Le 10 décembre 1948 au sortir du second conflit mondial, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été adoptée comme un « plus petit dénominateur commun » entre les peuples et les nations.
C’était la vision des vainqueurs qui, comme toutes les visions imposées par la victoire, pouvaient laisser un goût amer au camp perdant[1].
C’est ainsi et désormais dans un monde ordonné avec une pyramide des normes juridiques digne de ce nom, tout doit être en cohérence.
Au sommet, les principes généraux du droit de nature supra constitutionnelle dont les rayons dardent autour du triangle équilatéral qui figure au fronton de la déclaration…
Il peut y avoir une vision politique proudhonienne[2] en forme de « notre projet pour la France » mais cette Liberté, cette Egalité[3], cette Fraternité entre les hommes ainsi déclarées comme symboles de la République pourraient ressembler à de splendides ornements sur un sarcophage lequel renfermerait, en pratique une momie, si l’esprit n’habitait plus la lettre…
Le social devient un mode de communication dont on pourrait croire qu’il est recherché par le gouvernement, comme une forme de communication directe avec les manifestants qui, comme dans un fim de Jean YANNE scandent leur mécontentement en attendant de recevoir leur salaire.
Déjà des manifestations se feront entendre en convergence contre les réformes qui semblent surprendre alors qu’elles ont toujours été annoncées.
Nous n’aborderons pas ce point des rapports entre le social et le politique qui a lui seul pourrait faire l’objet d’une étude.
Nous n’aborderons non plus pas ici le difficile débat entre la statistique et l’esprit des lois…
Au-delà de l’avis du Conseil d’Etat[4] qui semble mettre l’essentiel du dispositif proposé dans le champ règlementaire; le texte commenté se préoccupe beaucoup de la constitutionnalité des mesures proposées, rappelle à plusieurs reprises les vertus cardinales de la République : Fraternité, Laïcité… et invoque sa conformité à certaines normes supra nationales faisant partie du « bloc de constitutionnalité en mettant tout cela en balance avec des données chiffrées qui, in fine peuvent servir de justificatif. »
L’exercice recèle des trésors d’habileté politique qui feront que le texte sera certainement soutenu par une majorité des français dont les idées sur les étrangers sont compatibles avec l’esprit d’une réforme qui semble écrite pour cela.
Sur chaque titre du projet, le Conseil d’Etat a émis un avis qui sera nécessairement pris en compte.
Ainsi le texte prévoit « que le juge des libertés et de la détention tient compte des circonstances particulières liées notamment au placement simultané en zone d’attente d’un nombre important d’étrangers pour l’appréciation des délais relatifs à la notification de la décision, à l’information sur les droits et à leur prise d’effet. », le Conseil d’Etat « Le Conseil d’Etat estime que ces dispositions, qui font écho aux dispositions similaires déjà prévues, s’agissant du placement en rétention administrative, à l’article L. 743 9 du CESEDA et qui tirent les conséquences, pour ce qui concerne le placement en zone d’attente, des dispositions du second alinéa de l’article L. 343 1 du CESEDA en vertu desquelles, en cas de placement simultané d’un nombre important d’étrangers, la notification et l’exercice des droits s’effectuent dans les meilleurs délais, compte tenu du nombre d’agents et d’interprètes disponibles, ne soulèvent pas de difficulté juridique. »
Cette disposition insérée à la fin du projet est très emblématique de l’esprit du texte : l’efficacité !
Le gouvernement cherche peut-être sans attendre le vote du texte une opération intérieure « test » pour expérimenter la pertinence du projet[5] ?
Cette vertu n’est pas, « jusque-là » inscrite au fronton de la République.
En tout état de cause l’incorporation en droit français de principes prétendument tirés d’ordres juridiques externes ne doit pas en principe porter atteinte à ces notions cardinales qui étaient jusqu’ici consacrées.
La République doit en principe prendre des lois conformes au bloc de constitutionnalité aux traités et au droit européen sans parler des conventions particulières et ce n’est qu’in fine que les destinataires de la loi seront appelés à s’y soumettre.
Logiquement le droit français ne peut ériger d’écran entre des principes supérieurs tirés du droit international et spécialement d’une directive européenne au prétexte de la transposition ou de l’incorporation en droit interne lorsque l’exercice est nécessaire.
Les opérations d’expulsions en cours à Mayotte ne laissent rien augurer de bon pour l’unité de la République[6]…
Le « clair-obscur » entretenu entre les ordres externe[7], européen et la Constitution française est exposé par le conseil constitutionnel : « Rappelons en premier lieu qu’aux termes de l’alinéa 14 du préambule de la Constitution de 1946, « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international (…) ». Cet alinéa complété par le suivant, en l’occurrence l’alinéa 15, correspond aux idées développées par Georges Scelle (voir son impressionnant Précis de droit des gens) dont l’influence sur cette lecture constitutionnelle des rapports entre ordres juridiques est avérée. Pour être complet, ajoutons que ces dispositions correspondent également au sens de l’Histoire, les lendemains de la seconde guerre mondiale ayant été propices à l’émergence d’organisations internationales et européennes et à l’idée que le nationalisme juridique et/ou la souveraineté des États devaient être encadrés voire limités par une « communauté internationale » (l’expression étant à utiliser avec grande précaution). Ces dispositions du préambule de la Constitution de 1946, rédigées pour le droit international public, rappellent l’engagement souverain de l’État à être lié au droit dit externe et ensuite sa responsabilité à respecter son engagement.
Bien qu’il n’existe pas de déclaration universelle du droit des « flux » on remarquera non sans ironie que de plus en plus les citoyens nourrissent le sentiment d’être traités comme des « données statistiques » d’entrée et de sortie et les systèmes de vie ordonnée en société comme des « régulateurs de flux ».
Ainsi le juge, jusqu’ici acteur d’un système de résolution de conflit ou producteur de solution juridique, pourrait, devenir un ordonnateur de « gestion de stocks » qui serait soumis à des statistiques.
Ce faisant « l’efficacité et le résultat » prendraient le pas au nom de « la bonne gestion » sur des normes érigées au rang de vertus cardinales pour des Etats soucieux du respect d’une certaine conception de la dignité humaine.
Cette dignité humaine est souvent bafouée par les guerres et l’exil qui s’en suit et cette réalité n’a certainement pas échappé aux rédacteurs du projet.
En effet il faut saluer un véritable effort pour tenter de renforcer en pratique la lutte contre l’exploitation des étrangers en situation précaire.
Le travail parlementaire qui ne manquera pas de suivre, en particulier celui qui consistera a amender le projet sera certainement productif et digne d’intérêt.
La France possède avec l’OFPRA et Cour Nationale du Droit d’Asile, un système intégré de solution pour répondre aux demandes d’asile.
Sans être parfait n’en est pas moins remarquable avec un mécanisme intégré et centralisé d’interprétariat, une procédure jusqu’ici lisible et unifiée pour appliquer les textes internationaux et français relatifs à l’asile accordé par la France.
L’Egalité de traitement et l’accès à la justice devraient aussi être garantis aux demandeurs d’asile.
A ce propos dans un guide pratique relatif aux populations vulnérables le Haut-Commissariat aux Réfugiés a souhaité que par principe et afin de faire en sorte que chaque migrant puisse jouir d’une protection adaptée de ses droits, la situation de chaque personne doive être évaluée au cas par cas.
Un guide[8] très simple et clair montre les droits auquel tout citoyen peut prétendre lorsqu’il est en situation de demander l’asile.
Tout d’abord un principe est réaffirmé encore : primauté et prévalence des droits de l’homme.
Suivent, non-discrimination, accès à la justice, secours et assistance immédiats…
C’est toujours avec cette lecture des principes cardinaux qui fondent notre dispositif ordonné de vie politique que nous avions formé un commentaire sur le projet de réforme du droit d’asile[9].
