Depuis quelques mois, le Vietnam semble attirer une attention particulière des grandes puissances, comme les Etats-Unis, la Chine et dans une moindre mesure, l’Europe. On peut donc s’interroger sur les raisons qui font de ce pays un allié si crucial actuellement. C’est évidemment un partenaire commercial significatif, bénéficiant d’une dynamique démographique favorable, et d’un système éducatif performant. Ensuite, le Vietnam est l’une des économies les plus ardentes de la région asiatique, avec un taux de croissance moyen du PIB d’environ 7 %, au cours de la dernière décennie. Enfin, Hanoï joue un rôle important au sein de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et profite d’excellentes relations avec les autres pays importants de la région, comme l’Australie, l’Inde, le Japon, Singapour et la Corée du Sud.
Ainsi, face à la nécessité de rendre les chaines d’approvisionnement mondiales moins dépendantes de la Chine, l’Europe et les Etats-Unis ont besoin du Vietnam. En outre, avec une population supérieure à 100 millions d’individus, un revenu moyen d’environ 2 700 dollars par habitants et un pouvoir d’achat qui augmente de manière continue, le Vietnam est désormais un marché trop important pour être ignoré par les entreprises occidentales. Or, le Vietnam est justement en quête de capitaux étrangers, afin de monter en gamme sur le plan technologique et pour accroitre son accès au marché international. D’ailleurs, le pays peut déjà revendiquer quelques succès dans le domaine de l’industrie ou de la technologie. Par exemple, la récente introduction au Nasdaq de VinFast, le fabricant vietnamien de véhicules électriques, dont la valorisation boursière a progressé pour atteindre plus de 85 milliards de dollars. De plus, la licorne vietnamienne VNG Corporation, qui vise également une prochaine introduction en bourse fin septembre, cherche, quant à elle, à atteindre la barre des 150 millions de dollars de valorisation.
Dans cette compétition entre puissances pour s’affirmer au Vietnam, la France dispose de nombreux atouts pour intensifier sa relation bilatérale.
En effet, Hanoï attache une importance particulière à sa coopération avec Paris, considérant la France comme un allié historique important, à la fois en matière de politique étrangère et de partenariat économique. Les deux pays bénéficient ainsi d’une excellente confiance mutuelle. À la fin des années 80, la France avait d’ailleurs été le premier pays à améliorer ses relations avec le Vietnam, en annulant sa dette, et en l’aidant à négocier avec ses créanciers membres du Club de Paris. La France a également été l’un des premiers pays occidentaux à soutenir la politique de réforme du Vietnam et à encourager le développement et l’ouverture du pays.
Mais, quels sont les aspects les plus pertinents où renforcer la coopération et quels sont les grands enjeux des relations du monde occidental avec le Vietnam ?
Tout d’abord, le potentiel d’accroissement des échanges et des investissements est très important.
Les investissements directs étrangers (« IDE ») sont clairement le moteur du développement économique du Vietnam et de son intégration économique internationale.Ils représentent environ 35 % de la production industrielle et 23 % des exportations du pays. Ainsi, le Vietnam devrait attirer 38 milliards de dollars d’IDE en 2023, soit une croissance escomptée de plus de 70 % par rapport à 2022. Or, les IDE vers le Vietnam sont encore très modestes par rapport à ceux de ses concurrents régionaux. En effet, les IDE au Vietnam représentent à peine 2 % du montant des IDE en Chine, d’où l’énorme potentiel de croissance, dans un contexte où la Chine devient moins attractive. Par exemple, le Vietnam cherche des investisseurs pour devenir un acteur majeur de l’industrie des semi-conducteurs, quand l’hégémonie de Taiwan dans ce secteur représente un risque pour la sécurité de l’approvisionnement. L’énergie est un autre secteur dans lequel la coopération internationale va s’intensifier, dans la mesure où le Vietnam rêve d’accroitre ses capacités dans le domaine du gaz naturel liquéfié (« GNL ») et de l’éolien offshore.
Ensuite, d’un point de vue géopolitique, le Vietnam est très courtisé par les deux rivaux que sont les États-Unis et la Chine.
