapeau de Gessler d’aujourd’hui. La pandémie du sino-virus a favorisé la multiplication des Chapeaux de Gessler : l’assignation à résidence de toute la population avec obligation, pour avoir le droit de sortir de chez soi, de s’établir une autorisation à soi-même, la poursuite correctionnelle de « récidivistes » qui juridiquement n’en étaient pas, la délégation aux policiers et gendarmes de l’appréciation du bien-fondé d’une sortie de chez soi, la poursuite correctionnelle de pharmacien-ne-s ayant vendu des masques, alors qu’il était interdit d’en vendre à la population, avant… de les rendre obligatoires. Et maintenant l’imposition des masques dans les halls de gare. La justification s’en trouve évidemment dans la seule contrainte sociale, pour laquelle le cas des restaurants est exemplaire : obligation de port du masque pour le personnel et, pour ce qui est des clients, lorsqu’ils entrent ou se rendent aux toilettes ; mais une fois à table, face à leurs commensaux ou à côté d’eux, plus de masque. Difficile en effet de manger avec le masque. Il est donc entendu qu’on pourra se contaminer joyeusement entre commensaux devisant entre eux, mais qu’il faut éviter le risque lors d’un croisement près de la porte des toilettes…
La sanction du défaut de salut du Chapeau de Gessler n’est plus le stress cruel de risquer de tuer son propre fils, mais une simple contravention à 135 euros et, si j’en crois l’agent de la SNCF croisé sur le Paris-Marseille, le risque d’être jeté du train… Les temps se sont adoucis. Pas question non plus de tirer un carreau d’arbalète sur l’agent de la SNCF. Lequel n’y est d’ailleurs pour rien. Il applique les ordres. En 1942, il aurait participé à la Rafle du Vel d’Hiv. Pas de sa faute, ce sont les ordres.
Un intéressant sujet de réflexion sur les « braves gens » qui exécutent avec un empressement servile des ordres liberticides. Et sur cette majorité silencieuse qui se soumet… en silence.
Le totalitarisme est en marche.
Yves Laisné
Docteur en droit
Chef d’entreprises
Auteur de « Le Ve Empire ou la face obscure de l’exception française », Éditions VA Press