Le 14 décembre dernier, Emmanuel Macron annonçait les résultats de la Convention citoyenne sur le climat. Parmi ses propositions, dont une grande majorité a été retenue par le Gouvernement, on peut retrouver la suppression de certaines lignes aériennes intérieures ou encore l’interdiction de l’extension des zones commerciales périurbaines. Le Président de la République avait également annoncé que la proposition phare de la Convention citoyenne sur le climat serait elle aussi retenue : l’organisation d’un référendum ayant pour objet de modifier l’article 1er de la Constitution afin « d’introduire la biodiversité, l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ». Plusieurs parlementaires, à l’instar de Bruno Retailleau, ont dénoncé ce référendum qu’ils considèrent inutile. Il est pour autant permis de se demander si ce référendum aurait au moins le mérite de rendre au peuple une partie de sa souveraineté.
La Convention citoyenne sur le climat : une institution tout sauf représentative
Avant d’aborder la question du référendum, il convient d’analyser l’institution à l’origine de cette proposition : la Convention citoyenne sur le climat et le dévoiement démocratique qui a permis son avènement.
En effet, la démocratie française s’est construite autour de la représentativité du peuple par ses élus. Ce système, définit par le philosophe Benjamin Constant, se fonde sur « une procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n’a pas le temps de les défendre toujours lui-même »1.
La légitimité de ce modèle démocratique vient du fait que tout individu n’est pas qu’un citoyen.
En effet, il peut aussi être un salarié, un dirigeant d’entreprise, un père, une mère, un étudiant, etc. Le pouvoir législatif doit donc être délégué à des représentants, par voie de mandat. Il suffit de prendre l’exemple de notre Nation de plus 67 millions d’habitants2 pour comprendre la nécessité de cette démocratie représentative en France, tant il serait impossible d’obtenir pour chaque décision l’approbation de la totalité du peuple.
Malgré la nécessité d’opter pour un régime représentatif, une crise de confiance des citoyens envers leurs élus s’est petit à petit développée en France, comme en témoigne un rapport parlementaire rendu le 17 mai 2017 et proposant dix solutions pour résoudre cette problématique. Parmi celles-ci, on retrouve le recours plus régulier « aux consultations numériques et aux panels de citoyens pour la préparation des réformes et l’élaboration des textes législatifs »3.
Cette proposition a ainsi été retenue par le Premier ministre pour traiter de la lutte contre le réchauffement climatique : une convention de 150 Français, tirés au sort, a eu pour objectif « d’impliquer toute la société dans la transition écologique à travers un échantillon représentatif des citoyens ». A défaut d’être des représentants du peuple, ils seront donc « représentatifs » de celui-ci puisque l’échantillon de citoyens choisis pour siéger doit être le reflet exact de certaines catégories de la société. Il est ainsi composé de 49 % d’hommes et 51 % de femmes, de 26 % de retraités, de 12 % d’étudiants, de 18 % de 64 ans et plus, etc. Cette solution est présentée comme « une des clés de voûte pour réparer les fractures de notre société et renforcer notre démocratie »4. Mais peut-on réduire la diversité de la population française à des catégories socio-professionnelles ou des caractéristiques physiques ? Cette approche erratique paraît d’autant plus discutable que les avis sur la question environnementale n’ont pas été prises en compte dans le choix des membres de la Convention : seul un de ces membres – sur 150 – serait “climatosceptique” alors que 23 % de la population française ne croirait pas au réchauffement climatique5. On aurait pu penser qu’installer un vrai débat sur l’environnement aurait été bénéfique, mais cela n’est apparemment pas l’objectif du Gouvernement pour qui l’ambition de cette convention était « d’aller plus vite dans la lutte contre le changement climatique et de donner davantage de place à la participation citoyenne dans la décision publique ». Une accroche équivalant à une pré-sélection idéologique, puisque l’on peut supposer que seules des personnes a priori mobilisées dans cet objectif étaient capables de sacrifier vingt et un jours pour participer à la Convention.