Nous ne feindrons donc pas de découvrir le projet qui était très clairement exprimé par le chef de l’Etat.
Le mode opératoire pour « simplifier » et « améliorer l’efficacité du système de reconduite à la frontière » deviennent plus précis.
L’étude d’impact[10] n’a pas fini de faire couler de l’encre…
Entre les « vrais pratiquants des droits de l’homme », les pratiquants « du dimanche » et ceux qui se réjouissent des réponses en termes d’accès au droit qui serait différent à suivre la méthode en fonction de la situation géographique des requérants, la discussion est ouverte[11]…
Les débats seront intéressants dans la mesure où ils mettront encore en lumière les grands démons qui hantent les législations touchant aux étrangers dans des périodes de crise[12].
Jacques-Louis Colombani
Avocat et docteur en droit
Photographie, Copyright Sarah COLOMBANI: The six last month of the jungle of Calais 2015/2016 “short selection of pictures taken in the refugee camp of Calais aka “the Jungle” from December 2015 to it’s demolition in June 2016.” https://www.behance.net/gallery/65723299/THE-SIX-LAST-MONTHS-OF-THE-JUNGLE-OF-CALAIS-20152016
[1] https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-ldm-2002-2-page-9.htm
[2]https://www.google.com/search?q=r%C3%A9volution+macron&ei=QGb3Y5aaGezkxc8P55OKkAU&ved=0ahUKEwiWuvGf3Kv9AhVscvEDHeeJAlIQ4dUDCA8&uact=5&oq=r%C3%A9volution+macron&gs_lcp=Cgxnd3Mtd2l6LXNlcnAQAzIFCC4QgAQyBQgAEIAEMgYIABAWEB4yBggAEBYQHjIGCAAQFhAeMgkIABAWEB4Q8QQyBggAEBYQHjIJCAAQFhAeEPEEMgYIABAWEB4yCQgAEBYQHhDxBDoLCAAQgAQQsQMQgwE6EQguEIAEELEDEIMBEMcBENEDOgsILhCABBCxAxCDAToICAAQsQMQgwE6DgguEIAEELEDEIMBENQCOggILhCABBDUAjoECAAQQzoECAAQAzoKCC4QxwEQrwEQQzoHCAAQsQMQQzoICAAQgAQQsQM6CAgAEBYQHhAKSgQIQRgAUABYxCpg9S5oAXAAeACAAXyIAawOkgEENS4xMpgBAKABAbABAMABAQ&sclient=gws-wiz-serp
[3] https://www.lexpress.fr/politique/elections/video-macron-explique-la-difference-entre-droite-et-gauche-a-des-enfants_1889556.html la place de l’Egalité dans le typique républicain expliquée aux enfants des écoles par le président de la république
[4] https://www.conseil-etat.fr/avis-consultatifs/derniers-avis-rendus/au-gouvernement/avis-sur-un-projet-de-loi-pour-controler-l-immigration-ameliorer-l-integration#:~:text=Le%20Conseil%20d’Etat%20juge,notamment%20aux%20stipulations%20de%20la
[5] https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/selon-le-canard-enchaine-le-ministre-de-l-interieur-prepare-une-expulsion-massive-1368898.html
[6] https://la1ere.francetvinfo.fr/mayotte/comores-les-expulsions-de-mayotte-sont-denoncees-par-l-opposition-comorienne-1373122.html
[8] https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/Migration/PrinciplesAndGuidelines.pdf
[9] https://www.revuepolitique.fr/category/economie/, v. note de bas de p. n°10 et commentaire
[10] https://www.gisti.org/IMG/pdf/pjl2023_2023-02-01_ei_-iomv2236472l_cm_1.02.2023.pdf
[11] https://www.gisti.org/spip.php?article6862
[12] https://www.senscritique.com/film/la_barque_est_pleine/492737