La nomination d’Elisabeth Borne à Matignon est la solution de continuité mais aussi par défaut que s’est choisi le Président réélu. C’est une fidèle, assez emblématique de ce que constitue le macronisme qui a été ainsi désignée.
Technocrate géolocalisée à gauche du fait de sa trajectoire dans les cabinets ministériels du socialisme, mais d’un socialisme qui s’est acculturé, depuis des décennies, à la double culture du pouvoir et de l’ingénierie néo-libérale. Le fond de sauce idéologique est de ce point de vue sans surprise. Il a sa cohérence, sa cohésion, sa correspondance organique avec plus de quatre décennies de vie politique, confirmant que la macronie est l’héritière de l’abdication du « gouvernement des hommes » au profit de « l’administration des choses ».
Le début de nouveau quinquennat certifie cette réalité aussi prosaïque que désenchantée. Macron peut bien « batteler » qu’il est l’homme de la situation ; c’est la situation qui le domine et lui commande, sans autre volonté de la part de l’impétrant élyséen que de s’y conformer et de s’en conforter.
Elisabeth Borne diffracte cette essence mais elle résulte également d’une circonstance qui, imperceptible, signifie peut-être en ce tout début de quinquennat une dépression atmosphérique à l’intérieur même de l’écosystème macronien.
Le Président avait « casté » sa ministre comme l’une de ses options potentielles pour la rue de Varenne mais plus vraisemblablement son choix s’orientait ces derniers jours vers un autre profil, celui de Catherine Vautrin, ancienne sarko-chiraquienne. De nombreux titres, dont la Revue politique et parlementaire, se sont ainsi fait l’écho de cette hypothèse qui tenait solidement la corde jusqu’à ce que plusieurs personnalités de la majorité fassent remonter au Président leur hostilité à cette piste, notamment en raison des positions anti-mariage pour tous de l’ex-LR.
De cet épisode, il faut sans doute retenir deux enseignements : le premier d’entre eux réside dans ce que révèle l’intention avortée du chef de l’Etat de la lecture qu’il fait du contexte pré-législatif, ramenant celui-ci à un combat contre une gauche qu’il estime non sans raison radicalisée et de la nécessité d’aller puiser large dans la profondeur de la droite pour faire barrage à cet adversaire ; la seconde indication est à rechercher dans la signification du recul présidentiel. Pour la première fois peut-être, depuis son accession à l’Elysée en 2017, Emmanuel Macron, imaginant sans doute que sa reconduction renforçait sa liberté de manœuvre, se heurte à un veto implicite de plusieurs de ses feudataires.
Le rapport de forces endogène à son camp s’impose en quelque sorte à lui comme s’il n’était plus pleinement Roi dans son Royaume.
Le deuxième mandat ne fait que commencer, certes, mais il commence déjà dans la contrainte, la complexité et l’enchevêtrement. Il fallait s’y attendre…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne