Il s’agit tout bonnement d’aller chercher des « parties prenantes », laïques, ou non musulmanes pour relativiser des conclusions empiriques d’un document qui prend acte d’un mouvement diffus, continu, étendu sur plusieurs décennies et dont les résultats se visibilisent toujours plus. Quelques chiffres suffisent à souligner l’extension du phénomène. Ainsi est-il recensé entre autres dans le rapport près de 140 mosquées affilées à « Musulmans de France » (ex-UOIF), 68 autres lieux considérés comme en proximité idéologique dans plus d’un cinquantaine de départements, 280 associations référencées et 53 revendiquées officiellement, 21 établissements scolaires dont 5 sous contrats… La réalité chiffrable ne suffit pas à rendre compte de l’exhaustivité du phénomène qui trouve également dans les instances sportives, les réseaux sociaux et parfois l’espace médiatique des relais efficients pour décliner, souvent implicitement, plus rarement explicitement, le modèle de contre-société préconisé par les fréristes.
Trois paramètres concourent à l’offensive idéologique : la dissimulation (la taqîya), cheval de Troie du travail d’influence du frérisme, outil d’adaptation aux circonstances et rapports de force du moment ; l’auto-culpabilisation post-coloniale suscitée au travers notamment de l’usage de la notion d’ « islamophobie » visant à briser toute critique et toute mise en alerte ; la recherche par capillarité des alliés, « idiots utiles » médiatiques pour certains, élus à la recherche de « clientèles électorales » pour d’autres, agents idéologiques également pour lesquels la lutte contre les diverses nuances d’islamisme serait d’abord motivée par des logiques stigmatisantes, voire extrémistes. L’islamo-gauchisme dont d’aucuns nient la pertinence et l’existence, nonobstant sa viralité électorale sur un certain nombre de territoires se double d’un islamo-boboïsme qui vise à minorer la menace, voire la nier, et souvent à préconiser sans forcément l’expliciter un accommodement à des pratiques orthogonales de notre modèle national. Le communautarisme revendiqué s’adjoint aussi et ainsi les services d’un communautarisme de confort, embourgeoisé, pas spécifiquement et nécessairement gauchisant, se voulant de « bon aloi » en quelque sorte, en acceptation in fine d’une société pleinement communautarisée, alignée sur les exemples anglo-saxons.
Conscientes des risques, les opinions publiques exigent de plus en plus de fermeté, de réaffirmation culturelle, d’autorité républicaine pour répondre sans relâche aux coups de boutoir du séparatisme islamiste alors que dans le même temps une partie des élites d’Etat se refuse à ce combat par faiblesse, par peur ou par idéologie, les trois pouvant consubstantiellement se nourrir au point de laisser prospérer un courant dont le but est de réislamiser dans le sens d’une interprétation littérale ses propres communautés d’une part et d’élargir en finalité d’autre part cette entreprise communautaire à tous les pans de la société. Il va de soi que le problème posé l’est d’abord parce qu’il ne trouve pas dans nos élites le sursaut de résistance indispensable pour contrecarrer une subversion qui met à mal nos valeurs de liberté et d’égalité. Les conclusions du rapport quant aux outils qu’elles proposent sont de ce point de vue décevantes, notamment parce qu’elles contrastent dans leur esprit avec un diagnostic par ailleurs lucide et sans concessions. Tout se passe comme si constat après constat, loin des demandes majoritaires de la société, l’on préparait celle-ci à des logiques d’accommodement, de contractualisation ne disant pas leurs noms avec ceux qu’il faut bien désigner comme des ennemis avérés de la démocratie ainsi que de nos libertés publiques dont ils se servent pour mieux les contourner d’abord, puis les miner et enfin les renverser. L’aveuglement, comme souvent, est le fruit de la lâcheté et la lâcheté le ressort désarticulé de nos abdications. Sous une autre latitude, dans une autre atmosphère, avec d’autres acteurs évidemment, et qui plus est une autre histoire le risque est grand de tangenter, si ce n’est d’emprunter, une trajectoire à l’algérienne où sur fond de nos renonciations se dessine un compromis scélérat entre des forces républicaines déclinantes et des forces montantes, agressives, anti-républicaines, nourries par l’imaginaire d’une loi antithétique de la nôtre. L’esprit de Munich avant celui de Vichy…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à Sorbonne-Université