Alors que les relations entre Washington et Pékin continuent de se tendre, l’administration Biden a tout mis en œuvre pour renforcer ses liens avec les gouvernements d’Asie du Sud-Est, en particulier le Vietnam. Cela constitue d’ailleurs un casse-tête pour Hanoï en matière d’alliance. D’une part, le Vietnam essaye d’endiguer les revendications de Pékin en mer de Chine méridionale, source quasi permanente de tensions pour la région. D’autre part, la Chine demande au Vietnam de ne pas coopérer avec les États-Unis contre la Chine et tente de convaincre Hanoï des avantages d’une bonne relation bilatérale avec une grande puissance frontalière. En conséquence, le Vietnam cherche à maintenir des liens équilibrés avec les grandes puissances mondiales, en particulier avec les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU (Chine, France, Russie, Royaume-Uni et États-Unis). Renforcer les liens avec les États-Unis perturberait l’équilibre actuel et mettrait en péril les relations du Vietnam avec la Russie et la Chine, surtout si Hanoï et Washington élèvent trop le niveau de leur relation. De fait, la ligne d’équilibre géopolitique entre le Vietnam et Washington s’avère difficile à tracer, car Hanoï reste très réticent à améliorer formellement ses relations avec son ancien ennemi, alors qu’il n’a pas hésité à renforcer ses relations militaires et commerciales avec l’Australie, l’Inde, le Japon et la Corée du Sud. Clairement, la longue histoire de conflits territoriaux et de méfiance mutuelle entre Pékin et Hanoï ne semble affaiblir ni leur interdépendance économique, ni leur solidarité de gouvernements « socialistes ».
Enfin, la question du respect des libertés est un point de vigilance pour les Occidentaux, à cause du système politique « à la chinoise », qui prévaut encore aujourd’hui au Vietnam et du bilan mitigé du pays en matière de droits de l’homme.
D’ailleurs, une partie de la direction du Parti Communiste Vietnamien (« PCV ») s’est toujours inquiétée du fait que les Occidentaux chercheraient à renverser le système politique autoritaire à parti unique du Vietnam, par le biais de changements culturels progressifs ou même de troubles sociaux semblables aux « révolutions de couleur » pro-occidentales, qui ont balayé le monde post-soviétique dans les années 1990.
La France peut légitimement espérer tirer son épingle du jeu : si la France et le Vietnam ont eu un passé jalonné de périodes difficiles, y compris la guerre, les deux pays voient aujourd’hui leurs intérêts converger dans les affaires internationales. Ainsi, la France investit environ 200 millions d’euros d’Aide pour le développement (« ADP ») chaque année pour le Vietnam, en mettant l’accent sur le changement climatique, la transition énergétique et la croissance verte. Le Vietnam est également l’un des rares pays à bénéficier des trois canaux d’aide financière de la France, à savoir l’APD du Trésor, les prêts concessionnels de l’Agence française de développement (« AFD ») et le Fonds de solidarité prioritaire (« FSP »). De plus, le commerce bilatéral entre la France et le Vietnam a triplé en 10 ans, passant de 1,6 milliard de dollars en 2009 à 5,3 milliards de dollars en 2019. Mais, la France n’est actuellement que le cinquième partenaire commercial européen du Vietnam, après l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l’Italie. De fait, la marge de progression est encore certaine et sans doute indispensable.
En somme, il semble donc évident que la France a tout intérêt à continuer de renforcer ses liens avec le Vietnam, dans un environnement où les relations avec la Chine et les Etats-Unis deviennent plus complexes et où les IDE des pays occidentaux en Asie vont être réallouées.
Gageons que de nombreuses entreprises françaises vont choisir d’investir au Vietnam, non seulement en raison du potentiel de son marché intérieur, mais aussi parce que c’est une localisation favorable pour développer ses affaires dans toute la région ASEAN et plus largement la zone Asie-Pacifique.
Guillaume du Cheyron
Spécialiste de la Finance d’Entreprise
Président de G2C Corporate Finance
Senior Advisor chez Kingsrock