S’ils ne sont investis d’aucun mandat populaire et ne sont vraisemblablement pas « représentatifs » du peuple, les membres de la Convention climat n’ont pour seule légitimité que d’être tirés au sort selon des critères arbitrairement édictés par le Gouvernement ; légitimité bien maigre quant aux enjeux auxquels ils doivent faire face. Aucune délégation du peuple, pourtant principal pouvoir constituant, ne leur a été consentie. Cette force de proposition constitutionnelle aurait pu rester entre les mains du Président de la République ou a minima entre celles du Parlement, institution déjà à l’origine de plusieurs propositions de révision constitutionnelle en faveur du climat.
Un objectif constitutionnel déjà atteint
Le référendum qui sera donc présenté au peuple français n’a qu’une ambition affichée : inscrire les notions de « biodiversité, d’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique » dans la Constitution. Si cette initiative est louable, elle peut néanmoins être considérée comme superflue, et ce à double titre.
En effet, les membres de la Convention citoyenne sur le climat ne sont pas pionniers dans ce combat : déjà en 2019, un projet de réforme constitutionnelle dit « pour un renouveau de la vie démocratique » avait été présenté en Conseil des ministres afin d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que « La France favorise la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre les changements climatiques »6. Néanmoins, la démission du gouvernement Philippe semble avoir eu raison de ce projet de loi constitutionnelle, qui n’a pour l’heure jamais été présenté à l’Assemblée nationale.
De plus, comme l’ont souligné de nombreux auteurs, la Charte de l’environnement de 2004 remplit déjà l’office de protecteur constitutionnel de l’environnement. Ce texte affirme notamment « que la préservation de l’environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation »7 ou encore « que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable »8. Cette charte a d’ailleurs été intégrée au bloc constitutionnel à la faveur de la révision constitutionnelle du 1er mars 20059. Ainsi, au même titre que tous les principes intégrés au bloc de constitutionnalité depuis la décision « Liberté d’association » du 16 juillet 197110, la Charte de l’environnement a valeur constitutionnelle. Autrement dit, les principes de la Charte font partie intégrante de la Constitution de la Ve République.
La présence de la Charte de l’environnement au sein du bloc de constitutionnalité lui offre une efficience juridique particulière : elle peut servir de norme de référence lors de tout contrôle de constitutionnalité. Ainsi, toute loi adoptée par le Parlement, si elle n’est pas conforme à la Charte, devra être abrogée par le Conseil constitutionnel. A titre d’exemple, la loi de finance 2010 a été une des premières lois censurées au visa d’une disposition de la Charte de l’environnement11. Plus récemment, le Conseil constitutionnel a également choisi de faire primer les dispositions de la Charte sur la liberté d’entreprendre. En effet, dans une décision du 31 janvier 2020, la légalité d’une interdiction légale de production, de vente et d’exportation d’un pesticide a été validée par les sages de la rue Montpensier, au motif que « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif de valeur constitutionnelle »12.
Le juge constitutionnel n’est d’ailleurs pas le seul à utiliser cette charte comme une norme de valeur supra législative : les tribunaux de l’ordre judiciaire ont reconnu pleinement ses effets, en premier lieu le droit de vivre dans un environnement respectueux de la santé13.
Le juge administratif, quant à lui, a aussi pleinement reconnu la valeur constitutionnelle de la charte dans plusieurs arrêts rendu par le Conseil d’Etat1415.
Dès lors, si aucune disposition législative ne peut être prise en contrariété avec cette charte, utilisée par toutes les juridictions nationales, l’apport juridique d’une inscription de la lutte contre le réchauffement climatique dans la Constitution de 1958 apparaît infime, si ce n’est nul.
