Les résultats du deuxième tour des élections parlementaires en France, avec la victoire plutôt inattendue du Nouveau Front populaire, la résurrection du bloc central macronien et la troisième place réservée au RN (malgré le nombre des voix obtenus), autorisent-ils à parler d’un populisme centriste qui a pu, contre toutes les prévisions, de redonner une certaine légitimité au président de la République, tout en marginalisant son ennemi lepéniste ?
Tout dépend de ce qu’on nomme « populisme ». Si on adopte la définition donnée par Pierre-André Taguieff[1], selon laquelle le populisme est un appel direct au peuple (redonner la voix au peuple, selon Macron) dans un sens polémique, en désignant un ennemi à combattre (le lepénisme), ce style politique a pu transformer une élection parlementaire en plébiscite contre le RN (c’est peut-être là le vrai sens de la « clarification » macronienne). La représentation démocratique a été brouillée par un appel au peuple qui a rassemblé et homogénéisé tout le bloc dit « progressiste » contre le mal à abattre : les désistements électoraux au nom du « front républicain » n’étaient en vérité qu’un plébiscite sous une forme représentative truqué.
Le pluralisme démocratique a été hypothéqué en faveur d’un manichéisme de circonstance, qui a permis de redonner de la légitimité aux deux blocs juxtaposés, de la gauche et du centre.
Le républicanisme français a été ainsi instrumentalisé en vue d’une recomposition du champ politique strictement guidée par ce « César romain avec l’âme du Christ », pour reprendre la caractérisation ironique du président « jupitérien » par Taguieff.[2]
Si le plébiscite est un signe populiste, voulu et avancé par le pôle macroniste, avec le consensus actif de toute la gauche, on doit donc parler d’un populisme centriste, et constater que le pari présidentiel, avec la dissolution du parlement sortant, a été plutôt gagné.
Ainsi, dans ce sens, il est important de souligner que ce populisme ne vient pas principalement d’une gauche wokiste, radicale et sociale-libérale à la fois (qui ne parle plus au nom d’un peuple sorti de l’Histoire), même si elle a accepté avec enthousiasme ce cadeau jupitérien (« tout est permis » pour cette gauche, pour parler dostoïevskien), puisque celle-ci trouve son état naturel dans la lutte dite antifasciste.
C’est cet imaginaire antifasciste que la radicalité centriste a volé à la gauche pour en faire le pivot de son retour à la vie. En vérité, le ni-ni centriste (la peur et le rejet des « extrêmes ») a pu politiser son discours, le principal ennemi n’étant pour lui que le lepénisme avançant masqué (l’antisémitisme de gauche étant « résiduel », comme l’a qualifié Mélenchon, ou le fait de « quelques individus », selon BHL, pour ne pas parler de l’aveuglement nihiliste d’un Raphael Glucksmann).
Ainsi, la macronie amorphe, en se présentant comme le seul point fixe au sein d’un chaos menaçant, le stabilisateur d’un ordre en voie de disparition, a pris un visage salvateur.
Le macronisme a vu juste : si le clivage ordre vs chaos est un clivage central sur lequel se construit la menace de l’extrême droite civilisationnelle, la disruption centriste a un sens ! Et le « front républicain » ne devient dans ce cas que la métonymie du « parti de l’ordre » providentiel. De l’extrême gauche on est passé à l’extrême centre, de la « gauche divine » au « centre divin » ! Aussi peut-on parler d’un choc des nihilismes : face au national-populisme du RN, à sa normalisation mal assumée, un autre populisme, une autre clarification nihiliste se profile !
Andreas Pantazopoulos
Politiste, Professeur associé, Université Aristote de Thessalonique
[1] Pierre-André Taguieff, La Revanche du nationalisme. Neopopulistes et xénophobes à l’assaut de l’Europe, Paris, PUF, 2015.
[2] Pierre-André Taguieff, Macron : miracle ou mirage ?, Paris, Editions de l’Observatoire, 2017, p. 167.