Le référendum sur le climat, tout comme la réforme constitutionnelle de 2019 « pour un renouveau de la vie démocratique », n’aboutirait finalement qu’à inscrire un doublon dans le texte suprême de notre ordre juridique.
Cela va l’encontre de la pensée du Doyen Hauriou, qui voyait dans la Constitution un texte quasi sacré, à ne modifier qu’en cas de « dernière nécessité »16, que l’on a du mal à entrevoir en l’espèce.
Cet ajout superfétatoire n’est pas le seul élément critiquable de ce futur référendum. En effet, on peut remarquer que le texte même de l’amendement proposé au peuple créé une problématique quant à la responsabilité de l’Etat en matière environnementale.
Le référendum climat : vers une responsabilité automatique de l’Etat en matière de préjudice écologique
C’est dans l’ambiance calfeutrée du Grand Amphithéâtre du Conseil Economique, Social et Environnemental, que Grégoire Fraty, véritable chef spirituel et figure de proue de cette convention citoyenne, présente le texte au Président de la République. Ce « citoyen lambda »17 demande à ce que soit inscrit à l’article 1er de la Constitution que « [La France] garantit la préservation de la biodiversité et de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ». Il soutient que le verbe « garantir » doit absolument être inclus dans cet article 1er. Quelques minutes plus tard, lorsque le Président de la République annonce que cette proposition sera retenue et qu’un référendum sera organisé, l’édile citoyenne demande au Chef de l’Etat de confirmer si le référendum porterait « sur les mêmes termes que ceux de la Convention Citoyenne, avec le terme « Garantir » ? ». Emmanuel Macron, imperturbable, répond par l’affirmative.
Pourquoi cette rigueur sémantique ? Le Conseil d’Etat s’est penché sur la question à l’occasion d’un avis rendu le 14 janvier dernier. Les juges du Palais-Royal craignent que ce projet de référendum impose « aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d’être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement résultant de l’article 2 de la Charte de l’environnement »18. Difficile de faire plus clair. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que le Conseil d’Etat pointe du doigt la légèreté sémantique du législateur : déjà en 2019, le Conseil d’Etat, traitant du projet de loi constitutionnelle « pour un renouveau de la vie démocratique », avait conseillé au Gouvernement l’utilisation du terme « favoriser » au lieu « d’agir », de peur de voir l’Etat tenu d’une obligation d’agir en matière environnementale.
Les masques tombent. Étant donné l’insistance avec laquelle Grégoire Fraty souhaitait l’utilisation du terme « garantir », on peut douter de la pureté des intentions des membres de la Convention citoyenne sur le climat. Rappelons que ces citoyens étaient conseillés par un Maître de Conférences en droit public et par un juge du Conseil d’Etat19 : ils ne pouvaient donc ignorer la portée de la révision constitutionnelle qu’ils proposaient. Cette démarche a d’ailleurs été qualifiée de « politique » par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili20. Au fond, il est possible d’estimer que l’inscription dans la Constitution des notions de biodiversité et de lutte contre le réchauffement climatique n’est qu’une façade.
Leur finalité serait tout autre : rendre l’Etat systématiquement responsable de toute une atteinte constatée à l’environnement.
Cet objectif n’est pas sans rappeler celui de plusieurs célébrités, comme Marion Cotillard ou Juliette Binoche, qui ont intenté une action en responsabilité contre l’Etat pour son inaction en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est la désormais célèbre et autoproclamée « Affaire du Siècle » (rien que ça) qui a été initiée il y a deux ans maintenant et qui a connu un premier dénouement le 3 février dernier. Dans sa décision, le Tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique, tout en soulignant qu’une telle réparation devait s’effectuer prioritairement en nature, « les dommages et intérêts n’étant prononcés qu’en cas d’impossibilité ou d’insuffisance des mesures de réparation ». Pour ce motif, la cour rejette les conclusions des associations requérantes tendant à la réparation pécuniaire dudit préjudice. Toutefois, le juge a donné rendez-vous aux parties dans deux mois, le temps de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation.
En outre, l’existence d’un préjudice moral a été reconnu au profit des quatre associations « compte tenu des carences fautives de l’État à mettre en œuvre des politiques publiques lui permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre qu’il s’est fixés »21.
Si l’Etat n’a pour l’instant été condamné à verser qu’un euro symbolique aux requérants, les conséquences juridiques mais aussi pécuniaires de cette décision pourraient être dramatiques tant l’Etat pourrait devenir la cible d’actions en responsabilité de plus en plus nombreuses, qui n’aboutiront plus cette fois au versement d’un simple euro mais à des montants potentiellement astronomiques, au grand dam du contribuable.
Pourtant, une fois encore, la modification de l’article premier de la Constitution, telle que voulue par la Convention citoyenne sur le climat, n’apporterait rien de plus puisque l’Etat a déjà été reconnu responsable d’une « partie du préjudice écologique, dès lors qu’il n’avait pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre »22, au simple visa de l’article 3 de la Charte de l’environnement – encore elle – et de l’article 1246 du Code civil23.
Si la réforme constitutionnelle est proposée telle quelle par référendum, il semble désormais évident qu’elle n’aura aucune influence juridique dans la lutte contre le réchauffement climatique.
En effet, tous ses objectifs – affichés ou non – sont d’ores et déjà atteints. Si l’unique référendum proposé en quinze ans a pour vocation d’adopter un texte inutile, alors le Gouvernement n’a pas pris la mesure de la crise démocratique – sans parler de la crise environnementale – qui s’installe progressivement dans la société française.
Guillaume Leroy
Doctorant en droit, chargé d’enseignement à l’Université Paris II Panthéon-Assas
Responsable du pôle constitutionnel du Cercle Droit et Liberté
- Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes (1819) ↩
- https://www.insee.fr/fr/statistiques/1892086?sommaire=1912926 ↩
- http://www.senat.fr/presse/cp20170523.html ↩
- Dossier de présentation de la Convention Citoyenne sur le Climat, p.9 ↩
- https://www.datapressepremium.com/rmdiff/2008572/Etude-OpinionWay-pour-PrimesEnergie.fr.pdf ↩
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2203_projet-loi#B2740588386 ↩
- https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/la-charte-de-l-environnement ↩
- Idem ↩
- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000790249 ↩
- Décision n°71-44 DC du 16 juillet 1971 ↩
- Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009 ↩
- Décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020 ↩
- Tribunal correctionnel d’Orléans, 9 décembre 2005 ↩
- Conseil d’Etat, Assemblée, 3 octobre 2008, n°297931 ↩
- Conseil d’Etat, 3ème et 8ème sous-sections réunies, 24 juillet 2009, n°305314 ↩
- Maurice HAURIOU, Précis de droit constitutionnel, Sirey, 2e éd., 1929, pp. 256-259 ↩
- https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/convention-citoyenne-sur-le-climat/convention-citoyenne-pour-le-climat-le-citoyen-lambda-que-nous-etions-s-est-vu-au-coeur-de-la-machine-se-souvient-un-des-participants_4287433.html ↩
- https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-constitutionnelle-completant-l-article-1er-de-la-constitution-et-relatif-a-la-preservation-de-l-environnement ↩
- https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/groupe-appui/ ↩
- https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/convention-citoyenne-sur-le-climat/convention-citoyenne-pour-le-climat-une-partie-des-citoyens-sont-dans-une-demarche-politique-accuse-barbara-pompili_4316723.html ↩
- http://paris.tribunal-administratif.fr/content/download/179360/1759761/version/1/file/1904967190496819049721904976.pdf ↩
- http://paris.tribunal-administratif.fr/Actualites-du-Tribunal/Communiques-de-presse/L-affaire-du-siecle ↩
- Article 1246 du Code Civil : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer » ↩